13 mai 2025

Les clips musicaux sont-ils encore pertinents ?

Autrefois incontournables, les vidéoclips façonnaient l’image des artistes et marquaient la culture populaire. Face à TikTok, YouTube Shorts et la consommation express, leur rôle semble aujourd’hui fragilisé. Est-il encore pertinent ?

  • Par La rédaction.

  • Du petit écran à la culture pop globale

    Autrefois temple visuel de la musique, les clips musicaux ont traversé les décennies en se réinventant sans cesse. D’abord événement télévisuel, puis œuvre artistique à part entière, le clip est aujourd’hui confronté à une remise en question fondamentale. À l’heure des scrolls infinis, de TikTok et du culte du format trente secondes, est-il encore un médium pertinent ?

    Il fut un temps où regarder un clip était une activité à part entière. MTV, VH1, MCM… Les chaînes s’érigeaient alors en laboratoires d’images qui faisaient et défaisaient les carrières. On associait inévitablement un morceau à sa vidéo. Dans les salons de coiffure, les foyers, les chambres d’ados, les mélomanes passent des heures à absorber ces séquences colorées, montées au rythme des BPM.

    C’est en 1981, avec le lancement de la chaîne MTV que le clip devient un outil marketing aussi puissant qu’identitaire. Le morceau des Buggles, Video Killed the Radio Star, sera la première vidéo dévoilée, à minuit, le premier août. Il ne s’agit plus seulement d’illustrer un morceau, mais de construire une mythologie visuelle autour d’un artiste. Le clip n’est plus une option, il devient une nécessité.

    Mais voilà qu’en 2005, YouTube redistribue les cartes. À la télévision linéaire succède la consommation à la demande. Le clip devient aussitôt un objet que l’on cherche davantage qu’on ne le subit. Un lien qu’on partage plus qu’un flux qu’on reçoit. Et dans la foulée, les plateformes de streaming musical mettent davantage l’accent sur l’audio que sur le visuel. Une fracture silencieuse commence à se dessiner.

    Video Killed the Radio star (1979) des Buggles.

    Le clip musical : un objet d’art (et d’argent)

    Dans ce nouveau contexte, certains artistes choisissent de transcender le simple accompagnement promotionnel. Certains clips musicaux prennent alors la forme de courts-métrages à part entière. En 2018, This Is America de Childish Gambino, réalisé par Hiro Murai, frappe un grand coup. À la fois dénonciation sociale, performance chorégraphique et fresque dystopique, le clip se veut manifeste. Il se regarde, se décrypte, se partage à l’infini.

    Ce tournant est en fait le prolongement d’une tradition du clip-spectacle. Déjà dans les années 1990, Michael Jackson – pionnier de la vidéo musicale – et Janet Jackson déboursent 7 millions de dollars pour Scream, un clip futuriste signé Mark Romanek. Il reste à ce jour le plus cher de l’histoire. Madonna, alignera quant à elle les productions pharaoniques avec Express Yourself (réalisé par David Fincher en 1989) ou encore Die Another Day (2022).

    Jaragandi (2025) extrait de Game Changer.

    À l’étranger, des productions vidéos toujours plus pharaoniques

    Aujourd’hui encore, certains artistes misent sur la démesure pour affirmer leur place dans la hiérarchie pop. En Inde, Jaragandi, extrait du film Game Changer, mobilise par exemple 600 danseurs sur un plateau colossal. Le groupe Coldplay, jamais en reste, investit l’Odéon d’Hérode Atticus à Athènes pour Feelslikeimfallinginlove, un clip-inclusion où la langue des signes devient langage musical. Ailleurs, la star du cinéma indien Shah Rukh Khan, fait danser 1000 femmes sur Zinda Banda dans une effervescence visuelle typiquement bollywoodienne.

    Mais si l’ambition esthétique reste parfois intacte, elle se heurte de plus en plus souvent au même problème structurel : l’attention.

    This is America (2018) de Childish Gambino.

    Les clips musicaux subissent le scroll interminable

    Dans une société où tout est condensé, le clip de quatre minutes peine à survivre à l’algorithme. TikTok a transformé les règles du jeu : ce sont désormais les extraits de morceaux, souvent en 30 secondes, qui explosent. Le visuel est toujours là, mais il est vertical, rapide, sous-titré et pensé pour être vu sans le son. Le storytelling laisse place à l’efficacité virale. Le musicien palestinien Saint Levant, par exemple, publie ses performances directement sur TikTok, avec une mise en scène plus brute, plus directe, mais terriblement calibrée.

    Ce n’est plus tant le clip qui fait la chanson que la chanson qui s’adapte au format. Le clip traditionnel se voit ainsi évincé, contourné, repensé. À l’ère de la surabondance visuelle, l’image a mangé le scénario. Le fond a cédé le pas à la forme, et la forme elle-même a été aplatie par le format smartphone. Interrogé à ce sujet, un attaché de presse confirme : “Les artistes doivent produire du contenu. Les jeunes ne se posent même pas la question. Les plus vieux sont en plein cauchemar. Pour la plupart, c’est too much. Ils n’ont pas signé pour ça. Surtout que les clips coûtent toujours aussi cher à produire qu’avant.

    Say So (2019) de Doja Cat.

    L’événementialisation comme dernier recours aux clips musicaux

    Pour survivre, le clip s’événementialise. Il devient rare, il devient hype, il devient viral – mais pas de la manière attendue. Il convoque des acteurs célèbres, se transforme en court-métrage arty ou en manifeste social. The Weeknd multiplie les collaborations cinématographiques, floutant les frontières entre fiction, concert et film. Doja Cat reprend les codes de TikTok avec un montage nerveux. Stromae, quant à lui, injectait déjà dans ses vidéos il y a quelques années une esthétique clinique. Un malaise distillé à la perfection.

    Derrière cette stratégie, une intention : redonner au clip son statut d’objet culturel. Pas seulement un outil promotionnel, mais une œuvre à part entière, porteuse d’un discours, d’une vision. Un miroir de notre époque.

    Alors, les clips musicaux sont-ils encore pertinents ? Oui, mais différemment. Ils ne sont plus des passages obligés mais des prises de parole. Ils ne rythment plus la journée des téléspectateurs mais marquent, quand ils le peuvent, les esprits. Ils ont perdu en fréquence, mais gagné en poids symbolique. À condition de savoir manier les codes de l’ère numérique, tout en refusant d’en être l’esclave.

    Dans un monde saturé d’images, le clip ne peut plus se contenter d’exister. Il doit frapper, déranger, émerveiller. Avoir une raison d’être.