6 mai 2025

Met Gala 2025 : que retenir de cette célébration du dandysme noir ?

Comme le veut la tradition, le rendez-vous mode le plus attendu de l’année s’est tenu en ce premier lundi de mai 2025. Mais qui, parmi les célébrités, a réellement illuminé le Met Gala 2025 par son flair et son sens aigu du style ?

  • par Pascal K. Douglas.

  • Pluie diluvienne sur Manhattan, mais avalanche de couleurs au Metropolitan Museum of Art de New York. Ce lundi 5 mai, le Met Gala 2025 a déroulé son tapis bleu nuit parsemé d’une constellation de jonquilles et d’éclats sartoriaux.

    Co-présidé par Colman Domingo, Lewis Hamilton, A$AP Rocky, Pharrell Williams (et, bien sûr, Anna Wintour), l’événement célébrait le dandysme noir. Un écho au thème de l’exposition Superfine: Tailoring Black Style, la première dédiée à la mode masculine depuis Men in Skirt en 2003.

    Inspirée du livre Slaves to Fashion de Monica L. Miller, co-commissaire aux côtés d’Andrew Bolton, l’exposition explore douze chapitres clés du dandysme noir. Parmi eux, la présence, la respectabilité, la beauté, l’héritage, le jeu ou encore le cool… autant de facettes d’une même pièce que les invité·es du Met Gala 2025 étaient censés incarner par leurs tenues, à mi-chemin entre hommage savant et performance de haut vol. Décryptage. 

    Des hommages vibrants à André Leon Talley 

    Si les parapluies étaient de sortie hier soir à Manhattan, ce sont bien les capes, le satin et une avalanche de révérences à l’esprit XXL d’André Leon Talley qui ont volé la vedette au mauvais temps. Grand prêtre de l’élégance et figure tutélaire de Vogue US, Talley, disparu en 2022, a longtemps été le critique haut perché sur son trône en haut des marches du Met. Éventail à la main, il citait Proust entre deux jugements de goût bien sentis.

    Selon Andrew Bolton, curateur en chef du Costume Institute, c’est sa disparition qui a allumé l’étincelle de Superfine: Tailoring Black Style. Ici, cette exposition mode monumentale explore le dandysme noir comme un art politique et une futilité émancipatrice.

    En Valentino sur-mesure, cape bleu électrique plissée comme un origami de divinité Yoruba, l’acteur Colman Domingo a littéralement ressuscité l’aura de Talley avec une prestance inégalée. Lors du live de Vogue, il a évoqué Othello, les rois, les esclaves libres en costume de laine ultra fine comme influences. Et, quand l’acteur d’Euphoria a laissé tomber sa cape pour révéler un look trois-pièces savamment agencé (pois, fleurs et carreaux), on a compris qu’il avait, s’il fallait encore le prouver, la mode dans le sang.

    D’autres encore ont honoré cette figure mythique, à commencer par le danseur étoile Guillaume Diop, petit nouveau du Met Gala et lui aussi habillé par Valentino. Il est apparu solaire dans une cape en jacquard évoquant uu boubou africain, en référence à ses origines sénégalaises et à son héritage mixte.

    L’actrice Tessa Thompson a également choisi la voie du symbole. Vêtue d’une silhouette sculpturale Prabal Gurung, elle arborait un petit éventail à l’effigie de l’ancien editor at large du Vogue US. Un accessoire signature d’André Leon Talley, dont il se servait autant pour se rafraîchir que pour souligner ses répliques.

    Un Met Gala 2025 foncièrement politique 

    Alors que l’administration Trump, revenue aux affaires, s’attaque ouvertement au financement de l’art et des institutions célébrant la diversité culturelle américaine (du National Endowment for the Arts au Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines du Smithsonian), l’édition 2025 du Met Gala se devait de trouver dans la mode un langage puissant pour affirmer ce que certains tentent de réduire au silence. “Co-chair” de l’événement et tout juste rentré du Grand Prix de Miami, Lewis Hamilton est un habitué des déclarations politiques par le vêtement.

