8 mai 2025

Rencontre avec Diane Rouxel, l’actrice française à suivre de près

Derrière son visage angélique, la jeune actrice française cultive une détermination sans faille ainsi qu’un certain goût du risque. Dans Les Garçons sauvages, de Bertrand Mandico, elle incarnait un homme, et dans Volontaire, d’Hélène Filières, une jeune militaire résolue à faire sa place dans la marine. On la découvrira plus intense que jamais à l’affiche de Louise, un mélodrame familial de Nicolas Keitel.

  • par Olivier Joyard

    réalisation Rebecca Bleynie

    portraits Luc Braquet .

  • L’interview de Diane Rouxel, à l’affiche du film Louise

    Au fur et à mesure que nous parlons avec Diane Rouxel, les clichés associés au concept de “jeune actrice de cinéma” s’évaporent. Spontanée mais aussi très réfléchie, un peu hors-sol mais capable de savoir exactement où elle va, la Française de 31 ans n’entre dans aucune case, après dix ans de carrière menés avec une dextérité et un sens de la surprise permanents.

    On l’a croisée notamment dans les films d’Hélène Fillières (Volontaire), de Jean-Paul Civeyrac (Mes provinciales) et de Bertrand Mandico (Les Garçons sauvages), ce qui pourrait l’associer à un cinéma d’auteur porté sur la forme, loin des schémas ordinaires.

    Elle vient pourtant d’incarner Louise, personnage éponyme du premier film du jeune réalisateur Nicolas Keitel, qu’elle décrit comme “un mélodrame teinté de suspense, autour d’une famille, un film d’auteur, oui, très cinématographique et émotionnel”.

    Je ne me verrais pas jouer un rôle que je ne défendrais pas sincèrement ensuite dans les interviews.” Diane Rouxel.

    Le cinéaste lui a offert ce premier rôle auprès de Cécile de France et de Salomé Dewaels, celui d’une vingtenaire qui, après avoir vécu un drame familial à l’âge de 10 ans, a été séparée de sa mère et de sa sœur avant de les retrouver quinze ans plus tard. “Le scénario m’avait beaucoup émue, explique Diane Rouxel, et, dès la première rencontre avec le réalisateur, j’ai été séduite. Ce qui m’a attirée, c’est de sentir que Nicolas Keitel avait une vraie vision. Il était sûr de lui, même s’il s’agit de son premier film. C’est agréable de travailler avec des metteurs en scène qui nous emmènent quelque part. L’autre aspect, c’est que je devais jouer un personnage plus sombre que ceux que j’avais connus jusque-là, en contraste avec celle que je suis dans la vie. J’ai senti que je devais accomplir un vrai travail d’interprétation. Nicolas m’a demandé de casser mon côté lumineux pour aller chercher l’intériorité d’une femme blessée.

    Une actrice à suivre de près

    Diane Rouxel dresse son autoportrait en actrice de plus en plus libérée, à la recherche de personnages au caractère affirmé. “Je ne me verrais pas jouer un rôle que je ne défendrais pas sincèrement ensuite dans les interviews.”, explique-t-elle fermement.

    Il n’y a donc pas besoin d’être une star mondiale pour mettre en avant des exigences. C’est peut-être de cette manière que se construisent les carrières les plus fluides. “Je crois que l’aime bien me trouver là où on ne m’attend pas, à travers des rôles qui exigent un défi. Chez Hélène Fillières, c’était de jouer une fille recrutée dans la marine et les commandos, avec une importante préparation physique avant le tournage. En grandissant, j’ai moins peur des rôles très différents de moi. Il m’est arrivé de lire un scénario en me demandant comment j’allais pouvoir faire telle ou te le chose. Maintenant, la difficulté me donne envie. Dans la vie, j’ai aussi ce côté tout-terrain. Je prends des risques.

    Rien n’impressionne vraiment celle qui a quitté sa Haute-Savoie natale à l’âge de 17 ans, quand sa famille a suivi son père architecte venu travailler à Paris. Elle perd alors son ancrage. “C’était un peu une claque en arrivant, mais je me suis trouvé une bande de copains grâce au skate. De fil en aiguille, j’ai construit mon petit nid à Paris.

    Des premiers pas remarqués au cinéma

    Pour aller au lycée – puis en première année de fac d’arts plastiques où elle fera un passage éphémère -, Diane Rouxel utilise son skate. Une manière de se fondre dans la masse urbaine de la capitale, à moins qu’elle ne se soit distinguée des autres avec ce mode de déplacement atypique pour une post-ado venue de la montagne.

    C’est en tout cas ce qu’ont pensé les émissaires du réalisateur Larry Clark, à la recherche d’acteurs et d’actrices non professionnels lors d’un casting sauvage. Diane Rouxel est repérée dans la rue et embringuée dans un projet un peu fou, qui reste l’avant-dernier film à ce jour du réalisateur de Kids (1995), désormais octogénaire.

    The Smell of Us (2014) raconte l’histoire de quatre adolescents dans Paris, qui repoussent les limites de l’exploration – drogues, sexe tarifé, errance – dans le plus pur style du cinéaste américain. Le film joue avec le feu. L’acteur Lukas lonesco a quitté le tournage avant son terme suite à une brouille avec Larry Clark, qu’il a accusé de pervertir la frontière entre vie privée et jeu, ainsi que de manipulation.

