Immersion dans l’univers hors norme de D’heygere
Alors qu’elle sera présente au sein du Jury du 40e Festival de Hyères dans la catégorie accessoires, la créatrice belge Stéphanie D’heygere a bien voulu répondre à nos questions. De ses plus grandes fiertés à ses expériences au sein de grandes maisons en passant par ses toutes premières créations, elle retrace son parcours et nous confie son projet de livre.
Par Louise Menard.
D’heygere ou le quotidien détourné
Après sa dernière collection automne-hiver 2025-2026 inspirée de ses bijoux d’adolescentes et capturée par la très talentueuse photographe Noémie Ninot, la créatrice belge Stéphanie D’heygere semble être arrivée au sommet de sa gloire.
Mais reprenons les choses depuis le début. Lorsqu’elle créé sa propre marque éponyme en 2018, après avoir fait ses armes notamment chez Margiela, la jeune femme provoque une vraie onde de choc. Très rapidement adoubée par le monde de la mode, Stéphanie D’heygere commence à travailler en freelance pour les plus grandes maisons telles que Jean Paul Gaultier et Courrèges, avant d’enchaîner les collaborations surprenantes avec des marques plus grand public comme Bic, et d’autres plus niches comme la marque de sacs Medea.
“Conceptuelles”, c’est ainsi qu’elle qualifie ses collections. Pour la créatrice, tout est bijou – et chaque objet du quotidien, aussi absurde soit-il, peut devenir parure. Un antivol en guise de bracelet de pied, une chips transformée en bague, un rouleau de gros scotch autour du poignet, des pinces à linge, une barrette ou une pièce de monnaie en boucles d’oreille… Il suffit d’un peu d’imagination et les possibilités deviennent infinies.
C’est d’ailleurs là tout l’ADN de sa création : déconstruire la joaillerie, détourner la banalité des objets qui nous entourent et bouleverser les codes. Intégrer du kitsch et du maximalisme, et surtout, comme elle le dit si bien, “repousser les limites du bijou”. Portée par un second degré assumé, présent également à travers des campagnes toujours parfaitement pensées, D’heygere continue de s’imposer parmi les marques de bijoux les plus percutantes du moment.
Rencontre avec Stéphanie D’heygere
Numéro : Quel est votre premier souvenir lié aux bijoux ?
Stéphanie D’heygere : Quand j’avais 12 ans, je suis partie en vacances aux États-Unis et les bijoux là-bas m’ont vraiment marquée. Je me souviens de bijoux en plastique, hyper pop et colorés. Je n’avais jamais vu ça en Belgique.
Quel est le premier bijou que vous avez acheté ou reçu ?
Je pense que c’est un bijou Agatha, de ceux avec le petit chien.
À quel moment de votre vie avez-vous décidé de faire carrière dans ce milieu et pourquoi ?
J’ai décidé assez tard que je voulais travailler dans le milieu de la mode, et ma passion pour les accessoires est arrivée un peu par hasard. J’étais en stage chez Lanvin et on m’a demandé de dessiner des lunettes de soleil. C’est là que j’ai eu une révélation.
Pourriez-vous partager votre parcours en quelques mots ?
Après des études en design de mode à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, j’ai fait beaucoup de stages, auprès de grands noms tels que Jean-Charles de Castelbajac ou encore Jeremy Scott. Puis j’ai décroché mon premier vrai job chez Maison Margiela, où je suis restée 5 ans. Et après cette expérience qui a profondément marqué ma façon de travailler et de créer, j’ai fait un bref passage chez Dior. Avant de me mettre à mon propre compte en tant que designer de bijoux et de commencer à dessiner pour de nombreuses marques comme Vêtements, Y/Project, Courrèges, A.P.C., Jacquemus, Diesel et Jean Paul Gaultier.
Des inspirations artistiques fortes de Marcel Duchamp à Sophie Calle
Quelle est la première pièce que vous avez créée ?
Ce sont les Canister Hoops, des créoles en argent avec un tube dans lequel on peut glisser ce qu’on veut, une fleur, une cigarette, n’importe quel petit objet qui pourrait s’y faufiler.
Quelles sont vos inspirations ?
L’art et les livres ! Je suis très inspirée par Marcel Duchamp et ses ready-mades et j’adore les One Minute sculptures de l’artiste autrichien Erwin Wurm ! Ainsi que l’œuvre My Bed (1998) de l’artiste britannique Tracey Emin, qui est l’une mes installations favorites. Je suis également fascinée par la performance Rhythm 0 (1974) de Marina Abramović et je suis une grande collectionneuse des livres de Sophie Calle. Récemment, j’ai aussi eu un énorme coup de cœur pour l’écrivaine américaine Pippa Garner, avec qui j’ai failli collaborer juste avant sa mort.
Quels sont vos trois bijoux favoris ?
Une bague Pompadour, qui est un cadeau de ma grand-mère pour mes 40 ans, les Black Heart Nail Earrings que j’ai créées en collaboration avec I’m Sorry, la marque de Petra Collins, et le Charm Necklace 2.0, imaginé en collaboration avec Vaquera.
Une marque déjà récompensée à plusieurs reprises
Depuis que vous avez lancé votre marque, avez-vous vécu un moment dont vous êtes particulièrement fière ?
J’ai fait beaucoup de superbes expériences et de rencontres incroyables. Mais je crois que je suis surtout fière du prix de l’ANDAM, que j’ai reçu au tout début de ma carrière, et des deux Belgian Fashion Awards que j’ai reçus en 2022 (Prix du jury) et en 2024 (Accessory Designer of the Year). Ce sont des récompenses qui vous donnent un vrai coup de pouce ! Et bien sûr, je n’oublie pas certaines de mes collaborations les plus marquantes comme celle avec Longchamp ou encore celle avec la marque de lunettes coréenne Gentle Monster.
En tant qu’entrepreneure, quel est le plus gros challenge auquel vous êtes confrontée ?
Les journées sont trop courtes… Mon copain trouve que je m’organise mal mais moi je pense que j’ai seulement beaucoup de travail (rires). Mes to-do lists sont sans fin. Mais malgré tout, je pense que le plus gros challenge est de réussir à porter plusieurs casquettes.
Quels sont vos futurs projets ?
J’espère vraiment que mon livre verra le jour cette année. C’est une publication qui devrait rassembler toutes les photographiess du manifesto de D’heygere : “Everything can become an accessory”. Un projet participatif lancé sur Instagram il y a 5 ans, et qui me tient vraiment à cœur.
Les bijoux D’heygere sont disponibles sur dheygere.com.