3 déc 2025

Obongjayar, le chanteur nigérian fascinant adoubé par Little Simz

Inspiré par le mouvement afrobeat de Fela Kuti, Obongjayar explore de multiples influences dans sa musique imprégnée de spiritualité. Né au Nigeria et aujourd’hui basé à Londres, cet artiste inclassable révèle encore de nouvelles facettes sur son album Paradise Now, qui vient de sortir en version deluxe.

  • propos recueillis par Alexis Thibault.

  • Publié le 2 septembre 2025. Modifié le 3 décembre 2025.

    Obongjayar, un chanteur à la croisée de l’afrobeat originel et des musiques électroniques

    Le chanteur nigérian Steven Umoh se souvient des routes défoncées, des trajets cahoteux et des clôtures dévorées par la mousse derrière lesquelles se disputaient d’interminables matchs de football. C’était ça, Calabar, ville du sud-est du Nigeria où les maisons en brique exhibent des toits multicolores. À l’époque, il n’avait pas encore adopté le pseudonyme Obongjayar.

    Installé à Londres depuis une quinzaine d’années, ce musicien de 32 ans, fanatique de la chanteuse Asa et du rap nigérian, tisse une œuvre profondément spirituelle, à la croisée du spoken word, de l’afrobeat originel et des musiques électroniques. Dans les chansons d’amour, il adopte un falsetto léger, comme s’il parlait à un enfant.

    À l’inverse, lorsque la douceur cède à la clameur, sa voix se fait plus grave, plus terreuse, presque abrasive. Elle réagit et s’adapte à sa musique – celle qu’il décrit comme “la brise qui vous saisit lorsque vous sortez de chez vous”.

    Des collaborations avec Little Simz et Fred Again

    Révélé au grand public grâce à Frens (2019), inclus sur la bande originale du jeu vidéo FIFA 20, il a depuis creusé un sillon singulier, entre fulgurance poétique et engagement viscéral. En 2021, il signe Point and Kill avec son amie Little Simz, dont le clip, hommage au cinéma africain néo-noir, s’inspire de Touki Bouki (un road-movie radical de Djibril Diop Mambéty, 1973).

    Plus tard, sa collaboration avec le producteur britannique Fred Again sur Adore U (2023) – aujourd’hui disque de platine – parachève sa mue en alchimiste du groove et du spleen britanniques. Disponible depuis la fin mai, son second opus, Paradise Now (2025), est à la fois un manifeste de liberté et un refus des étiquettes. Un disque incandescent, qui ne cherche ni à séduire ni à rassurer, mais qui, dans ses élans brisés et ses instants de grâce, touche juste – là où ça brûle encore.

    Obongjayar – Lipdance (2025)

    Paradise Now, un disque qui raconte le chagrin et le bonheur

    Porté par des singles déjà cultes, l’hédoniste Not in Surrender (2025), la pop vénéneuse de Just My Luck (2025), le fiévreux Sweet Danger (2025), cet album jouit désormais d’une version deluxe. Avec Paradise Now & Forever (2025), Obongjayar étire son univers et greffe cinq nouvelles pièces à son disque, dont Lipdance, un single pensé comme une respiration euphorique.

    Mais sous l’éclat chamarré de la forme, un cheval de Troie : récits d’acceptation, solitude, chagrin, fuites nocturnes et procrastination tenace. Rencontre.

    L’interview du chanteur Obongjayar

    Numéro : La pochette théâtrale de votre nouveau disque, Paradise Now, vous montre figé dans un mouvement expressif, comme si vous percutiez une vitre à pleine vitesse. En quoi représente-t-elle ce nouvel opus ?
    Obongjayar : J’associe l’utopie à une destination. Nous partons constamment en quête d’un ailleurs meilleur, car notre situation n’est jamais assez bonne. Mais la laideur que l’on projette sur notre environnement n’est qu’une construction mentale – comme si nous avions nous-mêmes créé les obstacles dont nous souhaitons nous libérer. Sur cette pochette, je tente de traverser un plafond de verre : celui que j’ai moi-même imaginé.

