Le jour où 42 secondes suffirent à Sharon Stone pour créer le scandale dans Basic Instinct
Le 20 mars 1992, le thriller érotique Basic Instinct de Paul Verhoeven sort sur les écrans et provoque un séisme mondial. En quelques jours, il devient l’un des films plus sulfureux de l’Histoire du cinéma, aux côtés de long-métrages tels qu‘Emmanuelle et 9 Semaines ½ . Alors qu’un documentaire sur le sujet, Sharon Stone : l’instinct de survie, est présenté au Festival de Deauville, retour sur ce moment clé durant lequel le monde entier a aperçu l’intimité d’une star, Sharon Stone, à l’aura aussi hitchcockienne qu’incendiaire.
par Violaine Schütz.
En un seul film, Sharon Stone, Basic Instinct (1992), une actrice américaine blonde mi glaçante-mi incendiaire de 34 ans encore méconnue du grand public, est devenue une star. Mais ce n’est pas seulement grâce à la justesse de son interprétation de la romancière brillante, fatale et mystérieuse Catherine Tramell, accusée du meurtre d’un rockeur tué à San Francisco avec un pic à glace pendant un acte sexuel.
Tout repose sur un moment bien précis. Lors d’une scène cul(te) du thriller érotique mettant en scène Michael Douglas, cette femme riche, sûre d’elle, puissante et dangereuse, va durablement marquer les esprits. Il aura suffi d’un geste et de quelques secondes seulement : 42 en tout.
Lors d’un interrogatoire dans un commissariat, l’intimidante héroïne blonde allume une cigarette, ose un trait d’esprit (« Allez-vous m’arrêter parce qu’il est illégal de fumer ?« , glisse-t-elle aux enquêteurs de police), mais surtout croise et décroise les jambes.
Basic Instinct : l’éclosion de Sharon Stone en tant que sex-symbol
Malgré son caractère presque subliminal et la tenue virginale de l’actrice (une robe à col roulé blanc), cet instant demeure l’un des moments les plus commentés et les plus sulfureux du cinéma. En effet, durant ce court laps de temps, l’héroïne de Total Recall (1990) ne porte pas de culotte.
Ce qui à l’époque est loin d’être monnaie courante dans les films « mainstream ». Une fois le film sorti en VHS puis en DVD, la scène a continué de faire parler d’elle. En effet, des milliers de spectateurs pouvaient désormais appuyer sur la touche « pause » de leur télécommande pour mieux se rendre compte de l’audace. De quoi contribuer plus amplement à ériger l’actrice hitchcockienne en sex-symbol des années 90.
Des accusations s’inscrivant pleinement dans l’ère #MeToo
Dans ses mémoires parues en mars 2021 (intitulées La beauté de vivre deux fois), Sharon Stone pointe à nouveau du doigt l’attitude abusive du réalisateur et des producteurs du film qui n’ont pas respecté son consentement. Quand elle s’aperçut lors du visionnage qu’aucune censure n’avait été réalisée pour effacer son intimité du film, elle aurait frappé le réalisateur de Showgirls (1995) avant de vouloir engager une procédure légale (qu’elle abandonna finalement).
Dans des révélations qui s’inscrivent pleinement dans le mouvement #MeToo, elle écrit : « Après avoir tourné Basic Instinct, j’ai été appelée pour le voir. Mais pas seulement en présence du réalisateur, comme on pouvait s’y attendre (…) mais dans une salle remplie d’avocats, dont la plupart n’avaient rien à voir avec le projet. C’est comme ça que j’ai vu en gros plan mon vagin pour la première fois, bien après qu’on m’ait dit : “On ne verra rien, j’ai juste besoin que tu enlèves ta culotte car la couleur blanche fait réfléchir la lumière. Je suis allée dans la cabine de projection, j’ai giflé Paul [Verhoeven], je suis partie et j’ai appelé mon avocat. »
Sharon Stone en profite pour rappeler pourquoi la scène a tant choqué à l’époque. Elle précise dans son livre : « Souvenez-vous, nous étions en 1992, et non aujourd’hui où tout le monde peut voir des pénis en érection sur Netflix. » On notera également que si le réalisateur d’Elle (2016) ne respecta pas les volontés de son actrice montante (qui toucha 500 000 dollars pour ce film), il n’en fit pas de même pour sa star masculine, Michael Douglas.
L’acteur qui a reçu une Palme d’or d’honneur au Festival de Cannes 2023 était déjà bien installé à Hollywood à ce moment-là, ce qui lui permit d’être payé 14 millions de dollars et de refuser que son intimité apparaisse à l’écran.
Des désaccords entre Paul Verhoeven et Sharon Stone
Si le film s’avère à première vue excitant, se classant avec Emmanuelle (1974) et 9 Semaines ½ (1986) comme l’un des plus sexy du cinéma, les dessous du fameux plan seraient en fait bien moins reluisants. Le long-métrage poserait en effet les mêmes problèmes de consentement que Le dernier Tango à Paris (1972) qui traumatisa la jeune Maria Schneider.
Dès 2014, Sharon Stone révèle dans des interviews (et dans le documentaire Sharon Stone : l’instinct de survie (présenté au Festival de Deauville 2024), ne pas avoir été mise au courant des projets du réalisateur, Paul Verhoeven, tandis que ce dernier soutient qu’elle était pleinement consciente de ses choix artistiques. Il raconta même plus tard dans un entretien que l’actrice lui avait offert la culotte.
La star déclare quant à elle que le cinéaste (et le directeur de la photographie) lui ont demandé de retirer sa culotte blanche car on la voyait trop à la caméra, le blanc reflétait la lumière. Mais le réalisateur lui aurait alors juré qu’on ne verrait pas son entrejambe au montage. Ce n’est que plus tard que le cinéaste lui projette le film terminé avant d’aller au Festival de Cannes et que, choquée, Sharon Stone découvre la séquence osée.
L’influence de Sharon Stone sur Lily-Rose Depp
Depuis, l’invention du métier de coordinateur d’intimité, et l’ouverture d’une véritable discussion publique autour du consentement, initiée grâce à de nouvelles générations de féministes très présentes sur les réseaux sociaux, permet de voir les choses sous un tout autre angle. Si Basic Instinct (qui a été rediffusé en salle l’an dernier dans une version restaurée) était sorti en 2023, il y a fort à parier qu’il n’aurait pas échapper à la « cancel culture » ainsi qu’à de violentes critiques sur Twitter.
Il n’en demeure pas moins que Sharon Stone, qui a déclaré en mars dernier avoir perdu la garde de son fils aîné à cause de Basic Instinct, incarne dans ce film un rôle de femme puissante, intelligente et complexe, et non un simple objet de désir soumis à la volonté des hommes. Et l’aura de son personnage perdure. Lily-Rose Depp a notamment avoué s’être inspirée de l’héroïne de Basic Instinct pour nourrir son rôle de pop star sexy et délurée dans la très controversée The Idol.
Basic Instinct (1992) de Paul Verhoeven, disponible sur Canal VOD. Le documentaire Sharon Stone : l’instinct de survie (2024) de Nathalie Labarthe n’a pas encore de date de sortie.