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Rencontre avec Cécile de France, héroïne habitée du film Bonnard, Pierre et Marthe
Ce mercredi 10 janvier, l’actrice belge solaire Cécile de France est à l’affiche de l’émouvant film Bonnard, Pierre et Marthe, aux côtés de Vincent Macaigne. Elle y incarne une muse (celle du peintre Pierre Bonnard) et une artiste aussi sensuelle qu’énigmatique et amoureuse, qui sombre peu à peu dans la folie. Un rôle complexe – sans doute l’un des meilleurs de sa carrière – dont elle dévoile les secrets à Numéro.
propos recueillis par Violaine Schütz.
Depuis son apparition solaire et sensuelle dans L’Auberge espagnole (2002), l’actrice belge Cécile de France a enchaîné les rôles intenses, incarnant souvent des amoureuses éperdues, des femmes libres et, de plus en plus, des personnages hors norme et complexes. Après avoir brillé dans La Belle Saison (2015), Mademoiselle de Joncquières (2018), Illusions perdues (2021), la comédienne et anti-star de 49 ans – qui a refusé d’être la compagne de Brad Pitt dans un film car elle n’aimait pas les histoires de zombies – réalise sans doute l’une de ses plus belles performances dans Bonnard, Pierre et Marthe de Martin Provost (Séraphine), diffusé ce mardi 10 septembre 2024 sur Canal+.
Cécile de France, actrice incontournable du cinéma français à l’affiche de Bonnard, Pierre et Marthe
Instinctive et naturelle, celle qui a tourné pour Wes Anderson et Paolo Sorrentino joue avec beaucoup de subtilité et de ferveur l’envoûtante Marthe Bonnard, qui fut la femme et la muse du peintre Pierre Bonnard, face à un Vincent Macaigne habité. Transfuge de classe qui s’invente une nouvelle identité, artiste sur le tard et femme éprise d’un homme volage, l’énigmatique Marthe hante l’œuvre de Pierre Bonnard qui lui doit en très grande partie son inspiration voire son succès. À l’occasion de cette performance troublante, Cécile de France nous dévoile les secrets de ce rôle et revient sur les plus beaux moments de sa carrière.
L’interview de Cécile de France
Numéro : Est-ce que c’est l’envie de faire découvrir une femme peintre oubliée qui a vécu dans l’ombre de son mari qui vous a motivée à rejoindre ce projet : Bonnard, Pierre et Marthe ?
Cécile de France : Non, pour être honnête, ce n’est pas vraiment ça. Même si j’ai pris énormément de plaisir à tourner les scènes de peinture. C’était extraordinaire, troublant et excitant parce que j’étais à la fois Cécile qui incarnait Marthe et Marthe qui, elle-même, dessinait. Mais c’était plutôt la richesse du personnage qui me plaisait… D’abord, il y a toute cette trajectoire, de la jeunesse à la vieillesse… On voit Marthe dès le premier jour de sa rencontre avec Pierre (Bonnard) jusqu’à sa mort. Elle a eu cette idée incroyable de s’offrir une autre vie avec cette nouvelle identité, pour accéder à cet idéal social avec Pierre, alors qu’elle vient d’un milieu très modeste. Elle s’invente dès le début de leur histoire un nom d’aristocrate italienne (Marthe de Méligny) alors que son vrai nom est Maria Boursin. Et puis, ce mensonge va l’enfermer pendant 35 ans. C’est une transfuge de classe, mais elle est prisonnière de son secret. Il y a aussi ses crises d’asthme et tous ces morts dans sa famille du Berry. Car la mort rodait beaucoup dans son enfance. Enfin, elle va se mettre à l’art puis va devenir folle, psychotique… Il y avait donc tellement de choses à jouer.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus chez Marthe Bonnard ?
Sa fusion avec la nature, ce lien quasiment mystique qu’elle a avec l’eau (elle se baigne tout le temps). C’est un personnage sauvage, singulier, énigmatique, bien sûr, de par son secret sur ses origines et son passé avant sa vie avec Pierre, entourée d’autres artistes, à Paris. Il y a eu beaucoup de gens de l’époque qui ont essayé d’écrire sur elle mais ils n’ont jamais vraiment réussi à cerner qui elle était. Son côté menaçant aussi, sa dangerosité face à ses rivales sociales ou amoureuses (Misia Sert jouée par Anouk Grinberg ou encore Renée, la maîtresse de Pierre, incarnée par Stacy Martin) était intéressant. Tout ça en faisait un rôle vraiment exceptionnel que je ne pouvais pas refuser.
« La nudité à l’écran est un travail très précis, à l’image du maquillage. » Cécile de France
Marthe aurait été peinte plus de 1000 fois par Pierre Bonnard. Avez-vous longuement observé ces toiles pour entrer dans sa peau ?
