Avec les Art Basel Awards, Art Basel célèbre le premier prix de son histoire

Par Matthieu Jacquet.

Art Basel célèbre le lancement des Art Basel Awards à Bâle

“Les Avengers se sont assemblés, la Justice League s’est réunie !” C’est avec ces mots enlevés que l’acteur Russell Tovey introduisait hier la soirée des Art Basel Awards, à Bâle. Alors que se tient jusqu’à dimanche la 55e édition de l’incontournable foire d’art contemporain, le Britannique, également collectionneur et passionné d’art, s’est mué en maître de cérémonie empli d’esprit pour présenter le tout premier prix créé par la foire depuis sa création en 1970. 

Un événement d’ampleur puisque ces récompenses mettent en avant non moins de 36 personnalités influentes du monde de l’art, incluant bien sûr des artistes établis et émergents, mais aussi des curateurs, institutions ou encore des médias et mécènes. La majorité d’entre eux était d’ailleurs présente hier soir pour une célébration qui a commencé à l’hôtel de ville de Bâle, avec une cérémonie plus intimiste et solennelle où chacun s’est vu décorer de sa médaille, avant de se prolonger dans l’enceinte du prestigieux musée d’Art de Bâle devant près de 400 invités.

Un prix au format original

Tout a débuté il y a quelques mois avec une question simple. “Comment Art Basel peut-elle étendre son rôle au-delà du monde des affaires et du marché pour contribuer durablement au futur de son domaine ?”, nous rappelle Vincenzo de Bellis, directeur des foires et plateformes d’exposition et chief artistic officer d’Art Basel. “Nous sommes les catalyseurs des différents membres et acteurs de notre industrie, ajoute-t-il. De plus en plus, nos événements deviennent des moments de rassemblement, mais aussi d’échange d’idées et de visibilité. Nous avons estimé que nous étions la plateforme la mieux placée pour créer quelque chose qui célébrerait l’ensemble de notre secteur.” 

Une fois l’idée du prix mise sur la table, l’équipe d’Art Basel a immédiatement souhaité se distinguer des formats existants. L’une des principales volontés, nous précise Vincenzo de Bellis, était de créer un “sentiment de communauté” entre les lauréats grâce à un fonctionnement original et une sélection en plusieurs étapes. Dans un premier temps, 20 experts anonymes basés dans le monde entier soumettent une série de noms à un jury de figures du monde de l’art telles que Hans Ulrich Obrist, Elena Filipovic ou encore Adriano Pedrosa.

Sur les 120 noms proposés, 36 sont retenus et répartis en neuf catégories :  “curateurs”, “institutions”, “mécènes”, “médias”, “alliés”, “créateurs pluridisciplinaires”, et pour les artistes, “émergent”, “établi” et “icône”. Tous, hier soir, ont donc reçu une décoration signée par la créatrice de bijoux Lorette Colé Duprat.

Douze médaillés d’or, dévoilés pendant Art Basel Miami

Mais c’est dans doute la seconde étape qui permettra véritablement aux Art Basel Awards de faire figure d’exception dans le secteur. Plutôt qu’un jury extérieur, les médaillés devront ensuite voter entre eux pour élire les “médaillés d’or” de chaque catégorie – dont la leur. Une manière habile de contourner les systèmes de récompenses ultra compétitifs, de plus en plus décriés par les artistes. Les douze élus seront enfin révélés lors de la prochaine édition d’Art Basel Miami, début décembre. 

“Notre format vise non seulement à récompenser ces personnalités pour ce qu’elles ont fait, mais aussi pour ce qu’elles vont faire, justifie Vincenzo de Bellis. Les artistes émergents reçoivent une somme de 50 000 dollars qu’ils pourront utiliser à leur guise. Les artistes confirmés reçoivent la somme de 50 000 dollars avec l’invitation à produire une œuvre qui sera dévoilée lors de la prochaine édition d’Art Basel l’année prochaine. Quant aux icônes, elles perpétueront leur héritage grâce à un don de 50 000 dollars, en leur nom, à une cause qui leur tient vraiment à cœur. Tout cela converge vers l’idée de laisser une empreinte dans l’avenir de l’industrie.”

Un palmarès riche et varié, de Maja Hoffmann à Cecilia Vicuña

Lors de la cérémonie, Russell Tovey a ainsi énuméré les noms de ces premiers lauréats de l’histoire du prix. On y retrouve, entre autres, Shanay Jhaveri, chef du département des arts visuels au Barbican Centre de Londres, la mécène et collectionneuse Maja Hoffmann, fondatrice de la fondation Luma Arles, le Jameel Arts Centre, centre d’art contemporain à Dubai, ou encore la journaliste Barbara Casavecchia, rédactrice en cheffe du magazine Mousse. 