    Comme je faisais du skate, les gens autour de moi trouvaient ça génial que je sois sollicitée par Larry Clark.” Diane Rouxel

    Plus d’une décennie après, Diane Rouxel se souvient de la manière dont elle a vécu ce film. “Je sentais que c’était important. Comme je faisais du skate, les gens autour de moi trouvaient ça génial que je sois sollicitée par Larry Clark. Il a réussi à créer une bande, nous étions devenus assez copains avec les autres comédiens. J’ai regardé tout son travail que j’ai trouvé très bien. Même si le film a été compliqué, j’ai beaucoup aimé le fait de jouer.

    Le virus du cinéma était donc installé en elle, raccrochant Diane Rouxel à son enfance avec deux grands frères, à une époque où les spectacles faits maison et les petits films étaient fréquents. “Nous aimions bien nous construire des récits, nous filmer en vacances, tourner des sketches. Notre premier film s’appelait Le Retour de la mort du tueur. [Rires.] Je jouais avec une couleuvre qui faisait figure de monstre du lac. J’adorais ça, mais je n’imaginais pas, grandissant en Haute-Savoie, pouvoir un jour en faire mon métier.

    Sa métamorphose en homme pour Bertrand Mondico

    En une dizaine de longs-métrages, Diane Rouxel a pourtant imposé son style impeccable et une façon de déjouer les codes et les attentes liés à la beauté. Son allure est empreinte d’une certaine étrangeté, que l’on verrait bien associée au cinéma de genre, ce qui n’a pas encore été vraiment le cas.

    À moins que l’on considère le film de Bertrand Mandico, Les Garçons sauvages (2017), comme un travail sur le genre, au sens queer du terme. Dans cette odyssée sombre et lyrique, elle joue d’ailleurs un homme, le cinéaste ayant souhaité brouiller les frontières. “J’ai été marquée par le travail avec Bertrand Mandico. Il m’a bousculée. Et pour cause, je jouais un garçon. C’était un énorme plaisir, le travail du corps, la démarche… Mandico a des thèmes et un univers très particuliers que j’ai pris plaisir à connaître. Je me souviens être allée chez lui, une maison pleine de petits objets, des poupées notamment !” 

    Je ne suis jamais plus heureuse que lorsque je tourne.” Diane Rouxel

    Si elle raconte qu’Emmanuelle Bercot – qui l’a fait tourner dans La Tête haute en 2015 – a débloqué quelque chose en elle sur sa capacité à jouer, à entrer dans les clous de ce que la plupart des scénarios exigent, elle n’a pas le discours classique d’une comédienne qui souhaite intégrer un système. Non pas que Diane Rouxel refuse le système du cinéma, mais sa quête semble plus large. “Je ne suis jamais plus heureuse que lorsque je tourne. Dans mon entourage, il y a des comédiens et des comédiennes, mais j’ai aussi beaucoup d’autres activités. Le design m’intéresse énormément et, l’an dernier, j’ai créé des meubles : tabourets, chaises… Je me suis aussi mise à écrire des scénarios.

    Du design au scénario, les projets de Diane Rouxel

    Parmi ses projets, l’histoire d’un jeune garçon qui se passionne pour la danse contemporaine. Un intrus dans un milieu que Diane Rouxel a fréquenté durant quinze ans sans y croiser un seul homme. Le fil de la vie la mènera peut-être jusqu’à la réalisation, elle qui voue une passion à Jim Jarmusch, dont le film Down by Law (1986) l’a marquée. “Ce qui est fort, c’est qu’avec une histoire simple comme celle d’une évasion, il nous emporte et fait un truc génial en termes de mise en scène. Souvent, je pense à lui quand j’écris en me disant que c’est la manière dont tu racontes une histoire qui est importante, pas forcément la situation.

    En attendant d’ouvrir encore ses horizons, la trentenaire profite d’un moment particulier du cinéma français, à la fois plus dynamique qu’il y a quelques années et favorable à certaines trajectoires féminines. Son approche est encore une fois singulière. “Être une jeune femme dans le cinéma français contemporain, c’est s’affranchir des peurs que l’on peut projeter sur vous et des peurs que l’on peut avoir à propos de soi-même. Si quelqu’un me dit que je ne peux pas faire une chose, cela peut me donner envie de m’émanciper plutôt que de me rétracter. C’est ce qui me fait plaisir en me voyant évoluer : j’ai moins peur et je me sens plus libre. Je trouve qu’on propose beaucoup plus de premiers rôles féminins aujourd’hui. Des films remplis d’actrices comme The Substance et Emilia Pérez marchent très bien. C’est assez stimulant d’assister à ça. Le sujet vient souvent dans les discussions entre actrices de ma génération. On se soutient, on pense qu’il y a de la place pour tout le monde.

    Le film Louise (2025) de Nicolas Keitel n’a pas encore de date de sortie.

    Coiffure : Étienne Sekola pour le salon Étienne Sekola. Maquillage : Ruby Mazuel chez Call My Agent. Manucure : Anatole Rainey chez B. Agency. Assistant photographe : Eliott Kaçmann. Assistant réalisation : Thibaud Romain. Production : Charlette Studio.