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Art Basel Paris : comment la capitale reste le cœur battant des avant-gardes
De retour au Grand Palais du 24 au 26 octobre pour sa quatrième édition, l’incontournable foire d’art contemporain continue, avec ses 206 exposants, de rappeler le rôle primordial de Paris comme berceau des avant-gardes artistiques. Une réalité encore bien vivace que l’on constate à travers de nombreuses œuvres et artistes présentés sur les stands des galeries, mais aussi dans des sites historiques de la capitale.
Par Matthieu Jacquet.

Paris, berceau historique des avant-gardes artistiques
Fin juin dernier, le Centre Pompidou clôturait sans doute l’une de ses plus importantes expositions récentes : “Paris noir”. Au programme, la traversée d’une scène encore trop rarement croisée dans les musées, formée par les artistes africains, africains-américains et caribéens dans la capitale française lors de la seconde moitié du 20e siècle au début de l’ère postcoloniale. Un constat inévitable s’en dégageait : berceau historique de figures et de mouvements artistiques majeurs, mais aussi ville au carrefour des continents et point de convergence pour les communautés diasporiques, Paris est un lieu d’avant-garde et de grande liberté.
En attestent les pratiques des 150 artistes alors réunis dans l’exposition, de Beauford Delaney à Sarah Maldoror, en passant par Roland Dorcély, de nouvelles voix s’y font entendre et, avec elles, de nouveaux combats – sociaux et politiques – mais aussi formels et esthétiques. “Durant ces décennies de libération, [ces artistes] esquissent aussi bien des iconographies destinées aux futurs États-nations que des représentations transnationales, panafricaines, panaméricaines ou fondamentalement ouvertes”, écrivait alors Alicia Knock, commissaire de cette exposition à succès qui a attiré plus de 200 000 visiteurs.

Une ville incontournable pour le monde de l’art
Depuis la fin de la pandémie, c’est indéniable, Paris a retrouvé sa place de leader dans l’écosystème de l’art mondial. L’activité des musées historiques, la programmation qualitative des fondations privées, mais aussi l’implantation récente de grandes galeries internationales favorisent son attractivité, propice à un croisement des pratiques, des cultures et des générations. L’inauguration d’Art Basel Paris en 2022 fait figure d’exemple, mais aussi de révélateur. Chaque année au mois d’octobre, la foire internationale met le monde de l’art en ébullition, offrant une vitrine à plusieurs générations d’artistes ayant trouvé dans la Ville Lumière un terreau fertile au développement de leur pratique et de leur carrière.

La 4e édition d’Art Basel Paris au Grand Palais
De retour au Grand Palais du 24 au 26 octobre avec non moins de 206 galeries, la quatrième édition de la foire forme un prolongement arborescent au constat dressé par “Paris noir”. Déjà croisé dans cette dernière avec ses paysages idylliques peuplés de corps nus aux couleurs vives, où l’expressionnisme abstrait rencontre les influences de la peinture baroque et du fauvisme, le peintre américain Bob Thompson (1937-1966) sera au cœur du stand commun des galeries Jeffrey Deitch et Michael Rosenfeld. Réalisées dans les années 60, alors qu’il résidait à Paris, les toiles que l’on y découvre témoignent de son intérêt pour la peinture classique française, qu’il aimait copier pour se réapproprier ses récits.
Originaire, quant à elle, de Colombie, Emma Reyes (1919-2003) s’est, elle aussi, installée dans la capitale à cette période, où elle a réalisé nombre de portraits vibrants et de peintures en gros plan de fleurs colorées, croisant des références à l’art indigène de son pays et à la peinture occidentale moderne, que l’on peut apprécier du côté de la galerie Crèvecoeur. Un parcours qui n’a pas manqué d’inciter d’autres artistes latino-américains à suivre son sillon. Présentées par la galerie californienne Château Shatto dans le secteur Premise de la foire, les sublimes aquarelles aux portes de l’abstraction du peintre récemment redécouvert Alan Lynch (1926-1994) s’imprègnent des philosophies zen et bouddhiste, mais aussi d’une vie passée entre les États‑Unis et Paris dans les années 60 et 70.

