Qui est Chelsea Wolfe, la prêtresse gothique en Tabi entendue dans Game of Thrones ?
Qualifiée de “crooneuse goth” par le New York Times et entendue dans une bande-annonce de Game of Thrones, Chelsea Wolfe est l’une des voix (et des personnalités) les plus fascinantes du doom metal-folk. Alors qu’elle sort un EP ce vendredi 30 août (succédant à son superbe album She Reaches Out To She Reaches Out To She), la chanteuse nous parle de son amour pour les Tabi et pour Björk.
par Violaine Schütz.
Il y a dix ans, l’ensorcelante chanson Feral Love de Chelsea Wolfe servait de bande-son à la bande-annonce de la quatrième saison de la série culte Game of Thrones. De nombreuses personnes tombent alors amoureuses de l’univers de l’auteure-compositrice-interprète américaine âgée de 40 ans. Quelques années plus tard, en 2022, d’autres découvrent sa voix magnétique grâce à la BO du slasher d’A24 X de Ti West, mettant en scène Mia Goth et Jenna Ortega.
Qualifiée de “crooneuse goth” par le New York Times, la sorcière du son Chelsea Wolfe n’était pourtant pas une inconnue pour les amateurs de musiques occultes : néofolk, électronique expérimentale, doom metal ou encore drone. Mais son nom restait un secret bien gardé, dont on ne parlait qu’entre initiés.
Après avoir sorti de nombreux albums et EP, la prêtresse gothique vient de dévoiler son disque le plus accessible (quelque part entre PJ Harvey, Tricky, Portishead, la BO de Twin Peaks et Nine Inch Nails), au début du mois de février : She Reaches Out To She Reaches Out To She. Un album aux accents trip-hop “racontant l’histoire d’un affranchissement des situations et des schémas qui entravent notre liberté” qui lui a valu de nouveaux admirateurs et qu’elle a défendu en concert à L’Élysée Montmartre, à Paris, en juin dernier.
Alors qu’elle sort, ce vendredi 30 août, un EP de remix (Undone), l’artiste fascinante nous parle de son amour pour les Tabi de Maison Margiela et pour Björk ainsi que de sa vie mouvementée.
L’interview de la chanteuse Chelsea Wolfe sur l’album She Reaches Out To She Reaches Out To She
Numéro : Que signifie le titre de votre album, She Reaches Out To She Reaches Out To She ?
Chelsea Wolfe : Il s’agit du moi du passé qui s’adresse au moi actuel et au moi futur. Ces différents « moi » s’entraident et partagent leur sagesse. Il s’agit aussi de tendre la main à votre lignée ancestrale et de guérir les blessures ancestrales. Les paroles du disque sont des invitations à commencer doucement à vous aimer davantage et, ce faisant, à reprendre votre pouvoir, à trouver plus de liberté dans votre vie et à entrer dans votre moi authentique. Les paroles parlent de la douleur et de la joie de renaître.
Dans quel état d’esprit étiez-vous au moment d’écrire vos nouvelles chansons ?
Cet album existe vraiment dans le liminal, dans un état intermédiaire. C’est comme se trouver à la frontière entre l’ancien et le nouveau. Il n’y a pas de retour en arrière, mais vous n’êtes pas encore prêt à avancer… Vous trouvez juste le calme pour une fois dans votre vie. Cet album parle du potentiel qui existe dans cet espace vide et intermédiaire. Mon état d’esprit était semblable à l’intérieur de la chrysalide, à la période de transition désordonnée et liquide entre la chenille et le papillon. Honnêtement, je suis toujours là… en train de me transformer.
Le son de cet album est très différent de celui de vos précédents disques…
Oui, c’est de l’électronique expérimentale, sensuelle, mystique, cyclique. C’est l’aboutissement des sons avec lesquels j’ai travaillé au fil des années. Une fois entrée en studio avec le producteur Dave Sitek (du groupe TV on the radio), les chansons se sont transformées en un son plus électronique en raison de la nature de son studio contenant de nombreux synthétiseurs analogiques et modulaires. J’étais vraiment enthousiasmée par le son des chansons qui se transformait de cette manière car cela ressemblait à une représentation littérale des thèmes de transformation et de renaissance de l’album. Et le mixage de Shawn Everett (qui a travaillé avec Slowdive, SZA et les Yeah Yeah Yeahs, ndlr) a donné vie à tout ça. Il a ajouté une nouvelle étincelle aux chansons dont nous avions tant besoin.
“Plus j’écrivais sur le fait de couper les liens avec des habitudes malsaines, plus je réalisais que j’avais réellement besoin de le faire.” Chelsea Wolfe
Qu’est-ce qui a influencé cet album ?
J’ai commencé à écrire l’album en 2020, puis au début de 2021, je suis devenue sobre (j’ai arrêté l’alcool), ce qui a naturellement commencé à changer ma vie à bien des égards, et a, en quelque sorte fait naître en moi un sentiment de possibilités nouvelles. Je vivais d’une certaine manière pendant longtemps, et même si c’était une zone de confort puisque c’était ce que je savais, j’ai commencé à voir avec une nouvelle clarté que je n’allais pas très bien. J’étais surmenée, épuisée et dépensais trop de mon énergie. Pendant que j’écrivais ces nouvelles chansons, elles exigeaient de les vivre. Plus j’écrivais sur le fait de couper les liens avec des habitudes malsaines, plus je réalisais que j’avais réellement besoin de le faire, et j’ai commencé à apprendre à couper les liens avec mes dépendances qui me prenaient toute ma force.
Comment le fait de devenir sobre a-t-il changé votre vie et votre manière de créer ?
