L’interview sans filtre d’Yseult : “Mon album est un projet radical dont j’espère que l’on sort perturbé”
Sans rien céder de sa liberté, Yseult s’est construit une place de choix sur la scène musicale. Alors que sa voix enchante le public depuis déjà dix ans, elle défend toujours son deuxième album, Mental, qui installe plus que jamais son statut d’auteure-compositrice-interprète maîtrisant chaque facette de son art. Spécialiste des choix forts et assumés, celle qui livrait une reprise détonante de My Way lors de la cérémonie de clôture des jeux Olympiques rayonne désormais à l’international, et prépare déjà ses futurs coups d’éclat. Rencontre.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Photos par Jean-Baptiste Mondino.

Écharpe cloutée, ALGIERI PARIS.
Yseult ou la naissance d’une star, d’un télé-crochet aux Jeux olympiques
Yseult Onguenet a toujours su qu’elle deviendrait une star de la musique… La chanteuse à la voix exceptionnelle débute son long parcours en 2013, lorsqu’elle atteint la finale du télé-crochet Nouvelle Star. À l’époque, nul ne peut encore prendre la mesure de sa détermination. Deux ans plus tard, elle présente Yseult, un premier album qui peine à se défaire des codes poussiéreux de la variété française.
Problème, la jeune femme souhaite défendre sa propre vision artistique, au grand dam d’une industrie obsessionnelle qui, parfois, lui reproche sa confiance excessive et ses humeurs tempétueuses. Tenace, obstinée et motivée par son talent fou, le temps lui aura finalement donné raison…
Aujourd’hui à la tête de son propre label et sacrée révélation féminine aux Victoires de la musique (2021), Yseult, qui semble à son aise dans tous les genres musicaux – de la pop impeccable à la techno foudroyante –, est conviée sur le plateau américain de The Tonight Show de Jimmy Fallon, et fait hurler la foule lorsqu’elle débarque, par surprise, aux concerts de ses homologues – comme celui de la rappeuse Shay, pour n’en citer qu’un.
Un tube avec Sevdaliza et un nouvel album
En juin 2024, la trentenaire a définitivement changé de statut. Le tube Alibi, qu’elle partage avec la chanteuse néerlando-iranienne Sevdaliza et le chanteur et drag-queen brésilien Pabllo Vittar, intègre tour à tour le Top 50 monde de la plateforme Spotify et le prestigieux classement Billboard. Un titre viral qui révèle (enfin) son talent au monde entier.
Deux mois plus tard, elle interprète le légendaire My Way lors de la cérémonie de clôture des jeux Olympiques de Paris, au Stade de France, prestation époustouflante, servie par des feux d’artifice, qui parachève sa mue en héroïne de la musique contemporaine.
Voilà maintenant sept ans que la jeune femme est indépendante. Une artiste versatile qui navigue entre les genres et s’autorise à peu près tout. Dix ans après son premier disque, Yseult défend un second album studio, Mental, qui survient après trois EP (Noir et Rouge en 2019, puis Brut en 2020). Ce disque condense ses dernières influences sonores : Tame Impala, Kurt Cobain, Madonna, Charli XCX et le son pop rock de la grande époque MTV. Un album savamment étudié et paradoxalement conçu comme une playlist déstructurée. Rencontre.

L’interview de la chanteuse Yseult
Numéro : Félicitations pour votre performance à la cérémonie de clôture des jeux Olympiques de Paris 2024. Le moment est-il passé trop rapidement pour que vous en conserviez le moindre souvenir?
Yseult : Je me souviens surtout de mon styliste, Jonathan Huguet, qui a gardé ma main dans la sienne, de la sortie des loges jusqu’à la scène… Les membres de mon équipe étaient à mes côtés, du début à la fin, et je voyais beaucoup de fierté dans leurs regards. Cela semblait signifier : “Enfin, les gens vont te voir.” Pour eux aussi, c’était un moment unique. Je me souviens aussi des feux d’artifice sur la note finale. À ce moment-là, j’ai ouvert les yeux et je me suis dit : “Waouh!” Derrière chaque artiste il y a toute une équipe. Mon styliste ne tenait pas en place, il sautait partout!
