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Asia Now 2022 : entre céramique glitchée et tenture engagée, 5 œuvres à ne pas manquer
Du 21 au 23 octobre, la foire d’art contemporain Asia Now investit pour la première fois les cours et salons de la Monnaie de Paris. Les 88 galeries participant à cette huitième édition proposent une immersion dans la diversité de la scène artistique asiatique actuelle, foisonnant de talents et d’innovations techniques. Utilisation étonnante de la céramique, peintures préparées sur le jeu vidéo Les Sims et tenture féministe… Découvrez cinq œuvres à ne pas manquer.
Par Camille Bois-Martin.
1. La plus collective : le triptyque de Mak2
À première vue, le triptyque de Mak Ying Tung 2, qui recouvre tout un mur des salons sur Seine de la Monnaie de Paris, pourrait être confondu avec un grand écran virtuel. Pourtant, l’artiste hongkongaise utilise ici la peinture à l’acrylique sur toile, dessinant des personnages et décors qui évoquent immédiatement ceux provenant des Sims. Nullement étonnant puisque, depuis 2019, la plasticienne réalise sa série de toiles Home Sweet Home – dont celle-ci est extraite – à partir du célèbre jeu vidéo de simulation de vie. Projetés dans un monde urbain ultra-contemporain que l’artiste décrit comme à la fois utopique et dystopique, ses scènes mêlent personnages féminins en bikini coiffées de toques en fourrure, piscine sur rooftop remplie de fleurs, fontaine de mousse en plein centre-ville… Pour réaliser ses œuvres toujours découpées en trois panneaux, cette dernière met chaque fois à contribution d’autres peintres qu’elle recrute via le site de commerce en ligne Taobao. À chacun, elle décrit précisément l’environnement qu’elle a conçu sur la plateforme virtuelle et leur demande d’en réaliser une petite partie, avant de les réunir dans l’œuvre finale. Mak Ying Tung 2, surnommée Mak2, chapeaute ainsi la construction d’une peinture collective aux frontières du virtuel et aux éléments séduisants du monde consumériste, à l’image de notre société contemporaine dont son œuvre se fait le miroir.
Stand de la galerie de Sarthe, S12.
2. La plus fragile : la création textile de Gulnur Mukazhanova
Dans les œuvres de Gulnur Mukazhanova, tout ne tient qu’à un fil — ou plutôt, à plusieurs aiguilles, plantées dans les grands pans de tissus réunis sur ses toiles. Accrochées au fond de la cour des Remises de la Monnaie de Paris, les créations textiles de l’artiste reprennent les techniques ancestrales de feutrage et les matières des tenues traditionnelles de la région de Karaganda, au Kazakhstan, dont l’artiste née en 1984 est originaire. Sur ses supports hauts d’un mètre et demi, elle construit un nouveau motif en utilisant le lurex (fil textile doré), le brocart (étoffe de soie brodée) et le velours, des matières échangées à l’occasion de grandes célébrations comme les mariages dans son pays natal. Les ornementations et les couleurs somptueuses de ses créations composent un spectacle attirant, dont la disposition des broderies sur les côtés n’est pas sans rappeler celle d’un rideau de théâtre par son velours bleu nuit, ses fleurs dorées, rouges et turquoise bordées de fils argentés et violets… Malgré les apparences, chaque composition est pourtant très fragile car rien n’y est réellement figé et si un élément se décroche, l’intégralité de la pièce s’effondre. Aujourd’hui installée à Berlin, l’artiste le revendique elle-même : l’instabilité de ses créations illustre celle de la société kazakhstanaise, attachée à des valeurs anciennes et souvent incompatibles avec l’évolution de notre société.
Stand de la galerie Michael Janssen, R02.
