13 mar 2023

Rencontre avec Hamza, star du rap francophone à la noirceur désespérée

Étoile du rap, le jeune Bruxellois Hamza est adulé par un public toujours plus large, qui loue la finesse unique de sa musicalité. L’artiste belge revient sur le devant de la scène avec son nouvel album Sincèrement, un opus aussi introspectif que sensible. 

Hamza photographié par Ben Dorado.

Les rappeurs, comme tous les artistes, doivent composer avec les attentes de leur public et avec leurs propres désirs. Alors que leur genre musical écrase aujourd’hui les ventes de tous les autres réunis, la pression se fait d’autant plus ressentir. Prince du rap francophone, Hamza suscite des attentes à la hauteur de son succès et de la grâce rare avec laquelle il traverse le game. Respectant ses codes, faits de propos lubriques, de louanges des liqueurs et stupéfiants divers, d’ego trips, d’ambiances lourdes évoquant la dureté (vécue ou non) de la vie de la rue, le jeune Bruxellois étonne par sa capacité à se tenir toujours un peu à côté, en avant ou en deçà de ces passages obligés, pour nous donner à entendre autre chose : un univers mental qui n’appartient qu’à lui, porté par des obsessions artistiques et une certaine mélancolie. Si le groupe français PNL a fait de la neurasthénie vaporeuse une signature pour laquelle il a été adulé, toutes classes sociales confondues, Hamza représente à cet égard une voix plus fragile et plus tendue, plus agile et moins prévisible, éloignant tout risque d’une “formule gagnante” pour partir sans cesse, et sans peur, à la recherche de nouveaux horizons sonores. 


Le nouvel album de Hamza s’intitule Sincèrement, selon la formule qu’on appose à la fin d’une lettre. Ce titre donne le “la” du projet qui s’y accomplit : un dévoilement introspectif longtemps attendu par les critiques comme par les fans. Révélé en avant-première, le single bien nommé Introduction ouvre l’opus en donnant d’emblée quelques clés. Son orchestration dépouillée, reposant sur le piano, laisse toute leur place aux inflexions subtiles de la voix de l’artiste qui chantonne, avec son rythme dense caractéristique (comme pressé par le temps qui fuit) : “La vie est belle avec de la moula, en vert ou en violet/ mais c’est pas celle en rose, j’fume et je tise et je rôde/ J’ferais l’impossible pour toi, pour moi j’ferais même pas le possible/ J’fais que m’noyer dans la codéine/ J’suis maudit/ J’suis cramé, ouais ouais”. Hamza y pose plus clairement que jamais les bases d’une noirceur désespérée que ne renieraient pas certains poètes français. Une tonalité née des circonstances, tant de la vie de l’artiste lui-même que de celles qui ont frappé l’humanité entière au moment de la pandémie de Covid-19, en 2020. “Le monde vivait quelque chose de violent et de soudain, qui nous obligeait tous à une forme de retour sur soi, d’introspection, explique-t-il. Et dans ma vie, à ce moment-là, je traversais déjà une forte remise en question : je venais de comprendre que de nombreuses personnes de mon entourage proche étaient assez fausses avec moi. Je me suis recentré sur ma famille, et sur des gens qui m’accompagnent depuis mes débuts, et je me suis alors retrouvé plus seul que je ne l’étais auparavant. Ce sont ces expériences de la vie qui nous font grandir, et qui nous inspirent. Quand je suis allé en studio, ces choses m’ont donné des idées, et m’ont incité à me livrer davantage.”

 

Enregistré pendant les confinements, Sincèrement a également permis à Hamza de s’adonner plus que jamais à sa passion de la recherche sonore. Stakhanoviste, le rappeur aime de son propre aveu à s’enfermer en studio pour travailler sans relâche, peaufinant un nombre incroyable de morceaux pour n’en retenir au final qu’une petite partie. C’est grâce à cette méthode qu’il affine sa technique vocale unanimement saluée, qui lui permet de passer avec aisance du rap au chant. Une performance rare dans le rap francophone, qui lui a valu de nombreuses comparaisons avec la superstar canadienne Drake, qu’il admire, et qui a, dès 2016, diffusé certains de ses morceaux dans son émission culte OVO Sound Radio, sur la plateforme Apple Music. S’il fait partie des signatures, aux côtés de son compatriote Damso, qui tirent le rap francophone vers une qualité artistique lui permettant d’atteindre une forme d’intemporalité et de dépasser les genres musicaux, Hamza s’est toujours passionné pour l’inventivité des productions américaines : de l’efficacité coup de poing de 50 Cent à la trap nébuleuse de Young Thug et de Future ou, plus récemment, la drill à laquelle il consacrait un projet entier, 140 BPM et 140 BPM 2

 

Avec virtuosité, comme par jeu, l’artiste s’approprie ces tendances musicales du moment et réussit à les renouveler pour les faire siennes, captives de sa propre musicalité et de ses refrains ciselés et imparables qui emportent tout sur leur passage. Ayant collaboré par le passé avec des talents aussi divers que Christine and the Queens et Oxmo Puccino, il dévoile notamment sur Sincèrement le morceau Sadio enregistré avec Offset, l’un des piliers du groupe mondialement connu Migos. Alors que, dans le domaine du rap, les collaborations transatlantiques se passent souvent à distance et moyennant une somme colossale versée par un artiste européen à une star américaine – témoignant d’un rapport de domination non encore résolu –, celle-ci est au contraire placée sous le signe de la… sincérité. “Mon manager m’a dit qu’Offset était à Paris et qu’il aimerait enregistrer en studio avec moi, poursuit Hamza, enthousiaste. On lui avait fait écouter plusieurs rappeurs francophones, et il avait beaucoup aimé mon morceau. Il voulait donc me rencontrer. Nous nous sommes retrouvés directement en studio. C’était une expérience intéressante car nous avons des façons totalement différentes de créer : les Américains se lancent directement en free-style derrière le micro, tandis que moi, j’écris mes paroles, je travaille en amont de mon côté.” 

 

Hamza retrouve par ailleurs son compatriote Damso sur le titre Nocif, une reprise audacieuse et réussie de Lady (Hear Me Tonight), de Modjo
– un des hymnes de la French touch – qui ne fera qu’attiser les désirs du public qui rêve de voir éclore, à plus ou moins long terme, un véritable album unissant les deux pointures belges. Cocoro, en duo avec le musicien nigérian CKay, fusionne l’afropop et le R’n’B en utilisant l’Auto-Tune et les effets “trafiquant” les voix pour emporter le morceau dans des zones novatrices : “J’aime beaucoup Cocoro, acquiesce Hamza. À mes yeux, il est spécial, avec son mood un peu dépressif à la Juice Wrld.” La mention du rappeur de Chicago, décédé d’une overdose d’oxycodone et de codéine, enveloppe d’une aura encore plus sombre la chanson Codéine 19, où le rappeur belge évoque son utilisation fréquente de cet opiacé, depuis ses 19 ans. Fort de sa possession aujourd’hui complète de ses techniques vocales et de sa musicalité, Hamza peut explorer des zones plus personnelles et se livrer plus complètement, pour le plus grand plaisir de ses fans : “J’étais fort dans l’amusement, sans trop réfléchir, conclut-il. J’adore expérimenter en studio, et avec l’expérience, et la maîtrise, j’ose aujourd’hui explorer des zones plus profondes.” 


Hamza, Sincèrement (Just Woke Up/ADA France), disponible.