Des pratiques politiques et visionnaires
L’offre généreuse d’Art Basel Paris cette année permet également de redécouvrir, avec un œil actuel, la pertinence de pratiques visionnaires ancrées dans des combats historiques du siècle dernier : antimilitarisme, antiracisme, postcolonialisme et, bien sûr, révolution sexuelle, dont Paris fut l’un des épicentres.
C’est le cas des œuvres profondément politiques et féministes de Lea Lublin (1929-1999) et d’Esther Ferrer (née en 1937), présentées par la galerie 1 Mira Madrid, ou encore celles de la sculptrice polonaise Alina Szapocznikow (1926-1973), connue, elle, pour ses objets étranges, entre lampes-bouches et ventres-coussins, moulés sur son propre corps, à Paris, des années 50 jusqu’à sa disparition. Actuellement célébrée par une grande exposition au musée de Grenoble, l’artiste sera montrée au Grand Palais par la galerie Loevenbruck, aux côtés notamment de la jeune Parisienne Chloé Royer (née en 1989), que les sculptures douces et organiques inscrivent dans la lignée de son aînée.

Une ville riche en ressources pour les jeunes artistes
Car si la capitale française est, aujourd’hui encore, aussi plébiscitée par les artistes en début de carrière, c’est également grâce au nombre croissant de structures pensées pour les accompagner et leur proposer des ateliers dans le Grand Paris, de POUSH (Aubervilliers) au Wonder (Bobigny), en passant par Artagon (Pantin).
L’artiste grecque Nefeli Papadimouli (née en 1988), qui présentera sur le stand de la galerie The Pill un nouvel ensemble de créations textiles performatives, est par exemple une ancienne étudiante des Beaux-Arts de Paris et une ex‑résidente de la Cité internationale des arts. Quant à l’Autrichien Philipp Timischl (né en 1989), qui montrera des œuvres multimédias sur les stands de Layr et de Sultana, il fut l’un des premiers résidents de la Fondation Fiminco à Romainville. Après avoir été régulièrement exposé à Paris par la High Art, il vient tout juste d’annoncer sa représentation par la galerie Sultana.

Art Basel Paris, une vitrine sur la création émergente
Le long des majestueuses coursives du Grand Palais, le secteur Emergence d’Art Basel Paris offre chaque année un coup de projecteur sur les talents de demain en leur offrant des présentations solos. Fervent défenseur de la jeune scène artistique dans la capitale depuis douze ans, la galerie Exo Exo consacre son stand à Ash Love (né en 1996), dont l’installation croise des éléments de l’enfance, de la culture populaire et numérique. À quelques pas de là, on rencontre aussi des sculptures in situ d’Alexandre Khondji, exposé simultanément à la Fondation Pernod Ricard dans le cadre du nouveau format de son prix historique pour soutenir la jeune création.

Du Grand Palais aux sites emblématiques de la capitale
Mais tout ce foisonnement ne se limite pas aux murs du Grand Palais. Comme à son habitude, le programme public de la foire invite à une déambulation dans la capitale parmi ses sites historiques, transformés par les interventions d’artistes contemporains. C’est le cas cette année du Malgache Joël Andrianomearisoa (né en 1977) à l’hôtel de la Marine, et du Suisse Ugo Rondinone (né en 1964) sur le parvis de l’Institut de France, deux artistes pour qui la ville de Paris a joué un rôle majeur en leur apportant de nombreuses consécrations institutionnelles.
Des trajectoires à succès que s’apprête à suivre le jeune Russe Harry Nuriev (né en 1984), coqueluche du monde du design, qui a récemment étendu son travail au champ de l’art contemporain. À la chapelle des Petits-Augustins de l’École des beaux-arts de Paris, il présente, avec la galerie Sultana, une installation inédite et participative pendant la foire, invitant chaque visiteur à se débarrasser d’un objet dans un carton pour, à la place, en prendre un autre déposé précédemment.
L’œuvre évolutive, qui n’est pas sans rappeler l’exposition historique Take Me (I’m Yours) de Christian Boltanski et Hans Ulrich Obrist à la Serpentine Gallery de Londres, mais aussi les grandes brocantes de Paris comme les puces de Saint-Ouen, semble nous le rappeler : pour continuer d’être une place forte de l’art et de l’expérimentation, la capitale se doit avant tout de rester une ville d’échanges et de partage.
Art Basel Paris, du 24 au 26 octobre au Grand Palais, Paris 8e

