Clédia Fourniau, artiste lauréate du Prix Reiffers Art Initiatives 2024
Ce mercredi 24 avril, Reiffers Art Initiatives dévoilait le nom de la lauréate de son prix 2024 : Clédia Fourniau, qui succède ainsi à Pol Taburet et Ser Serpas. Présentée jusqu’au 8 juin dans l’exposition (Re)generation au 30 rue des Acacias (Paris 17e), la jeune Française a été sélectionnée par le comité artistique du fonds de dotation composé de personnalités influentes du monde de l’art et de la culture. Ses créations aux couleurs chatoyantes, explorant le côté gestuel de la peinture abstraite, semblent à la fois se déployer et se replier sur elles-mêmes dans un mouvement étourdissant.
Portrait par Axle Jozeph.
Texte par Elsa Vettier.
Clédia Fourniau, artiste lauréate du Prix Reiffers Art Initatives
Clédia Fourniau dit “fabriquer” ses peintures. Une façon d’insister sur leur qualité d’objet et sur la manière dont elle les réalise : entre production industrielle et cuisine expérimentale. En faisant intervenir des outils et des produits a priori exogènes au domaine de la peinture (comme une résine propre à l’industrie nautique ou des douilles de pâtisserie), l’artiste lauréate du Prix Reiffers Art Initiatives élabore ses tableaux au fil d’un processus qui ménage logique mécanique et recherche, méditation et spontanéité.
Leur aspect moiré, les tableaux de Clédia Fourniau le doivent à la résine alkyde, celle-là même qui sert à vernir les coques de bateaux. Elle participe d’un ensemble de couches et de coups de pinceau aux couleurs vives qui s’étalent sur la toile : jaune acide, violet saturé, vert menthe ou pomme, orange sanguin… Ponctuellement, l’usage d’un liant à base de poudre de mica réhausse la surface d’un effet nacré. Cette préparation à la sucrosité ultra toxique fait de ses tableaux des appâts pour l’œil : une immédiateté visuelle qui englue le regard en même temps qu’il le fait glisser vers les bords ou le renvoie face à son propre reflet.
La peinture au-delà du cadre et de la toile
Formée à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, Clédia Fourniau dit avoir longtemps repoussé l’acte de peindre. Elle expérimente d’abord d’autres techniques de création comme la sérigraphie, où l’image s’élabore à plat et en série. Ce n’est que dans les dernières années de sa formation, alors qu’elle évolue dans l’atelier de l’artiste Tatiana Trouvé, qu’elle entreprend de peindre sur des toiles maintenues à plat sur des tréteaux. Ce dispositif, qui contraint le rapport du corps à la toile, l’amène à développer une méthodologie particulière : coffrer les bords avant de couler la résine au centre.
De fait, sur les tableaux qu’elle conçoit entre 2021 et 2022, et qu’elle présente pour son diplôme puis à la Fondation Pernod Ricard, entre autres, le geste est retenu, sporadique. La toile est contournée au sens littéral du terme : le motif du cadre ricoche à l’intérieur du tableau – retranchant toujours davantage l’étalement de la peinture au centre, comme s’il s’agissait d’évincer le contenu de la toile ou, du moins, de retarder son apparition. Ce sont ces gestes “par la bande”, et rien que ces gestes, qui feront, au final, image.
En 2023, la plupart des tableaux présentés à la galerie König à Berlin portent le titre de Colombes – la ville de la région parisienne où ils ont été produits. En les intitulant ainsi, Clédia Fourniau insiste sur le moment de la fabrication et les choix qui s’y opèrent. À l’atelier, l’artiste détermine d’abord le format des toiles, puis le textile qui recouvrira le châssis. Elle préfère les tissus colorés ou imprimés aux toiles de coton immaculées de ses premières œuvres. Leurs motifs ou leurs couleurs donnent l’impulsion de départ et orientent le processus. Une fois monté, le textile est coffré – un geste que l’artiste continue d’effectuer alors même qu’il n’est plus techniquement nécessaire à l’élaboration des tableaux. Elle baptise ensuite la toile de coups de pinceau enduit d’acrylique, premiers d’une série de couches qui s’étalent les unes à côté, ou par-dessus, les autres.
Acrylique, résine, vernis : art du recouvrement
Si la résine encapsule les décisions, les actions et les reprises effectuées sur des temporalités allant de quelques semaines à plusieurs années, les tableaux déjouent systématiquement notre compréhension de leur réalisation. Il est en effet difficile d’y lire la chronologie des étapes de recouvrement de la surface. À mesure que Clédia Fourniau peint, l’élaboration des toiles se complexifie : s’y amalgament d’anciennes manières de faire (comme le coffrage) et des gestes développés plus récemment. Les tableaux archivent les expérimentations et l’appropriation progressive du médium et de ses possibilités. Leur surface n’est d’ailleurs pas toujours entièrement recouverte : au milieu des couleurs saturées et des vernis rutilants subsistent parfois des zones de textile non peintes. Elles constituent des aires silencieuses ménagées dans le tintamarre des couleurs, un manque au creux du surplus.
Un geste inspiré par l’expressionnisme abstrait
L’éclaircissement de la palette et la gestualité qui caractérisent les toiles produites par l’artiste en 2023 témoignent d’une plus grande permissivité vis-à-vis de la peinture. Le travail au sol (plutôt que sur des tréteaux) a rapproché le corps de la toile, libéré le geste et facilité l’entrée en matière du pinceau, tandis que l’affirmation d’une dimension de plaisir a ouvert la gamme chromatique.
Codifiée par les tenants de l’expressionnisme abstrait, le peintre américain Jackson Pollock en tête, l’implication physique dans l’arène picturale a longtemps été l’apanage d’un corps masculin valide et blanc, performant le geste pour la caméra autant que pour le résultat sur la toile. La spontanéité en peinture n’a rien d’inné, elle se conquiert au fil du temps passé à l’atelier.
En ce sens, Clédia Fourniau joue avec la qualité de “leurre” intrinsèque à la peinture abstraite. Ses œuvres nous attirent – par la brillance de leur surface et leurs couleurs – et nous trompent : sur la simplicité de leur lecture, la spontanéité de leur réalisation, mais aussi sur l’efficacité de leur diffusion à l’ère digitale. Car rien ne dessert plus la peinture de Clédia Fourniau que sa reproduction visionnée sur un écran. Elle empêche notamment de saisir les jeux de matité et de brillance du tableau, la superposition et le voisinage des teintes, les endroits où le tissu est laissé nu, son relief aussi. Sa tranche épaisse incite toujours celle ou celui qui le regarde à faire un pas de côté. Il faut se dégager du piège de la surface : c’est là que débute le tableau.
Les œuvres de Clédia Fourniau sont présentées dans “(Re)generation”, troisième exposition du Prix Reiffers Art Initiatives sous le commissariat de Vittoria Matarrese, du 26 avril au 8 juin 2024 chez Reiffers Art Initiatives, 30 rue des Acacias, Paris 17e.