Rencontre avec Yoa, révélation scène des Victoires de la musique
Depuis la parution de son premier EP Attente en 2021, Yoa n’a eu de cesse de marquer le paysage de la bedroom pop française avec des titres engagés aux paroles souvent crues. Le 31 janvier 2025, la chanteuse franco-suisse dévoilait La Favorite, un premier disque puissant sur lequel elle évoque aussi bien le thème de la santé mentale que de la rupture amoureuse. Rencontre avec l’une des plus attachantes révélations tricolores de la chanson, sacrée aux Victoires de la musique.
propos recueillis par Nathan Merchadier.
Yoa, révélation bouleversante de la chanson française
En avril 2023, la chanteuse franco-suisse Yoa est l’une des invitées du concert très intimiste Qui va piano va sano, organisé par le label parisien Microqlima. Sous la nef de l’église Saint-Eustache (Paris), les paroles crues du titre Chanson triste (2022) résonnent d’une manière bien solennelle : “Parfois le soir, je me sens seule. Je ne contrôle plus ce qu’il y a dans ma tête. Je vais sur Pornhub pour me calmer. Une fois, dix fois, jusqu’à en pleurer”.
Dans ses textes, l’artiste à la voix céleste d’abord passée par le théâtre évoque sans tabou ses fantasmes ou encore son rapport à la santé mentale. Porte-parole d’une Gen Z apeurée à l’idée de devenir adulte, Yoa se façonne un style unique qui transcende les frontières de la bedroom pop, un genre auquel elle a souvent été réduite.
Une artiste sacrée aux Victoires de la musique 2025
Ce vendredi 31 janvier 2025, la brillante compositrice-interprète et productrice Yoa dévoile La Favorite, un premier album post-rupture ambitieux sur lequel elle se présente (enfin) au monde, après trois EP très prometteurs. À travers 15 titres influencés par la bossa nova (Matcha Queen), la techno (Mes copines), mais aussi par un R’n’B mâtiné d’hyperpop (Tu veux me ?), la jeune chanteuse découverte avec l’EP Attente (2021), partage ses états d’âmes, épaulée par le producteur Charlie Trimbur, proche collaborateur d’Eddy de Pretto ou encore de Woodkid.
Dans les mois à venir, Yoa, 26 ans, continuera – à coup sûr – de faire parler d’elle. Alors qu’elle vient tout juste de remporter le prix de “révélation scène” aux Victoires de la musique, l’artiste qui revendique 600 000 auditeurs mensuels sur Spotify, promet déjà de retourner la scène mythique de l’Olympia, le 15 avril prochain. Un matin pluvieux du mois de janvier, Numéro a rencontré, dans le salon feutré de son label parisien, une artiste bien ancrée dans son époque.
L’interview de Yoa, future star de la chanson française
Numéro : Quelques années après avoir dévoilé l’excellent EP Chansons tristes, vous sortez votre premier album. Vous sentiez que c’était le bon moment ?
Yoa : Cet album a maturé pendant près d’un an et demi et se présente comme un condensé des épreuves et des doutes que j’ai traversés durant cette période. Je l’ai imaginé comme une présentation de la personne que je suis aujourd’hui. Je suis très fière d’avoir réussi à aller au bout de ce disque car il est finalement très personnel.
Pourquoi avoir baptisé ce disque La Favorite ?
J’associe le terme “favorite” à un imaginaire très riche. S’il y a une favorite, c’est qu’il y a inévitablement une perdante et c’est aussi un rôle qui fait référence à l’idée de concours. Quand j’ai commencé la musique, les médias m’ont souvent mise en concurrence avec d’autres chanteuses telles que Zaho de Sagazan, ce qui était inévitable. C’est quelque chose que j’ai beaucoup déploré car c’est l’un des stratagèmes du patriarcat que de mettre en compétition des filles entre elles.
Par rapport à vos précédents EP, on retrouve dans cet album plus de sonorités électroniques qui lorgnent parfois même vers l’hyperpop…
J’adorerais me rapprocher de la scène hyperpop française, même si je trouve qu’aujourd’hui, ce terme est en train de perdre de son essence. À la base de l’hyperpop, il y avait une dimension politique car ces chansons étaient créées par des artistes marginalisés.
“J’ai eu beaucoup de problèmes de santé mentale en grandissant et j’avais l’impression d’être la seule au monde à ressentir cela.” Yoa
Parmi vos plus grandes influences, vous évoquez les chansons tristes de Soko mais aussi l’énergie corrosive des sets de la DJ et productrice électronique Rebeka Warrior…
Mes principales influences françaises sont des artistes comme Sexy Sushi, Rebeka Warrior ou encore Flavien Berger que j’ai énormément écouté en grandissant. Plus récemment, j’ai été en adoration devant Eloi, avec qui j’étais d’ailleurs au collège [rires].
