23 juil 2025

Le duo Clipse (Pusha T et No Malice) a-t-il sorti l’album rap de l’année ?

Seize ans après son dernier album, le duo Clipse (Pusha T et Malice) signe un retour marquant avec Let God Sort Em Out, produit par Pharrell Williams. Entre clashs, luxe et écriture acérée, le duo iconique du coke rap frappe fort. L’album est-il le meilleur projet rap de l’année 2025 ?

  • par Alexis Thibault.

  • Clipse : la légende du coke rap et l’école de la dureté

    Il y a les retours qu’on croyait impossibles. Et ceux qu’on n’osait même plus espérer. Clipse, duo de musique culte de Virginia Beach composé des frères Thornton – Malice et Pusha T – appartient aux deux catégories. Seize ans après Til The Casket Drops (2009), les revoilà avec Let God Sort Em Out (2025), un album qui ressuscite leur esthétique sans la figer dans la nostalgie.

    Formé à la fin des années 1990, Clipse s’est rapidement imposé comme l’un des duos les plus redoutés du rap américain. Leur premier album Lord Willin’ (2002), produit par les Neptunes, est un classique immédiat. Une alchimie entre beats intergalactiques et sombres récits sur la vente de drogue, la rue et les ambitions contrariées. Avec Hell Hath No Fury (2006), les deux frères enfoncent le clou : ambiance étouffante, écriture acérée. Le projet devient une référence absolue du coke rap, ce sous-genre au sein duquel la rue devient une économie de survie. Un terrain de style et, aussi, une religion personnelle.

    Mais après leur dernier album en 2009, les chemins divergent. Pusha T monte en flèche, entre clashs d’anthologie (notamment contre Drake en 2018) et albums salués (Daytona en 2018, It’s Almost Dry en 2022). Malice, lui, prend le large : il se convertit, se retire du rap, et devient No Malice. Leur réapparition commune sur Jesus Is King de Kanye West (2020) n’était qu’un frémissement.

    Chains & Whips (2025) de Clipse, Kendrick Lamar, Pusha T et Malice.

    Le retour maîtrisé de Clipse, entre prestige et provocation

    En 2023, à Paris, tout s’accélère. Sur le podium du défilé Louis Vuitton Homme Printemps-Été, Pharrell Williams, directeur artistique de la marque et producteur historique du duo, diffuse un morceau inédit : Chains & Whips. Un égo-trip sombre, chargé de références à l’histoire esclavagiste américaine. L’annonce de l’album aura été tardive, mais sa sortie, le 11 juillet 2025, s’est faite dans une ambiance de grand spectacle. Le premier single, So Be It, attaque frontalement Travis Scott, qualifié d’“opportuniste sans colonne vertébrale”.

    Autre controverse : la rumeur de censure autour du couplet de Kendrick Lamar sur Chains & Whips. Selon Pusha, Def Jam voulait retirer ses vers les plus incisifs. Résultat : Clipse claque la porte du label. C’est finalement Roc Nation, l’écurie de Jay-Z, qui permet à l’album de voir le jour. Un changement d’équipe qui illustre les tensions entre deux écoles du rap : d’un côté, la pop-rap aseptisée, de l’autre, une écriture âpre et crédible.

    Pharrell Williams chapeaute quant à lui l’ensemble. Le projet a d’ailleurs été enregistré à Paris, dans les studios Louis Vuitton. Ou quand le luxe s’invite au cœur du rap de rue, dans une alliance qui fascine… autant qu’elle divise.

    So Be It (2025) de Clipse.

    Clipse : un album dense, brutal et imparfait

    Malgré leur âge (52 ans pour Malice, 48 pour Pusha T), les Clipse n’ont rien perdu de leur superbe La voix de Malice, plus grave, incarne une sagesse désabusée, nourrie par sa retraite spirituelle. Pusha, de son côté, reste fidèle à lui-même : arrogant, chirurgical, un brin théâtral. Parmi les invités, Kendrick Lamar brille autant que Nas tandis que Tyler, The Creator provoque encore. Et John Legend s’autorise une touche mélodramatique un peu lisse.

    Certains reprochent d’ailelurs à Pharrell d’avoir livré une production trop policée. Là où les Neptunes de Hell Hath No Fury, en 2006, faisaient jaillir le chaos dans la boucle. L’intention luxueuse de ce nouveau disque — enregistrer dans un studio Vuitton, mixer à Paris, soigner le visuel jusqu’à l’obsession — a supprimé certaines aspérités.

    Pourtant, malgré ces faiblesses, Let God Sort Em Out impressionne. Par sa cohérence, d’abord : treize titres, aucun remplissage. Par sa narration, ensuite : les Clipse évoquent l’argent, Dieu, le pouvoir, la famille à coups de punchlines fines, ultra-référencées et souvent drôles. Et par son ambition, enfin : dans une époque où l’album de rap est souvent relégué au rôle de playlist, Clipse propose une œuvre dense et maîtrisée. Trop aseptisée ?

    Let God Sort Em Out de Clipse, disponible.