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070 Shake, la rappeuse fascinante adoubée par Kanye West, Madonna et Pusha T
Jeune artiste américaine adoubée par Kanye West, Madonna et Pusha T, la chanteuse, rappeuse et songwriter de 24 ans invente une musique planante, sensuelle et futuriste. Oscillant entre emo rap et R’n’B, Danielle Balbuena, alias 070 Shake, signe des morceaux mélodiques aux accents mélancoliques et aux textes très personnels dans lesquels elle exorcise ses démons tout en invitant les auditeurs à faire de même. Alors qu’elle sort un nouveau morceau, Skin and Bones, ce vendredi 22 avril, portrait d’une figure aussi passionnante que torturée.
Portraits par Colin Solal Cardo.
Texte par Violaine Schütz.
Peu de femmes ont réussi à se frayer un chemin dans le cœur du mystérieux Kanye West. Parmi les exceptions à la règle figurent bien sûr sa mère disparue, Donda, à qui il voue un véritable culte et dont la personnalité nourrit perpétuellement sa créativité, mais aussi son ex-femme, Kim Kardashian, dont il semble toujours pleurer l’absence. En trouvant grâce aux yeux du rappeur star, dont elle est devenue la protégée, on peut dire que la jeune Danielle Balbuena alias 070 Shake, chanteuse, rappeuse et songwriteuse américaine de 24 ans, a relevé un défi de taille. Signée sur le label de Kanye West, G.O.O.D. Music, l’androgyne et charismatique musicienne a également prêté sa voix rauque, sensuelle et envoûtante à deux morceaux de son mentor, les puissants Ghost Town et Violent Crimes présents sur l’album Ye (2018). Des titres désabusés qui en disent long sur l’univers vénéneux de la chanteuse.
Il n’est pas surprenant que le controversé rappeur, connu pour ses soudains revirements émotionnels et ses accès de violence (verbale), ait jeté son dévolu sur cette jeune artiste farouche originaire de North Bergen, dans le New Jersey. Il a suffi à celle-ci d’une mixtape (réalisée avec le collectif 070, dont le nom fait référence au code postal de sa région d’origine), d’un EP et d’un album remarqué (Modus Vivendi, sorti en 2020), pour révéler sa personnalité, et impressionner ses pairs. 070 Shake y dévoilait un univers musical empreint de colère, de spiritualité, de mélancolie, de sexualité et de poésie. Oscillant entre l’emo rap, le gospel et le R’n’B, la chanteuse aux origines dominicaines (par sa mère) y transmet des émotions puissantes inspirées par une enfance difficile dans les rues parfois dangereuses du New Jersey. Ayant testé adolescente toutes sortes de drogues (parmi lesquelles la cocaïne et le Xanax), c’est dans le basket-ball que 070 Shake a finalement trouvé son salut (inarrêtable sur les terrains vagues où ils jouaient, elle prenait toujours le dessus sur les garçons). Mais aussi dans l’écriture de poèmes et de chansons. Deux exutoires qui ont tenu la jeune fille a l’écart des ennuis, elle qui ne se trouvait jamais très loin des bad boys du quartier, toujours prêts à braver les interdits (et à commettre des vols).
Viscéraux, les textes aux airs d’uppercuts de 070 Shake ne mentent pas. Intimes et poignants, ils touchent par leur justesse, secouant chacun au plus profond de lui-même. Danielle Balbuena évoque sans fard ses anciennes addictions, sa solitude, son manque de confiance en elle et ses idées noires. Les titres de ses morceaux en disent long. L’un d’eux s’intitule I Laugh When I’m With Friends But I’m Sad When I’m Alone (“Je ris quand je suis avec des amis, mais je suis triste lorsque je me retrouve seule”). Un autre, Guilty Conscience (“Sentiment de culpabilité”). Celui de son prochain album, dont la sortie est prévue pour 2022, n’est pas plus optimiste. Carrément baptisé You Can’t Kill Me Because I Don’t Exist (“Tu ne peux pas me tuer car je n’existe pas”), l’opus résonne comme une confession nihiliste. Le flow langoureux et hypnotique – comme l’écho de sensations engourdies – de la chanteuse qui a collaboré avec Teyana Taylor, Madonna (sur un remix du morceau Frozen) et Pusha T traduit, lui aussi, parfaitement les doutes et désillusions de sa génération. Quand elle chante, 070 Shake semble souvent aux bords des larmes, amenant l’auditeur à vivre les épreuves qu’elle a traversées, à penser à ses propres plaies et à vouloir les guérir dans une introspection cathartique.
Dans les clips de la jeune artiste, la violence est partout. Tantôt elle se saisit d’une batte de base-ball pour exploser l’écran de la caméra, tantôt elle gît, en sang, sur le sol, après un accident de voiture. Mais 070 Shake ne sombre jamais dans le pathos. Depuis qu’elle a débuté en 2015, la jeune artiste ose être elle-même, en dépit de tous les préjugés qui persistent. Sans se définir clairement comme queer ou gay, elle avoue aimer les filles dans un milieu encore très homophobe, celui du hip-hop. D’ailleurs, lorsqu’elle évoque les relations amoureuses, elle n’hésite pas à utiliser les pronoms féminins dans ses chansons. À la manière d’un Lil Nas X, l’artiste envoie valser sur fond de synthés rétro-futuristes les idées préconçues sur le genre et le rap. Son rêve ? Devenir le Freddie Mercury de sa génération. Un rêve prémonitoire ?