20 oct 2025

L’artiste Meriem Bennani dirige un orchestre de sandales à Lafayette Anticipations

Connue pour ses vidéos et sculptures décalées croisant son héritage marocain et la pop culture mondialisée, Meriem Bennani dévoile à Lafayette Anticipations une installation sonore déroutante : un orchestre de sandales et de tongs résonnant dans l’ensemble du bâtiment.

  • Par Ingrid Luquet-Gad.

  • À Lafayette Anticipations, Meriem Bennani dirige un concert étonnant

    Nous vivons à l’ère des émotions de masse, où colère, désespoir, extase et transe électrisent les foules. Manifestations, matchs, clubs : on dit souvent qu’il est impossible de décrire ce qu’il se passe dans les cortèges, les stades ou les festivals. On dit encore que ces affects se dérobent à toute représentation, car c’est en personne qu’il faut les vivre. Dès le seuil de Lafayette Anticipations – Fondation Galeries Lafayette, une clameur monte précisément comme une vague. Elle happe le visiteur, bientôt emporté par un océan de cliquetis et de clapotements.

    En pénétrant dans le foyer, on remarque la source de cet irrésistible brouhaha qui donne envie de battre la cadence : une vaste installation sonore signée Meriem Bennani. “Mettre l’accent sur une seule œuvre renforce son pouvoir affectif qui parle au corps”, explique Elsa Coustou, curatrice de l’exposition personnelle de l’artiset chez Lafayette Anticipations. Sole Crushing – c’est son titre – serpente dans l’espace au fil de plusieurs îlots, surmontés d’élévations semblables à des rails de montagnes russes.

    Ces estrades servent de présentoir au clou du spectacle : un orchestre inclassable dont les principaux protagonistes sont des tongs. Ces sandales-instruments, activées par un ingénieux système pneumatique bardé de câbles colorés, sont au nombre de 190 au total. Certaines sont agrémentées de décorations de fer, tandis que d’autres ont été customisées de grigris. Chacune a beau posséder des caractéristiques particulières quasi cartoonesques, c’est ensemble qu’elles jouent leur partition.

    De Milan à Paris, une œuvre à grand succès

    En réalité, Sole Crushing est déjà un hit. Il y a un an tout pile, Meriem Bennani créait l’événement avec son exposition solo “For My Best Family” à la Fondation Prada, à Milan. L’artiste marocaine, installée à New York, y présentait une première version de l’oeuvre en question, au sein d’un parcours d’ouvrages plus large. Jusqu’alors, la trentenaire s’était illustrée par ses films et ses installations vidéo, abordant les expériences de la jeunesse issue du monde arabe et de sa diaspora à travers l’exil, les relations mère-fille ou l’homosexualité.

    Meriem Bennani avait mis au point sa propre énonciation, immédiatement reconnaissable, en combinant le montage survolté de la téléréalité, le storytelling issu de clips Youtube ou TikTok, une trame autofictionnelle et des personnages anthropomorphes en animation. Au fil de ces fables, chacun avait pu vibrer et languir au gré des aventures d’une mouche à Rabat (FLY, 2016), de deux lézards à New York en pleine pandémie (2 Lizards avec Orian Barki, 2020) ou encore d’un chacal lors de son nouveau film d’animation (For Aicha avec Orian Barki, 2024).

    Sole Crushing, un hommage à la musique nord-africaine

    “Meriem Bennani a souhaité revisiter son installation et la montrer ici, à Paris”, précise la commissaire. “Elle a produit un ensemble de structures qui font écho à la verticalité du bâtiment, pour renouveler la proposition et donc l’expérience.” Elle ajoute : “Le principe de différents orchestres qui se répondent l’un l’autre et d’autres qui fonctionnent de manière plus individuelle reste le même. En revanche, certains instruments sont redessinés et une nouvelle bande-son a été créée sur mesure, en collaboration avec le musicien Reda Senhaji (connu sous le nom Cheb Runner).”

    La partition qu’interprètent les tongs est infusée de motifs issus du répertoire percussif nord-africain, notamment le Gnawa ou la dakka marrakchia, forme traditionnelle sacrée marocaine à mi-chemin entre l’incantation et la transe. Sur cet arrière-plan, la tong se charge de connotations plus directes, évoquant le Sud global dans tous ces contrastes – de la globalisation low-coast aux espaces domestiques calfeutrés, propices aux transmissions intergénérationnelles – à coups de babouches ou pas. En ressortant de l’exposition, dont le cycle dure 45 minutes, on s’en rend compte : ce rythme électrique, c’est aussi le nôtre, à chacun et à tous, car c’est tout simplement celui du présent. 

    Meriem Bennani, Sole Crushing”, du 22 octobre 2025 au 8 février 2026 à Lafayette Anticipations, Paris 4e.