Comment avez-vous travaillé My Way, ce morceau devenu culte dans la version de Frank Sinatra de 1969?
J’étais en Angleterre avec la musicienne Hamzaa. Je l’ai prise par le col et je lui ai dit : “Ma sœur, tu vas m’accompagner au studio parce que tu es beaucoup trop forte pour imaginer les ad lib [onomatopées entre les couplets ou à la fin d’une phrase].”Je ne voulais pas interpréter la chanson de manière trop douce, trop plate, trop lisse. Je voulais y ajouter du relief, du grain, de la texture, de la surprise.Je souhaitais proposer quelque chose d’assez périlleux. Une fois dans le studio, nous avons enregistré le morceau en deux heures et nous avons vraiment beaucoup ri. C’était la première fois que je chantais comme ça ! Surtout cette note finale : pour la première fois, je sortais de ma zone de confort pour aller chercher une note façon Mariah Carey. [Rires.]
Votre second album, Mental, est sorti en septembre 2024. Si ce n’était par une œuvre musicale, comment auriez-vous illustré votre propos?
Par un point noir. Quelque chose de profond, de complexe et d’incompréhensible. Je crois que c’est ma vision actuelle d’artiste indépendante : accepter de ne pas être comprise par le plus grand nombre. Ce point noir suscite forcément une interrogation car la direction artistique que j’emprunte aujourd’hui est radicalement différente de ce que j’ai pu proposer auparavant. Ce nouvel album est un projet radical dont on sort, je l’espère, perturbé…
Vous avez réalisé la pochette de cet album avec le photographe Tarek Mawad, une image produite avec un iPhone et barrée du célèbre “Parental Advisory: Explicit Content”. Pourquoi ce logo était-il indispensable?
Je crois que cette pochette est aussi perturbante que les morceaux de l’album. Elle dévoile une part de lumière qui évoque mes précédents EP, Noir, Rouge et Brut, mais aussi une part d’ombre parce que je délaisse ma vulnérabilité.
Cette part d’ombre est plus viscérale, plus clivante. J’ai trouvé le bon équilibre pour présenter celle que je suis vraiment. Jusqu’à présent, je proposais des projets très doux, très sensibles, très “chanson française”. Mais il y avait un paradoxe au regard de ma véritable personnalité et de mon tempérament de feu. Il fallait donc que je trouve des genres musicaux susceptibles d’exprimer tout cela. Et quoi de mieux que la techno, le rock ou la culture punk pour exprimer des émotions aussi vives. Mental, c’est ça. Un nouveau projet qui explore les vices des émotions primaires. Pendant un temps, peut-être que ma personnalité a mal été comprise. Avec cet album, j’ai repris confiance en moi.
“Jusqu’à présent, je proposais des projets très doux, très sensibles, très “chanson française”. Mais il y avait un paradoxe au regard de ma véritable personnalité et de mon tempérament de feu. Quoi de mieux que la techno, le rock ou la culture punk pour exprimer des émotions aussi vives! Avec cet album, j’ai repris confiance en moi.”
Yseult.
Fallait-il changer de méthode de composition pour y parvenir?
Non, je n’ai rien changé. J’ai simplement été poussée par un vent de liberté qui m’a permis de me défaire des carcans de la musique pop conventionnelle. Un morceau de deux minutes trente avec un couplet, un refrain, puis un autre couplet… non ! pas du tout, ma belle ! Je voulais qu’on ressente que je suis une artiste, et pas juste une chanteuse. J’envisage de monter des expositions, de publier un livre sur l’évolution de mon corps et de mon état mental, et de collaborer avec des photographes incroyables comme David Sims ! Je veux vraiment lâcher les chevaux.