Oui, mais ce qui est très intriguant, c’est qu’on ne voit presque jamais son visage. Son corps est représenté mais ses traits sont souvent flous comme si elle était enfermée dans un monde secret et inaccessible. Après, j’ai fait ce que j’ai pu pour lui ressembler en me teignant en brune, mais comme elle était mystérieuse et pas connue, ça nous laissait de la liberté concernant la ressemblance physique avec Marthe.
Vous vous êtes initiée au pastel pour ce rôle…
Oui, j’ai retrouvé mon enfance parce que j’étais inscrite aux Beaux-Arts quand j’avais 10 ans. J’aimais bien dessiner et les pastels. C’était assez amusant et plutôt facile, au final, de s’y remettre. Et puis c’était beaucoup de plaisir, parce que c’était plus facile pour moi que pour Vincent (Macaigne), puisque la peinture de Pierre est plus précise, alors que celle de Marthe est vraiment très instinctive, simplifiée et naïve. La graveuse et peintre Édith Baudrand, qui a réalisé les reproductions des œuvres, a été une professeure exceptionnelle. Avec beaucoup de patience, de temps, de disponibilité, elle nous a initiés à la peinture de nos personnages respectifs.
Il y a beaucoup de scènes de nudité dans le film. Avez-vous des appréhensions par rapport à la nudité à l’écran ?
Pour chaque film, c’est différent. Ce n’est pas juste : « Allez, je me fous à poil! » Tout dépend de ce qu’on raconte. Il y a une vraie réflexion à avoir à chaque fois, une discussion à entretenir avec un metteur en scène ou une metteuse en scène. Et un partage, un vrai respect, un modus vivendi à trouver avec les effets du cinéma, les doublures… Ce serait dommage de faire des généralités alors que c’est un travail très précis, à l’image du maquillage. Pour les prothèses et le maquillage, on passe des heures et des heures à faire en sorte que ça ait l’air le plus réel possible à l’écran. C’est pareil, je pense, pour la nudité. C’est bien que ça demeure la volonté des artistes de dévoiler s’il s’agit d’une doublure pas. Ça reste des secrets de fabrication. Moi je trouve que c’est bien de ne pas trop en révéler.
« Ce qui est est intéressant, c’est de pouvoir, grâce à mon métier, jouer des filles qui font des choses que je n’oserais peut-être pas tenter dans la réalité. » Cécile de France
Vous jouez quelqu’un d’asthmatique et qui sombre dans la folie. Est-ce que ça a été l’un de vos rôles les plus difficiles à jouer ?
Non. J’ai toujours été accompagnée par beaucoup d’amour, d’encouragement. Et je me suis amusée. Les conditions étaient merveilleuses et l’environnement était doux.. On était dans cette nature si belle, comme portés par elle, en Normandie (à Vernon) et dans le Sud.
C’était moins difficile que votre tournage récent du film Dans l’eau, à Metz, dans les eaux glaciales de la Moselle…
Oui, on a eu quelques scènes dans La Moselle, avec des enfants, mais en même temps, c’était très préparé avec les cascadeurs. Donc c’était excitant aussi. On fait un métier vraiment hors du commun : on a la chance de vivre quelques fois des aventures extraordinaires. Dans l’eau est un film d’Elise Otzenberger qui raconte l’histoire d’une famille et notamment d’une maman un peu au bord de la crise, qui a deux petits garçons. Et c’est rare que je joue le rôle d’une maman. C’est arrivé sur le tard… Grâce à l’aîné de ses garçons, ce personnage va tout d’un coup être embarqué dans une histoire fantastique. J’adore ce genre d’univers, notamment Spielberg et Stranger Things.
En parlant de choses hors du commun, avec La Passagère (dans lequel vous jouez une femme ayant une relation avec un homme plus jeune), vous semblez aller vers des personnages hors norme…
J’essaie d’accepter des choses que je n’ai pas encore faites. Dans La Passagère, c’est un personnage assez désobéissant. Ça, ça m’intéressait. Et Marthe est un personnage très singulier et dangereux.
« On est toujours un peu impressionnés par des grands noms internationaux. Tout d’un coup, on a 5 ans et on redevient une petite comédienne pas connue, ce qui est toujours excitant. » Cécile de France
Ce qui est étonnant, c’est que ce sont des personnages très décriés par leur entourage alors que vous, dans la vraie vie, vous faites l’unanimité…
Merci, c’est gentil (rires). C’est ça qui est intéressant, de pouvoir, grâce à mon métier, jouer des filles qui font des choses que je n’oserais peut-être pas tenter dans la réalité. Mais à travers mes personnages, je vis ces choses-là par procuration.
Vous avez joué dans beaucoup de films d’époque comme Illusions perdues ou Mademoiselle de Joncquières. Comment expliquez-vous que vous attiriez ce genre de projets ?