Une autre particularité des Art Basel Awards est d’encourager le croisement des disciplines au-delà de l’art contemporain avec la catégorie “créateurs pluridisciplinaires”, qui réunit le duo de designers Formafantasma, la créatrice de mode Grace Wales Bonner et l’écrivaine Saidiya Hartman, ayant chacun démontré au fil de leur carrière une volonté de décloisonner les champs culturels. “Art Basel est à son apogée lorsqu’elle reflète véritablement ce qui se passe dans le monde de l’art en général, explique Vincenzo de Bellis. Et nous observons de plus en plus de collaborations entre différents secteurs de création, que les trois lauréats de cette catégorie incarnent très bien.” Leur place de choix dans la sélection pourrait bien attirer un nouveau public, issu d’autres sphères que celles de l’art contemporain.

Côté artistes, les Art Basel Awards distinguent 18 figures à la carrière internationale. Chez les émergents, on retrouve plusieurs artistes déjà exposés en France, comme Lydia Ourahmane, à la Fondation Louis Vuitton, Meriem Bennani, à Reiffers Art Initiatives, mais aussi Mohammad Alfaraj, montré notamment par la galerie Mennour à Paris. La sélection d’artistes établis compte, entre autres, Nairy Baghramian, Cao Fei et Delcy Morelos. Enfin, la présentation du palmarès s’achève avec les six artistes de la catégorie “icônes”, véritables monstres sacrés de l’art : Joan Jonas, David Hammons, Lubaina Himid, Adrian Piper, Betye Saar et Cecilia Vicuña, seule d’entre eux à être présente hier.

Le Boss Award et le Koyo Kouoh Fellowship, deux nouveautés

Si les noms des médaillés avaient été annoncés en mai dernier, la soirée d’hier fut l’occasion pour les Art Basel Awards de dévoiler deux nouveautés. D’abord, la création du BOSS Award for Outstanding Achievement (“Prix pour accomplissement exceptionnel”) par Boss. Soutien de longue date à l’art contemporain et partenaire principal des Art Basel Awards, la maison allemande décernera donc lors d’Art Basel Miami 50 000 dollars à un artiste pour un projet réalisé dans les dix-huit derniers mois, annonçait Marco Falcioni, vice-président sénior de la direction artistique chez Hugo Boss.

La soirée s’est poursuivie avec un émouvant hommage à Koyo Kouoh, tristement disparue le 10 mai dernier à l’âge de 57 ans. Commissaire d’exposition de renom choisie pour curater la prochaine Biennale d’art de Venise, directrice du musée Zeitz d’art contemporain d’Afrique au Cap, cette Suisso-Camerounaise a aussi créé en 2011 le centre d’art Raw Material Company à Dakar, élu parmi les médaillés de la catégorie “institutions”, et faisait partie du jury initial des Art Basel Awards.

La foire a souhaité honorer son engagement en Suisse et son rôle de passerelle entre l’Europe et l’Afrique en créant le Koyo Kouoh Fellowship. “Koyo était une professionnelle incroyable de notre domaine et possédait des connexions fortes avec la Suisse, se remémore Vincenzo de Bellis. Elle a grandi à Zurich, trouvé l’amour à Bâle, et a eu de nombreuses opportunités ici, Nous avons donc pensé que la meilleure manière de se souvenir de son héritage serait d’offrir la même opportunité qu’elle a eue.” Chaque année, la Raw Material Company invitera un professionnel de l’art du continent africain à voyager en Suisse pour y rencontrer une série d’acteurs, et à jouer un rôle dans la prochaine édition d’Art Basel à Bâle.

Une journée d’échanges avec les médaillés pendant la foire

Ce vendredi 20 juin, l’action du prix se poursuit avec le Art Basel Awards Summit, une journée d’échanges ouverts à tous dans l’enceinte de la foire, qui permettra de découvrir plus en détails les pratiques, activités et parcours des médaillés, invités à échanger entre eux. Après une conversation avec Cecilia Vicuña, on pourra assister à une table ronde sur le futur des institutions, tandis que le duo Formafantasma évoquera avec le critique d’art Philip Tinari les manières de concilier design et questions environnementales, et les trois médaillés de la catégorie “curateurs” Candice Hopkins, Shanay Jhaveri et Eungie Joo, parleront ensemble de l’importance de penser l’exposition hors des normes occidentales.

“Avec ce sommet, nous voulions leur donner l’occasion d’expliquer au monde entier ce qu’ils font, explique Vincenzo de Bellis. Et bien sûr, pour les professionnels, cela offre une autre occasion d’interagir avec eux.” Avant de conclure : “Ce qui m’a le plus réjoui hier, c’est de constater l’enthousiasme des médaillés eux-mêmes. Si certains se connaissent depuis de nombreuses années, d’autres ne s’étaient jamais rencontrés auparavant. Ce sont les moments passés ensemble, hier et d’aujourd’hui, qui leur permettront de concrétiser cette idée de communauté.”

Découvrez l’intégralité du palmarès des Art Basel Awards ici.