Supprimer le brouillard de l’alcool de ma vie a créé tellement d’espace pour une nouvelle créativité, une nouvelle magie, une nouvelle ouverture. Ce n’est pas toujours facile. En fait, c’est difficile car il faut affronter les ombres et les chagrins de la vie sans que rien ne nous engourdisse. Mais je suis devenue si souvent engourdie pendant si longtemps que c’est intéressant et excitant d’affronter aujourd’hui la vie en étant pleinement présente.
Quels sont les artistes qui vous ont le plus influencée ?
Il y en a beaucoup ! Townes Van Zandt, Haruki Murakami, Sylvia Plath, Yohji Yamamoto, Ann Demeulemeester, Sarah Faith Gottesdiener, Pam Grossman, Marjorie Cameron, Ursula K. Le Guin, Alice Hoffman, Yoshitaka Amano et Mamoru Oshii. Et alors que j’écrivais mon nouvel album à la fin de la trentaine, je me sentais inspirée par la musique que j’aimais à 20 ans, à la fin de mon adolescence, comme Massive Attack, Tricky, PJ Harvey, Björk, Nine Inch Nails ou encore Placebo.
“Parfois, le simple fait de poser les bonnes questions m’aide plus que d’avoir toutes les réponses. Et mes chansons posent beaucoup de questions.” Chelsea Wolfe
Votre chanson Everything Turns Blue parle de guérison après une rupture. Comment est-elle née ?
L’un de mes proches a quitté une relation qui a duré 30 ans, après avoir enfin compris à quel point elle était toxique pour lui. J’ai écrit cette chanson sur leur voyage pour se retrouver eux-mêmes, en étant seuls, après 30 ans aux côtés de cette autre personne qui n’était pas très bonne avec l’autre. Ils avaient simplement essayé de se convaincre du contraire. Une fois cet album terminé, quelque chose a fait tilt en moi et j’ai également ressenti le besoin de quitter une relation (de business) toxique. Parce que j’avais écrit ces chansons qui me montraient la voie à suivre, j’ai eu le courage de le faire.
Votre morceau Place in the Sun est très émouvant. De quoi parle-t-il ?
Elle parle du fait de trouver sa « maison » dans son corps après en avoir été déconnecté durant une longue période. Il s’agit de trouver la sécurité dans votre corps dans un monde qui prospère grâce à votre sentiment d’insécurité. J’y évoque des actes simples comme ceux de respirer, de chanter et de retrouver la joie contenue dans ces choses simples.
L’un de vos albums s’intitule Pain is Beauty. À quel point l’art est-il cathartique pour vous ?
Faire face aux ombres et aux dures réalités, puis trouver un moyen de comprendre poétiquement ces choses et de les mettre en chanson a toujours été cathartique pour moi. Parfois, le simple fait de poser les bonnes questions m’aide plus que d’avoir toutes les réponses. Et mes chansons posent beaucoup de questions.
“J’alterne entre les talons découpés d’Ann Demeulemeester, les Tabi de Maison Margiela que j’ai peintes en blanc et les bottes à plateforme Stella McCartney.” Chelsea Wolfe
On a pu entendre l’une de vos chansons dans une bande-annonce de Game of Thrones… Quels sont vos goûts en matière de cinéma et de séries ?
Avoir ce lien avec Game of Thrones est merveilleux. J’aime vraiment tout ce que fait l’actrice et réalisatrice Brit Marling. Avec le réalisateur et scénariste Zal Batmanglij, ils ont créé des mondes aussi beaux que celui de la série The OA, réunissant le magique et le banal. Leur univers de science-fiction et de fantastique subtil m’attire et résonne vraiment avec mon travail. J’aime aussi les films de Robert Eggers (The Northman, The Witch, Nosferatu) et les séries de Mike Flanagan (The Haunting of Hill House). Et le film Thirst, ceci est mon sang de Park Chan-wook est l’un de mes préférés. Il est à la fois sombre, romantique et légèrement surnaturel.
Les vêtements occupent une place importante dans votre univers…
J’ai toujours adoré la connexion entre la musique et la mode et j’ai eu la chance de travailler avec la costumière Jenni Hensler dès le début de ma carrière. Elle a créé une petite collection de vêtements et d’accessoires que je peux porter sur scène pour presque tous les albums que j’ai réalisés. Je lui envoie des inspirations de couleurs, de textures, de formes, ésotériques et de thématiques et elle crée ces pièces étonnantes. Jusqu’à présent, ma collection préférée était celle de mon album acoustique datant de 2019, Birth of Violence. Elle était à la fois très moderne et victorienne. Ma tenue la plus portée lors de cette tournée est une robe de mariée déconstruite. Au fil des années, je me suis sentie plus à l’aise en portant des silhouettes longues. Je suis assez grande et j’aime le mettre en valeur et presque ressembler à un pilier sur scène. Jenni m’a également présenté des créateurs fantastiques comme A.F.Vandevorst et Barbara i Gongini. J’ai donc complété mes tenues de scène avec certaines de leurs pièces. Et j’adore les bottes, qui me donnent une sensation de puissance. En ce moment en tournée, j’alterne entre les talons découpés d’Ann Demeulemeester, les Tabi de Maison Margiela que j’ai peintes en blanc et les bottes à plateforme Stella McCartney.
Vous avez débuté dans la musique en 2009. Quel est votre secret pour rester aussi créative dans cette industrie ?
Assurez-vous de suivre vos propres instincts créatifs et non ce que vous pensez que les gens attendent de vous de manière créative. Apprendre à aborder mon travail de manière ludique est également devenu plus important pour moi.
She Reaches Out To She Reaches Out To She (2024) et Undone EP (2024) de Chelsea Wolfe, disponibles.