10 mar 2025

Rencontre avec Paolo Sorrentino : “Je suis un homme très sérieux qui se débarrasse des problèmes grâce à l’ironie…”

Dans Parthenope, son nouveau long-métrage, le réalisateur Paolo Sorrentino écrit une nouvelle lettre d’amour à la ville de Naples, sa terre natale, dont il dresse un portrait fascinant et mélancolique à travers le destin de son héroïne.

Propos recueillis par Delphine Roche.

L’interview de Paolo Sorrentino, réalisateur du film Parthenope

Numéro : Qu’est-ce qui vous a donné envie de tourner un nouveau film à Naples, après La Main de Dieu?Paolo Sorrentino : Naples n’était pas le sujet de La Main de Dieu, même si le film y était tourné. Je m’y concentrais plutôt sur l’histoire de ma famille. J’ai donc pensé qu’il serait intéressant de consacrer un film à la ville elle-même,
qui est, comme toutes les grandes villes, un monde en soi.

L’essentiel de l’action de Parthenope se situe dans les magnifiques villas de Pausilippe ainsi qu’à Capri. Vous montrez très brièvement un quartier pauvre et ses habitants, et le film se conclut avec les supporters du Napoli, fêtant en 2023 sa victoire au championnat de foot. Quelle était votre intention?

Je souhaitais surtout que les personnages secondaires du film représentent chacun un aspect de l’âme de la ville, où cohabitent la richesse et la pauvreté, la beauté et l’horreur, le sacré et le profane. Le personnage de l’évêque incarne cette contradiction du sacré et du profane dans notre cité, tandis que le professeur Marotta représente sa grande tradition de culture et d’érudition. Chacun exprime donc quelque chose de cette ville telle que je l’ai connue, ou plutôt, telle que je l’ai imaginée. Bien que j’y aie vécu jusqu’à mes 37 ans, Naples m’a toujours effrayé. Je l’ai fréquentée sur la pointe des pieds. Ce film était pour moi l’occasion de plonger enfin pleinement dans son tissu.

Quelle importance a revêtue le cinéma napolitain dans votre parcours?

Il a été essentiel. J’ai commencé à imaginer que je pourrais faire des films parce que, dans les années 90, Naples est devenue un vivier de cinéastes talentueux tels qu’Antonio Capuano, Mario Martone et Pappi Corsicato. Pour moi qui étais jeune, c’était un moment enthousiasmant. J’ai voulu faire partie de ce monde, et j’ai eu la chance d’y être accueilli. Cette scène napolitaine était mue par la passion et l’ingénuité, on n’y trouvait pas du tout le professionnalisme du monde du cinéma romain, que j’ai connu par la suite. Nous ne savions pas vraiment comment faire des films. Capuano était alors scénographe pour la télévision, Martone était metteur en scène de théâtre, de même que Corsicato, si je ne me trompe pas. C’était formidable d’être avec eux, même si j’étais un peu la dernière roue de leur carrosse !

Le film exsude une mélancolie très forte, malgré la beauté enivrante des paysages et celle de sa merveilleuse actrice, Celeste Dalla Porta. Au début du film, un personnage dit qu’il est impossible d’être heureux dans le plus bel endroit du monde. Est-ce votre opinion?

La splendeur de Naples peut donner l’impression d’être toujours en vacances, et cela peut générer un état permanent d’abandon, de contemplation. Il y a un danger dans ce désir de se laisser aller car, pour être heureux, nous avons besoin d’être productifs, de participer à une vie active.

La bande-annonce de Parthenope de Paolo Sorrentino.

Dans Parthenope, on retrouve la satire féroce, nuancée de plus ou moins de tendresse, qui est typique de vos films. Elle s’attache à plusieurs personnages qui sont dépeints comme monstrueux mais aussi vulnérables.

C’est un peu ma façon d’être au monde. Je suis une personne très grave, sérieuse, qui se débarrasse des problèmes grâce à l’ironie, peut-être parce que je ne suis pas capable de les affronter. J’ai besoin de l’ironie pour m’alléger, pour fuir, et cela se reflète nécessairement dans mes films et dans mes personnages.

Dans La Grande Bellezza, votre satire était féroce, notamment envers les personnages du monde du cinéma, c’est également le cas dans Parthenope. Pourquoi leur en voulez- vous tant?

Je n’ai pas l’intention de critiquer les gens du cinéma. Ils sont tout simplement ceux que je connais le mieux, puisque je suis réalisateur. À force de les fréquenter, je suis peut-être plus habitué à reconnaître leurs faiblesses, probablement parce que ce sont également les miennes. Faisant moi-même partie de ce monde, je peux plus facilement en raconter les vanités, les illusions, l’écart qui existe entre la confiance en soi affichée par ces personnes et le fait qu’elles soient en réalité très malheureuses, très humaines et très réelles.

Le personnage de Parthenope traverse les années avec une mélancolie désinvolte, disant qu’elle cherche sans cesse la réplique juste. Bien qu’elle réussisse brillamment sa carrière universitaire, elle reste comme perdue… Comment avez-vous imaginé sa trajectoire?

Le film est, à cet égard, un peu autobiographique, car on dit toujours de moi qu’on ne sait jamais ce que je pense, que je tiens les autres à distance avec des pirouettes et des répliques. Le film est en soi mélancolique car il s’attache au temps qui passe, à la façon dont nous changeons, si bien que certaines choses qui nous semblaient essentielles un jour nous semblent insignifiantes trente ans plus tard. Le personnage de Parthenope a, très jeune, cette conscience que la vie sera un long fleuve où les choses se sédimentent, changent, et ne deviennent jamais vraiment cruciales. Elle ne donne pas vraiment d’importance à la vie.

Aviez-vous une intention féministe en imaginant cette protagoniste qui refuse de devenir actrice et choisit un destin universitaire, qui ne se marie pas et ne fait pas d’enfants?

Pas du tout, je ne suis pas vraiment au fait des thématiques féministes. Sa trajectoire est plutôt liée à l’influence de la ville de Naples qui invite à se laisser vivre, à suivre le cours des jours sans rien forcer. Je voulais qu’elle traverse la vie avec un mélange de mélancolie et de légèreté, car je pense qu’il est beau de traverser la vie ainsi.

Les images, et surtout la musique du film, qui se déroule des années 50 à 2020, diffusent par moments une certaine nostalgie, vous considérez-vous comme une personne nostalgique ?

Je l’ai été par le passé, mais, avec le passage du temps, je le suis aujourd’hui beaucoup moins. Je ne trouve pas que le film soit nostalgique. En vieillissant, on s’interroge au contraire davantage sur le futur que sur le passé.

Et le futur du cinéma, comment l’envisagez- vous ?

On me pose souvent cette question, et je ne sais quoi répondre. Je pense qu’il existe une sorte de besoin physiologique des gens à s’entendre raconter des histoires à travers des images, alors il me semble évident que le cinéma ne mourra pas. Je ne sais pas s’il perdurera à travers les projections en salle ou à travers les plateformes. Voir un film sur un ordinateur, par exemple, me permet d’avoir un rapport plus personnel avec lui, comme lorsqu’on lit un roman. Je ne suis pas un fétichiste de la salle de cinéma. De toute façon, ce sont des questions propres à l’industrie du cinéma. L’essentiel n’est pas là.

Parthenope de Paolo Sorrentino, coproduit par Saint Laurent Productions. Sortie le 12 mars.