6
6
Les sculptures de Pablo Reinoso folâtrent au château de Chambord
Jusqu’au 4 septembre, les sculptures poétiques de Pablo Reinoso font corps avec l’architecture et les jardins du château de Chambord dans une exposition réunissant plus de 50 œuvres emblématiques du Franco-Argentin – dont 23 créées spécialement pour l’événement.
Par Elliot Mawas.
Dans les jardins à la française du château de Chambord, qui accueille chaque année plus d’un million de visiteurs, un arbre déploie ses branches d’acier au cœur du bosquet de merisiers. Dans le seul domaine royal resté intact depuis sa création en 1519 par François Ier, qui abrite l’un des plus vastes châteaux de la Loire, la sculpture de Pablo Reinoso Still Tree (2019) détonne. En effet, chaque année, le château a coutume d’inviter un artiste à s’emparer des lieux afin d’offrir aux visiteurs une nouvelle perspective sur ce joyau du patrimoine français. À l’origine de Still Tree ? Un arbre déraciné trouvé après une tempête, dont les trois branches principales ont été amputées. Pablo Reinoso, ému par son sort, a greffé sur son tronc de bois une prothèse métallique qui vient remplacer les branches manquantes. Arbre-cyborg, il s’ancre dans la réflexion de l’artiste franco-argentin qui travaille, à la frontière du design, au détournement des objets de leur fonction première. À l’image des bancs spaghettis qui l’ont notamment fait connaître, les œuvres de Pablo Reinoso rendent hommage à la métamorphose de la matière, au flux naturel, toujours en mouvement et prêt à déborder, élan vital de la nature. Son travail interroge l’équilibre fragile résultant des rapports parfois antagoniques, parfois harmonieux, entre l’homme et la nature. Le château de Chambord, éminent symbole de cette main de l’homme cherchant à dompter l’environnement, s’impose comme le cadre idéal à cette exposition retraçant, à partir de 50 œuvres, dont 23 créées spécialement pour l’évènement, les quarante années de carrière de l’artiste. Pour ce dernier, à Chambord, il ne s’agissait donc pas simplement d’exposer, mais d’inscrire ses œuvres dans les lieux, en harmonie avec celles déjà existantes.
Au fil des pas, Chambord s’offre ainsi à un nouveau regard. Pour la première fois de son histoire, le célèbre escalier à double révolution de Léonard de Vinci accueille par exemple une installation de Pablo Reinoso, Respirantes, sur plus de 18 mètres. Les fameux bancs spaghettis, œuvres emblématiques de l’artiste, habillent quant à eux les couloirs du château. Les lattes de bois qui le composent s’affranchissent subitement de leur fonction d’objet pour se muer en branchages enlacés évoquant toute la vitalité de cette matière végétale. Ailleurs dans le château, d’autres sculptures en bois s’invitent dans les foyers de cheminées, évoquant les flammes disparues. Propos paradoxal puisque le bois, habituellement consumé par les flammes se fait ici la matière à partir de laquelle elles peuvent renaître. Pour l’artiste, il s’agissait de faire corps avec l’architecture et l’histoire du domaine : “Lorsqu’on se retrouve dans le contexte si particulier d’un château ou d’un autre lieu de ce type, il faut prendre le temps d’intégrer son histoire, son inertie, son âme et il faut parvenir à glisser son regard dans ce cadre” confiait-il dans un entretien. Pour cette exposition, il s’essaye aussi à un nouveau genre artistique : la peinture à l’encre de Chine dont il a justement commencé la pratique lors du confinement, alors qu’il était en résidence à Chambord. Sa monumentale installation Entrelacs, à l’encre de Chine, s’étend ainsi sur la façade du château. Le geste habituellement sculptural et technique de l’artiste laisse place, pour cette installation de 45 mètres de haut à celui, plus fluide et poétique de la peinture pour tracer des lignes, des liens, entre le végétal et l’humain, le passé et le présent.
Côté jardin, une sculpture réalisée spécialement pour l’exposition, Révolution végétale (d’après Léonard) apparaît comme un contrepoint au célèbre escalier à double révolution, fleuron du château de Chambord. Dans cette sculpture en pierre et en métal de 7 mètres de haut, Pablo Reinoso a repris la forme de l’escalier à double révolution, dépossédé de sa structure externe. Le squelette des marches déployées autour de l’axe central évoque aussi bien des branches stylisées autour d’un tronc, qui se mêlent les unes aux autres. Les espaces extérieurs sont ainsi parsemés de 12 œuvres de l’artiste invitant le visiteur à les découvrir au cours de ses déambulations… une façon de regarder avec un œil neuf ce château séculaire.
L’exposition Débordement, à Chambord par Pablo Reinoso, du 1er mai au 4 septembre 2022.