J’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de films d’époque. Ensuite, c’est quelque chose qui m’attire, d’abord en tant que spectatrice. Je suis une très bonne cliente. Et puis, il y a un peu de hasard. Peut-être que, quand je dois choisir entre deux films, ça joue de manière inconsciente. Mais il ne faut pas non plus que je m’enferme. Ce n’est pas mon but. Au final, c’est la qualité du rôle, du metteur en scène et du scénario qui priment. Avant d’être des films d’époque, Illusions perdues et Mademoiselle de Joncquières, ce sont des très bons scénarios.
Vous avez tourné dans The French Dispatch de Wes Anderson, dans The Young Pope de Paolo Sorrentino ou encore dans Au-delà de Clint Eastwood ou Le Tour du monde en quatre-vingts jours. Est-ce que ce sont des tournages très différents des tournages français ?
On est toujours un peu impressionnés par des grands noms internationaux. Tout d’un coup, on a 5 ans et on redevient une petite comédienne pas connue, ce qui est toujours excitant. Cela permet surtout de les voir travailler, de voir un peu comment un génie bosse. On est émerveillé. Et puis, finalement, on se rend compte que peu importe les nationalités, ce sont des artistes qui ont chacun leur univers, tout comme on retrouve des différences entre deux réalisateurs français. Quand vous êtes sur un plateau de tournage de Wes Anderson ou d’un film plus petit film où il y a peut- être moins de budget, il y a moins de monde sur le plateau, mais ça reste la même fabrication artisanale. C’est assez universel.
« Je ne veux pas être retouchée sur les séances photos car j’ai envie de représenter des personnages qui existent vraiment dans la vie. » Cécile de France
Vous avez déjà fait preuve de convictions écolo en signant une tribune contre le réchauffement climatique dans Le Monde. Et dans Bonnard, Pierre et Marthe, vous êtes très liée à la nature…
C’est vrai mais je pense que le film Un monde plus grand (2019) a été plus fort d’un point de vue écolo. Pendant la promo de ce film, je crois qu’on ne parlait pas encore d’écoféminisme. Une étudiante m’avait donné sa thèse et pour la première fois, j’ai vu ce mot écrit. On m’a toujours un peu associée à ce côté « nature » et je suis sensible à ça, mais ma vie, ce n’est pas non plus que ça. En tant que comédienne, j’aime raconter plein d’histoires différentes.
Vous êtes très discrète… Est-ce important de conserver une part de mystère et de fuir les mondanités pour votre équilibre ?
On a tous le choix. On n’est pas obligé, quand on devient une actrice connue, de s’exposer en dehors des écrans. Je trouve que je suis déjà très exposée, que ce soit au cinéma ou dans les magazines… Alors je fais ce que je dois faire pour que le film existe, notamment des journées d’interviews organisées par les attachés de presse et le distributeur. Il y a vraiment un rassemblement de compétences pour qu’un film vive et qu’un maximum de gens aillent le voir. Ça, j’y participe car j’estime que ça fait partie de ma mission. J’ai un sens profond de mon métier qui va jusque-là. Et c’est tout. C’est-à-dire que tout le reste, c’est du superflu qui ne fait pas forcément dans ma culture. Je n’ai pas du tout été éduquée comme ça. Je ne suis pas attirée naturellement par cet univers-là. Après, ça pourra arriver un jour peut-être. Ce n’est pas un calcul non plus.
J’ai entendu dire que pour les séances photos et les couvertures de magazines, vous demandez à ne pas être retouchée…
Oui, pour toutes les séances photo. J’ai envie de représenter des personnages qui existent vraiment dans la vie réelle. Or, les gens ne sont pas retouchés dans la vraie vie. J’ai envie que, pour les spectateurs et les spectatrices en particulier, puisque je suis une femme et qu’elles peuvent s’identifier à moi, on raconte des histoires dans lesquelles elles peuvent se reconnaître. Si on est toujours dans un idéal absolu, au bout d’un moment, les femmes se détachent des héroïnes qu’on leur propose… Ça ne peut pas résonner avec leur vie puisqu’elles ne se reconnaîtront pas dans les femmes montrées. Je trouve ça essentiel que l’on puisse se retrouver dans les personnages que je joue. Parce que l’identification est importante au cinéma. Pendant longtemps, il y a eu une carence de représentation énorme concernant les femmes de plus de 40 ans à l’écran… Heureusement, les choses sont en train de bouger lentement mais sûrement. Je suis assez optimiste là-dessus. Donc autant participer. Si un mouvement est lancé, allons- y. C’est un élan qui fait du bien.
Bonnard, Pierre et Marthe (2024) de Martin Provost, avec Cécile de France, Vincent Macaigne et Stacy Martin, au cinéma le 10 janvier 2024.