    La presse peine à vous classer alors même que vous revendiquez un ancrage clair dans l’afrobeat originel, loin de sa version mainstream. Comment l’expliquez-vous ?
    Dans ma musique, l’influence de l’afrobeat est indéniable. En 2020, mon morceau Carry Come, Carry Go s’inspirait fortement de Lady (1972) de Fela Kuti. Plus tard, Tinko Tinko (2022) puisait plutôt du côté de Never Far Away (2005) du musicien nigérian Lagbaja. Le sentiment que j’y exprimais se rapprochait quant à lui de Ain’t No Mountain High Enough (1967) de Marvin Gaye. Cette année, mon morceau Sweet Danger est une rencontre entre l’univers de Femi Kuti [le fils de Fela Kuti]… et celui de James Bond.

    Obongjayar – Sweet Danger (2025).

    Même nos proches projettent cette image sur nous – celle de la réussite, de l’artiste accompli, qui n’a plus de problèmes.” Obongjayar

    Vous a-t-il permis de camper un personnage ?
    J’y incarne un homme un peu sulfureux, sûr de lui, presque toxique. Ne vous attendez pas à ce que j’entre dans un moule. Je suis une tornade. On ne me met pas en cage. J’ai récemment écouté Bonnie and Clyde (1968) de Serge Gainsbourg, et j’ai remarqué des similitudes dans le mouvement du morceau et l’utilisation des samples en arrière-plan. C’est fascinant ! Cette énergie s’est infusée dans la manière dont Sweet Danger a été conçu.

    Si vous pouviez inventer un nouveau ministère, totalement inédit, quel serait-il ?
    Un ministère dont la mission serait de tout saboter… avant de s’autodétruire. Il démantèlerait toutes les institutions – gouvernementales, religieuses, éducatives, économiques – qui nous ont causé tant de souffrances. Il mettrait fin à ces systèmes oppressifs, puis se saborderait.

    Obongjayar – Just My Luck (2025).

    Ressentir le vide, c’est déjà ressentir quelque chose.” Obongjayar

    L’afrofuturisme, mouvement culturel, artistique et politique né dans les années 1960 et formalisé en 1993 par le critique culturel Mark Dery, mêle science-fiction, histoire africaine et imagination spéculative pour revaloriser les identités noires. Votre travail est souvent associé à ce courant. Qu’en pensez-vous ?
    Depuis peu, le terme a été déformé, vidé de son sens. Il est utilisé à tort et à travers pour désigner tout ce qui semble “différent”, par des gens qui ne le maîtrisent pas. Et si on emploie ce mot pour simplement désigner quelque chose de “futuriste”, alors je trouve ça presque insultant. Pourquoi ce que nous faisons ne pourrait-il pas exister ici et maintenant ? Pourquoi faudrait-il toujours reléguer notre travail à un avenir lointain, à quelque chose d’extraterrestre ou d’incompréhensible ?

    Selon la rappeuse Little Simz, le public est persuadé que, grâce à leur succès, les artistes sont tous épanouis. Êtes-vous un homme pétri de doutes ?
    Même nos proches projettent cette image sur nous – celle de la réussite, de l’artiste accompli, qui n’a plus de problèmes. Comme si nous vivions une existence au-dessus du commun des mortels. On nous imagine constamment en train de créer, méditant sur nos idées. Ce n’est pas la réalité. Cela étant, il faut ressentir le chagrin et la solitude. Traverser ces états et les éprouver pleinement. Ressentir le vide, c’est déjà ressentir quelque chose. Reconnaître l’absence, c’est déjà une forme de conscience. Et c’est souvent cela que nous, artistes, essayons d’explorer à travers notre musique : cette capacité à déconstruire, à comprendre et à proposer une nouvelle manière de regarder la douleur ou le vide.

    Paradise Now & Forever (2025) d’Obongjayar, disponible.