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Kitsch et papiers-peints : les chefs-d’œuvre de Van Gogh magnifiés par la peintre Laura Owens
Pendant près d’un an, l’artiste contemporaine américaine Laura Owens a vécu à Arles, imprégnée de la ville provençale, de son histoire, et surtout de l’un de ses plus célèbres résidents : Vincent van Gogh. Jusqu’au 31 octobre, la Fondation Vincent van Gogh Arles présente le fruit de sa rencontre avec l’œuvre du peintre, où la quinquagénaire confronte sept tableaux tardifs du maître néerlandais à ses propres peintures et papiers-peints. Un dialogue d’une redoutable efficacité.
Par Matthieu Jacquet.
Les dernières années de Vincent van Gogh ont été particulièrement éprouvantes. Installé à Arles en 1888, le peintre néerlandais, en proie à de nombreuses crises et épisodes dépressifs voire psychotiques, aggravés par sa consommation d’alcool, se tranche l’oreille gauche un soir de décembre avant de l’apporter à une prostituée de la ville. Mais si l’on retient souvent la part d’ombre de cette période de sa vie, on a tendance à oublier que c’est aussi la plus productive du peintre : pendant ses deux années passées en Provence, il peint plus de 200 tableaux dont ses plus grands chefs-d’œuvre, des Tournesols (1888) au Champ de blé aux corbeaux (1890) en passant par la Nuit étoilée (1889). Très actif, il projette même d’inviter d’autres artistes sur place. Plusieurs exemples éminents de ce foisonnement ornent actuellement les cimaises de la Fondation Vincent van Gogh à Arles, qui s’attelle depuis sept ans à défendre l’héritage vivace laissé par l’artiste dans la région. Et pour donner à l’un des plus célèbres artistes du XIXe siècle une résonance plus contemporaine, elle a choisi, cet été, de mettre son œuvre en regard de celle de la peintre américaine Laura Owens.
Peinture sur le dos de la toile ou sur les murs, autocollants, compositions à base de fils de laine, boutons et morceaux de feutres sur toile… Il y a une vingtaine d’années, l’artiste Laura Owens, basée à Los Angeles, commence à repousser les limites de la peinture, à l’époque où ce médium se voit rejeter au profit de l’installation, de la performance ou encore de la vidéo. Tantôt figuratives, tantôt abstraites, ses toiles colorées aux motifs souvent enfantins jouent sur la répétition, la transparence ou la superposition, toujours dans l’optique de perturber les attentes et la perception du spectateur. Si l’éclectisme de cette approche post-abstraction peut sembler éloigné du travail de Vincent van Gogh, la rencontre entre les deux artistes semble un signe du destin : alors que le confinement paralyse le monde début 2020, Laura Owens élit domicile à Arles et part à la découverte de la ville et de son histoire, entre anecdotes locales et biographies de ses figures illustres. Passionnée par la peinture de Vincent van Gogh depuis son enfance, la quinquagénaire épluche ses archives conservées à la fondation, notamment les précieuses lettres dans lesquelles il consigne son expérience dans la région. C’est au cours de ces recherches sur la fin du XIXe siècle que Laura Owens fait la découverte d’une autre peintre de cette période : la Britannique Winifred How, dont les motifs floraux l’inspirent au point qu’elle les place en toile de fond de son exposition à la fondation Van Gogh.
Orchestrer un dialogue entre art moderne et art contemporain est un exercice souvent périlleux, surtout avec un peintre du calibre de Van Gogh. Ainsi, c’est avec une certaine appréhension qu’on pénètre dans l’exposition pour découvrir le fruit de cette rencontre avec Laura Owens. Mais les doutes sont rapidement levés : là où l’on s’attendait à voir les tableaux du maître densément alignés sobrement dans les salles, ceux-ci sont au contraire isolés, trônant parfois seuls entre trois murs. Laura Owens comble habilement le vide de ce parcours aéré grâce à d’immenses papiers-peints ultra-colorés réalisés à la sérigraphie, donnant une lecture nouvelle des sept sublimes toiles de son aîné. Le foisonnement sinueux des arbres peints par le maître hollandais et les arabesques de leur cadre doré, se prolonge sur le mur même, parsemé de branches vertes et de fleurs bleues, roses et rouges, qui nous invitent à considérer plus attentivement le tableau. Plus loin, un champ provençal peint par Van Gogh en 1899 se trouve encerclé par des poissons-chats prêts à mordre à l’hameçon, décuplés en all-over sur le fond jaune de la cloison. D’une ambiance à l’autre, Laura Owens balade le spectateur entre verdure printanière, bleu aquatique et rose bonbon que l’on verrait volontiers aux murs d’une chambre d’enfant, sans rien enlever à la puissance formelle et symbolique des toiles du peintre néerlandais. L’Américaine s’amuse même à semer des indices de leur filiation : sur son immense monochrome bleu clair accroché sur un fond gris et rose, deux formes noires apparaissent, ombres sommaires d’oiseaux en plein vol qui évoquent les fameux corbeaux représentés par Van Gogh peu avant sa mort.
Alors que les salles suivantes, moins vastes, laissent présager un accrochage plus classique, Laura Owens continue de dérouter le visiteur en dévoilant, cette fois, les multiples facettes de son propre travail. Le papier-peint, qui investissait jusqu’ici l’ensemble des murs, se transpose désormais sur quelques toiles graphiques, où s’invite par exemple un papillon de nuit, cousin de celui représenté par le peintre il y a un siècle et demi. Laura Owens fait varier la densité de la matière et de la couleur, ponctue ses œuvres de traces de peinture vives voire flashy, parfois directement appliquée au tube à leur surface comme des écorces. Sur le fond de l’une d’elles, un damier gris et blanc imite le calque vide de Photoshop, manifestation taquine d’une ambiguïté entre l’image numérique et l’œuvre physique. Troublé par ce qui se joue à l’intérieur des cadres, le visiteur découvre également, sur leurs bords, la présence fortuite de mégots ou de mini-trognons de pomme façonnés par l’artiste, qui semblent y avoir été oubliés. Pour clore le parcours, des dizaines de livres – eux aussi réalisés par l’artiste – recouvrent des tables, accompagnés de peintures, de quelques archives et croquis, et même, camouflée sous l’une des couvertures s’offrant aux doigts curieux des visiteurs, une vidéo diffusée sur un iPad. Rythmée par des chants d’oiseaux émanant des enceintes, l’exposition se montre comme une réponse des plus efficaces au confinement, mais aussi aux plus grands adeptes du virtuel qui prétendraient les remplacer par leurs ersatz numériques.
Laura Owens et Vincent van Gogh, jusqu’au 31 octobre à la Fondation Vincent van Gogh Arles.