    Vêtu d’un ensemble blanc signé Grace Wales Bonner, il incarne cette mode politique, transversale et personnelle. Ainsi, les coquillages cauris brodés sur sa veste renvoient aux anciennes monnaies de l’Afrique de l’Ouest, une économie noire ancestrale que l’histoire dominante a tenté d’effacer. Les perles, quant à elles, rappellent les objets de culte, les colliers de lignée et la pureté des traditions spirituelles afrodescendantes.

    Et la broche qui orne sa poitrine ? Clin d’œil peut-être à son titre de chevalier (KBE), ayant été anobli par la reine Élisabeth II en décembre 2020. Le look entier fait d’ailleurs écho à l’univers de Barkley Leonnard Hendricks, peintre américain connu pour ses portraits d’hommes noirs habillés de blanc sur fond blanc, à l’élégance fière, sculpturale.

    Un autre exemple de mode-mémoire : Bad Bunny, en total look Prada, chapeau de paille en cuir vissé sur le crâne. En effet, le sombrero est plus qu’un accessoire folklorique : c’est un marqueur culturel. Il établit un pont entre son Porto Rico natal et les traditions caribéennes du dandysme noir. Car ne l’oublions pas : les Antilles sont le berceau de figures clés comme Julius Soubise ou Toussaint Louverture, pour lesquels mode et rébellion marchaient main dans la main.

    Un peu plus tard dans la soirée, Willy Chavarria et Maluma ont revisité les zoot suits [ces tenues larges, spectaculaires, emblèmes de la jeunesse latino dans l’Amérique ségrégationniste des années 40,ndlr], sur les marches de Met. En pleine résurgence néoconservatrice, ces costumes deviennent de nouveau subversifs. En effet, ils renvoient aux Zoot Suit Riots, ces émeutes raciales qui révèlent l’histoire enfouie de la violence d’État et de l’émancipation par le style.

    Une célébration du dandysme Queer

    Dès le XVIIIe siècle, Julius Soubise, ancien esclave devenu dandy, bouleversait les codes sociaux britanniques à grand renfort de dentelles, bottes de cuir et perruques poudrées. Au Met Gala 2025, cette tradition d’émancipation vestimentaire s’est poursuivie dans des interprétations aussi flamboyantes que politiques.

    Ainsi, l’acteur Cole Escola, en Christopher John Rogers, a servi un carnaval d’audace queer à la Broadway. Revers de veste oversized rose dragée, fleurs pop éclatantes, pantalons bouffants. C’était camp, c’était théâtral, c’était parfaitement lui. Avec ce look, Cole Escola jouait sur tous les codes du spectacle et du déguisement, rappelant que l’identité queer n’a jamais eu peur d’un peu trop de volume, ni de couleurs.

    Quant à Chappell Roan, elle invoque l’esprit de Ziggy Stardust pour mieux faire briller son Pink Pony Club. En combinaison disco ultra-glamour signée Paul Tazewell (costumier de Hamilton), la chanteuse a fusionné paillettes, fierté et nostalgie queer dans un écrin fucshia électrique.

    L’androgynie stylisée semble avoir aussi servi de mot d’ordre à Shaboozey. Ainsi la nouvelle étoile montante du country-rap misait sur un total look signé Robert Wun, créateur acclamé pour son approche sculpturale et dramatique. Vêtu d’un costume d’un noir profond, agrémenté d’une veste croppée et orné d”une rivière de perles turquoises. Sans parler de son chapeau à bords larges posé en biais telle une mère afro-américaine se rendant à l’église. On apprécie l’audace. 

    Le tailoring au féminin

    Alors que le costume a longtemps été bastion masculin, il a trouvé sur les marches du Met Gala 2025 des interprètes féminines d’une puissance rare, qui l’ont enfilé avec autorité, poésie et panache. Notamment Rihanna, au bras d’A$ap Rocky. Profitant d’avoir les objectifs du monde entier braqués sur elle, la star a annoncé sa troisième grossesse, en total look Marc Jacobs, enveloppée dans une création spectaculairement ample.