3. La plus icoloclaste : la céramique de Kara Chin
Dans ses petites céramiques rectangulaires encadrées d’une dizaine de centimètres de haut, l’artiste anglo-singapourienne Kara Chin contient tout un univers. Un univers contemporain, qui s’inspire de notre culture populaire et des nouvelles technologies, que la plasticienne décline avec humour dans ses motifs. Avec la même minutie, elle peint aussi bien des casques de réalité virtuelle que des raptors (empruntés à la franchise Jurassic Park) ou encore des robots Telenoid R1, androïdes télécommandés créés au Japon dans les années 2010… En Asie, l’art céramique est ancestral, remontant jusqu’à 16 000 avant notre ère, et est encore aujourd’hui une des pratiques artistiques les plus répandues. Face au poids de cette riche tradition, les œuvres de Kara Chin se démarquent par sa manière de représenter sur terre cuite un avenir menacé par la technologie. Les dessins de flammes rouges, blanches, et jaunes de sa série Fire semblent, par exemple, tout droit extraits d’un jeu vidéo ou d’un anime. Son processus de création, dont la cuisson au feu brise la terre modelée en plusieurs morceaux ensuite rassemblés dans un cadre en bois, pourrait même évoquer la pixellisation de images numériques, ou encore les glitchs informatiques.
Stand de la galerie Hatch, 13.
4. La plus féministe : la tenture de Citra Sasmita
Sur une tenture couleur beige longue de trois mètres, une mythologie féminine se déroule de haut en bas : en son centre, des femmes remplissent des bassins d’eau, sur les côtés, certaines donnent naissance à des arbres et des fleurs, tandis que d’autres génèrent du feu depuis diverses parties de leur corps… Dans une organisation semblable à celle du Jugement Dernier de Michel-Ange, l’artiste Citra Sasmita imagine avec cette œuvre Luminous Opera (2022) un avenir post-patriarcal en réinterprétant la figure de la femme passive et/ou décorative représentée dans les peintures Kamasan, réalisées sur textile suivant une tradition de la ville balinaise éponyme depuis le 17e siècle. Une œuvre que l’artiste, issue de la haute-société de Bali, ne peut exposer qu’en dehors de son pays natal, dont la culture censure encore aujourd’hui la nudité crue et l’engagement féministe qu’elle traduit. Présentées à Asia Now, deux de ses créations explorent l’iconographie des manuscrits anciens javanais et balinais pour en réinventer les motifs – à l’image du serpent qui, de part et d’autre des œuvres, adopte selon elle des connotations spirituelle ou patriarcale – et mettre en avant la figure d’une femme puissante proche d’une divinité originelle. En plus des figures réactualisées peintes par l’artiste, cette dernière réutilise également le support traditionnel en toile des peintures Kamasan pour développer une nouvelle culture, entièrement féminine et porteuse d’empowerment.
Stand de la galerie Yeo Workshop, S17.
5. La plus sensible : les peintures-photographies de My-Lan Hoang-Thuy
Dans la cour d’Honneur de la Monnaie de Paris, une grande galerie expose les petites créations de l’artiste française d’origine vietnamienne, My-Lan Hoang-Thuy. Ses petits objets plats aux contours irréguliers ne prennent que peu de place sur les murs – ils dissimulent pourtant une conception bien plus complexe. En résidence à la Cité internationale des arts de Montmartre, l’artiste a conçu dans son studio son propre support de représentation, réalisé à partir de coulures d’acrylique colorée qu’elle laisse sécher, avant de peindre par dessus ou imprimer minutieusement ses photographies. Dans l’œuvre Sol bleu, par exemple, My-Lan Hoang-Thuy imprime deux photos d’elle, dont la position du corps et les couleurs du fond – jaune moutarde, bleu foncé – ne sont pas sans rappeler celles des peintures des Nabis (de la fin du 19e siècle), grande source d’inspiration de l’artiste. Un résultat surprenant qui parvient à se distinguer parmi les nombreux et plus imposants stands alentours, et qui a déjà séduit la Maison Européenne de la Photographie. Au printemps 2023, l’institution parisienne présentera ses délicates “photographies” sur acrylique dans une exposition personnelle.