La Favorite évoque les doutes et les passages de vie difficiles que l’on peut rencontrer à l’adolescence…
J’ai eu beaucoup de problèmes de santé mentale en grandissant et pendant longtemps, j’avais l’impression d’être la seule au monde à ressentir cela. C’est devenu essentiel pour moi d’en parler de manière plus ou moins performative.
Vous chantez parfois des paroles très crues sur la thématique du sexe. Est-ce une manière pour vous d’ôter un tabou ?
C’est important de parler de cette thématique sans gêne. J’en ai discuté avec beaucoup de chanteuses qui ont sorti des morceaux assez crus après moi. J’ai ressenti une immense fierté lorsqu’elles m’ont dit que mes textes les avaient parfois aidées.
“J’ai eu une adolescence triste mais très paisible.” Yoa
Vous avez récemment dévoilé le titre Le Collectionneur au cours d’une session Colors. Ce n’est pas un morceau anodin car il est porteur d’un message puissant sur les agressions sexuelles…
C’est la première fois que j’avais aussi peur de sortir un morceau et de savoir que la personne concernée allait l’écouter. Le fait que ce titre sorte via la plateforme Colors était aussi un élément important car cela faisait des années que je rêvais d’avoir ma propre session Colors. La réception du public a été très intense, dans le bon sens du terme. J’ai reçu beaucoup de messages très durs dans lesquels les gens se confient à moi. Mais si, à l’époque, une artiste avait écrit un texte sur ce sujet-là, je pense que je me serais confiée à elle de la même manière. Parfois, ils et elles ont réussi à aller porter plainte en écoutant ce morceau.
Êtes-vous nostalgique de votre adolescence ?
Il m’arrive effectivement de ressentir une certaine nostalgie. J’ai eu une adolescence triste mais aussi très paisible quand j’y pense avec un peu de recul. Parfois, je me dis que j’aimerais retrouver l’atmosphère de cette époque juste pour une journée. L’énergie y était très différente de celle d’aujourd’hui…
Sur les titres Bombe et Là-bas part.2, vous évoquez le thème de la rupture …
C’est amusant car lorsque j’ai écrit Bombe, j’avais pour ambition de la proposer à Wejdene. Au final, ça ne s’est pas fait donc, je l’ai récupérée et c’est devenu une chanson de rupture hyper sensible et très sincère. À l’échelle de l’album, c’est l’un des titres sur lequel on a le plus eu de difficultés pour l’arrangement car on s’était lancés sur un rythme très uptempo et joyeux. Finalement, j’ai changé d’équipe de production et je me suis mise à travailler avec Charlie Trimbur, un producteur que j’adore. Un jour, il a commencé à jouer du piano et j’ai dit : “C’est la première fois que cette chanson me touche vraiment ! ”. Pour Là-bas, part.2, j’étais en plein chagrin d’amour et j’ai écrit ce titre afin de demander pardon. Dans le cadre d’une rupture, c’est compliqué quand c’est toi qui as envie de partir. On ressent alors une forme de culpabilité.
“En finissant ce disque, je me suis rendue compte à quel point j’’étais en quête de vérité parce que le mensonge avait pris une place importante dans ma vie” Yoa.
Lors de vos concerts, vous accordez une place importante à la danse et aux mouvements. C’est une partie intégrante de la musique selon vous ?
Les pop stars américaines sont les artistes qui m’inspirent le plus car il y a quelque chose d’athlétique dans leur rapport au travail. C’est dommage car j’ai l’impression qu’en France, il n’y a pas beaucoup de performeurs et de performeuses qui sont danseurs et danseuses de profession. J’essaie d’instaurer cela dans mes concerts car c’est aussi ce que j’ai envie de voir sur scène.
Une partie de la musique actuelle est très liée à TikTok. Quelle posture adoptez-vous par rapport à cette application ?
Ce n’est pas productif de réfléchir à la composition d’un morceau en fonction du potentiel qu’il pourrait avoir sur les réseaux sociaux. Mais cette plateforme m’a fait reconsidérer mon rapport à la musique car parfois, je pense qu’il pouvait être très snob. Maintenant, si j’aime un titre, je l’écoute. Selon moi, il y a aussi un semblant de méritocratie qui se joue avec TikTok. Qui aurait pu prédire le succès du titre Kongolese sous BBL (2024) de Theodora ? Un morceau qui va exploser sur TikTok, c’est imprévisible et c’est là que j’y trouve de la méritocratie.
En écoutant certaines de vos interviews, il m’est apparu que la question de la vérité était l’une de vos grandes quêtes…
Pendant la création de cet album, j’ai beaucoup menti, à plein d’échelles de ma vie. Je me suis également beaucoup menti à moi-même. En finissant ce disque, je me suis rendu compte à quel point j’étais en quête de vérité parce que le mensonge avait pris une place importante dans ma vie. Donc oui, je suis plus que jamais dans une grande quête de vérité. D’un point de vue artistique, c’est étrange mais j’ai l’impression que je ne mens jamais. Je pense finalement que je suis plus courageuse quand j’écris que dans la vraie vie…
La Favorite de Yoa, disponible.