Quelque chose que vous n’auriez pas pu vous permettre de faire sans votre statut d’artiste indépendante?
Exactement ! C’est un véritable privilège d’être une artiste qui s’autosuffit. Il s’agit d’un projet que je finance moi-même. Si demain j’éprouve le désir de tourner un clip ou de produire un titre au fin fond de l’Amazonie, je peux le faire. Il m’a fallu économiser pendant quatre ans pour pouvoir sortir ce projet, le promouvoir puis payer les équipes qui travaillent avec moi. C’est un investissement important, énormément de sacrifices, et j’en suis très fière. J’ai tellement hâte que les gens l’écoutent ! La plupart ne me connaissent pas et se permettent de me critiquer et de me juger…

Long gilet, R.L.E. Pantalon, ACNE STUDIOS. Boots, NEW ROCK. Boa, FANCÌ CLUB. Ceinture, ACHILLES ION GABRIEL. Bagues “Ice Cube”, CHOPARD.
Les avis extérieurs comptent-ils encore beaucoup pour vous malgré cette liberté retrouvée?
Entre nous, je crois que je m’en fous… La musique est parfois un métier très égoïste, vous savez. En studio, vous écrivez et composez seul, donc il est très important de faire abstraction du monde qui vous entoure. Si votre unique motivation est l’approbation d’autrui, c’est que vous n’êtes plus vraiment un artiste. Un musicien se concentre sur ses émotions, son état, il se connecte à l’instant présent. C’est comme ça que vous créez des histoires. C’est comme ça que vous peignez un imaginaire ou même quelque chose de réel que vous avez déjà vécu. Des traumatismes, un amour perdu, une sensation, une odeur, un regard… Houla ! elle devient un peu profonde cette interview !
C’est plutôt agréable de discuter avec une artiste aussi généreuse dans ses réponses…
En tout cas, il faut aller au fin fond de soi-même pour pouvoir créer du beau. Et ce beau, c’est forcément quelque chose de personnel, comme une œuvre intemporelle.
Le neuvième titre de l’album, Anger, qui est aussi l’un des meilleurs morceaux, prend la forme d’un interlude. Que signifie-t-il pour vous?
C’est justement le point noir que j’évoquais tout à l’heure. Cet album a des ambitions internationales, et j’avais besoin de condenser tous les éléments qui me caractérisent afin que ceux qui ne me connaissent pas comprennent que je suis une artiste pop, une artiste versatile, une artiste sensible, une artiste qui a du caractère. Anger a été un morceau libérateur. Je n’avais plus à me justifier, j’ai préféré laisser mes amis parler à ma place. On peut donc y entendre la voix de Kiddy Smile, une personne incroyable qui a vécu des expériences folles, mais aussi celle d’Hamzaa, l’artiste londonienne, noire et lesbienne dont je vous parlais tout à l’heure. En studio, je les ai appelés pour leur demander si je pouvais les enregistrer. Nous avons alors eu cette conversation que j’ai gardée intégralement. Je voulais savoir ce qu’ils ressentaient en tant qu’homme ou en tant que femme noire
et queer dans notre société. Auparavant, ce qui a pu me porter préjudice, c’est de ne pas avoir eu de bouclier…
Que voulez-vous dire par là?
Que je parlais de sujets communautaires sans avoir la possibilité de me protéger. Avec Anger, Kiddy Smile et Hamzaa prennent la parole à ma place. Ils ont accepté de se mettre en danger pour moi, et je leur en suis extrêmement reconnaissante. Je me suis promis que, cette fois-ci, le propos resterait uniquement musical et que je ne m’exprimerais plus sur des sujets tels que ceux-là. Nous sommes des artistes, pas des politiciens.
Mental (Y.Y.Y/I Have No Fucking Idea) d’Yseult, disponible.