    Mais elle n’était pas la seule. Juste avant elle, Cardi B choisissait la voie du tailoring excentrique avec un clin d’œil appuyé à Prince. Dans un costume de velours vert signé Burberry, avec jabot, épaulettes, elle affiche une extravagance calibrée, et une attitude de rockstar rétro. Ainsi que Teyana Taylor, avec un tailleur pensé par la mythique Ruth E.Carter, cheffe costumière oscarisée, architecte de style et conteuse d’identité. Résultat : une silhouette guerrière, noble, qui semblait évoquer à la fois les pimps de Harlem et les rappeurs hip-hop.

    Et, dans cette grande parade de forces féminines, Zendaya, impeccable stratège de l’image, jouait la carte de l’épuré avec un tailleur crème signé Pharrell Williams pour Louis Vuitton. D’abord minimaliste, la tenue révélait, à qui voulait lire entre les lignes, toute une constellation de références.

    Du zoot suit des années 40 au fedora de Diana Ross dans Mahogany, ainsi qu’un sens aigu de la mise en scène. Surtout lorsqu’elle succède à Diana Ross, monument vivant, qui avait elle-même ému les foules dans une robe blanche conçue par Ugo Mozie, traînant derrière elle cinq mètres de tissu brodé des noms de ses enfants et petits-enfants. Une tenue comme une fresque familiale, portée à bout de grâce.

    Que retenir de ce Met Gala 2025 ?

    Cette année, les clins d’œil à l’histoire noire étaient partout, des tailleurs impeccables aux hommages subtils – ou très assumés – à ses icônes. Mais ce sont surtout les détails qui ont fait la différence : chapeaux haut de forme, durags aux couleurs vives, broches précieuses, boucles en diamant, cannes de dandy, grills de rappeurs, et même un gros cigare tenu avec l’aplomb par la boss lady et nouvelle icône de mode Doechii.

    Une panoplie qui rappelle que la culture noire a toujours utilisé le vêtement et l’ornement comme un langage puissant : celui de l’affirmation, de la résistance, de la liberté et de la créativité sans limite.

    Si les inspirations étaient claires, on ne peut pas dire que les créateurs issus de la diversité aient été les grandes stars de la soirée. Thom Browne et Marc Jacobs ont largement dominé le red carpet — avec brio, certes — mais on aurait aimé voir plus de visages racisés derrière les silhouettes.

    Quelques exceptions notables : Grace Wales Bonner a habillé Sir Lewis Hamilton et Willy Chavarria a signé un look magistral pour Maluma (et pour lui-même, au passage). Aimee Lou Wood a été habillée en Priya Ahluwalia et Yara Shahidi en Fear of God. Bianca Saunders a rhabillé Nick Jonas, et Olivier Rousteing a offert ses créations à une brochette de célébrités, de Jenna Ortega à Jeremy O. Harris. Mention très spéciale à Gigi Hadid, éblouissante dans une robe Miu Miu stylée par Gabriella Karefa-Johnson, inspirée de Zelda Wynn Valdés pour Joséphine Baker — chic, historique, parfait.

    Dans l’ensemble, le tapis bleu a parfois joué la carte de la prudence, alors que l’exposition elle-même semble vouloir corriger le tir. Dès le 10 mai 2025 (date officielle de l’ouverture au grand public), Superfine: Tailoring Black Style mettra sous les projecteurs une nouvelle génération de talents noirs qui redéfinissent le tailoring comme Luar, LaQuan Smith, Kenneth Ize, et côté français, les très talentueux Emeric Tchatchoua de 3.Paradis et Marvin Desroc.

    Certes, on aurait pu espérer un peu plus d’audace de la part de ses messieurs à la faveur d’un thème historique pour la mode masculine. Cependant, cette édition du Met Gala 2025 s’impose déjà comme l’une des plus attendues, des plus commentées et des plus suivies de l’histoire du gala de charité.

    L’exposition Superfine : Tailoring Black Style est à voir au Costume Institute du Metropolitan Museum à New York du 10 mai au 26 octobre 2025.