Art

27 juin 2025

Avec les artistes Anna de Castro Barbosa et Simon Petit Fort, les corps se racontent sans se montrer

Fraîchement diplômés des Beaux-arts de Paris, les jeunes artistes Anna de Castro Barbosa et Simon Pëtit Fort présentent jusqu’au 28 juin une exposition en duo à la galerie du Crous, sous un commissariat de Céline Poizat Sabari. Une ode poétique et sculpturale au contact, où les corps parlent sans se montrer.

  • Par Matthieu Jacquet.

  • Simon Petit Fort et Anna de Castro Barbosa, deux jeunes sculpteurs exposés à Paris

    Les Néerlandais ont un mot pour cela : “huidhonger”, littéralement, la “faim de la peau”. Un mot qui a suscité un regain d’intérêt il y a quelques années, en pleine pandémie, pour signifier ce besoin de contact physique ressenti dans le monde entier, à la fois appuyé par la distanciation sociale, le confinement et la prévalence des écrans dans nos interactions.

    Quelques années plus tard, Anna de Castro Barbosa et Simon Petit Fort semblent, à la galerie du Crous, donner forme à cette notion. Jusqu’au 28 juin, les deux jeunes artistes français, tous deux sculpteurs et fraîchement diplômés de l’école des Beaux-arts de Paris, présentent une exposition en duo sous un commissariat de Céline Poizat Sabari. Un projet que l’on pourrait voir comme une ode au contact des corps, sans les corps.

    Réalisées au fil des derniers mois, leurs sculptures se dévoilent sur deux étages dans un espace complètement réadapté pour l’occasion. Moquette beige au sol, rideaux écrus le long des murs et tas de matelas à l’entrée génèrent un environnement feutré dans lequel on évolue sans ses chaussures, tandis dans les salles bourdonne un bruit blanc – ces sons continus enveloppants, qui aident notamment à endormir les nourrissons. On se sent immédiatement protégé par cette “galerie-membrane”, comme dans un cocon.

    Une ode à la légèreté et à la finesse

    Si Anna de Castro Barbosa et Simon Petit Fort développent chacun leur propre pratique, ce qui frappe devant leurs œuvres ainsi réunies, c’est d’abord leur légèreté et leur finesse. Suspendus au plafond, les mobiles de la première esquissent dans le vide, à l’aide de fines feuilles d’inox, d’élégantes arabesques où s’invitent quelques boules blanches qui semblent figées dans leur course. Montés sur socles ou directement posés au sol, les assemblages du second, à base d’éléments en volume épurés imprimés en 3D, paraissent reposer les uns sur les autres. Distinctes mais jointes, les parties de chaque sculpture sont interdépendantes. Leur équilibre, en réalité savamment assuré par les artistes, semble ne tenir qu’à un fil.

    Des sculptures abstraites qui évoquent le corps

    Qualifiées d’abstraites par leurs deux auteurs, toutes les œuvres réunies évoquent pourtant la figure humaine sans la représenter. Fascinée par le matériel médical et son vocabulaire formel, Anna de Castro Barbosa n’hésite pas à détourner des accessoires – spéculum auriculaire, miroir de dentiste, prothèses mammaires – de leur fonction originelle en les intégrant à ses créations : une étrange familiarité se dégage de ses objets ergonomiques épousant les formes de notre anatomie. Quant à Simon Petit Fort, ses sculptures d’un blanc laiteux, caractérisées par des protubérances aux airs de glandes, évoquent aussi bien des gouttes de liquide que des organes internes, voire des éléments de l’appareil génital. Le corps est, sans nul doute, le grand implicite de cette exposition.

    Il n’est d’ailleurs pas un hasard que les artistes prennent tous deux “soin” de leurs œuvres, “réhumanisant” ainsi leurs matériaux industriels ou artificiels. Simon Petit Fort les maquille au fard à paupières, ponctuant leur surface immaculée de touches de couleur poudrées. Anna de Castro Barbosa recouvre de silicone les boules de ses mobiles, suscitant face à la froideur du métal un désir tactile. La plasticienne, dont on pouvait voir le travail il y a quelques mois dans l’exposition des félicités des Beaux-arts de Paris, présente également une autre série particulièrement intime : des boîtes en plexiglas renfermant des poils et cheveux de ses proches, recueillis au fond de la douche. Sur leurs surfaces lumineuses, ces dépôts organiques dessinent alors des tourbillons d’une grande force graphique.

    “À mesure que nous produisions nos œuvres pour cette exposition, une porosité entre nos pratiques s’est installée”, notent les deux artistes, tous deux proches amis. Ni agressives, ni rigides, ni lourdes, ni autoritaires, les formes douces et lisses de leurs œuvres les inscrivent dans le sillon de sculptrices contemporaines comme Nairy Baghramian, Camille Henrot ou encore Kapwani Kiwanga. Comme elles, les jeunes diplômés développent une sculpture qui joue sur la tension de son équilibre, qui assume sa propre fragilité, condition de son existence, mais aussi développe une véritable poétique du contact.

    Au premier étage de la galerie, l’exposition se clôt avec une salle aux airs de sépulcre : là, sur la moquette repose une dernière œuvre de Simon Petit Fort – sans doute la plus allégorique et figurative –, dont la forme noire longue et évasée rappelle celle d’un gisant. Sur ses extrémités, plusieurs “œufs” blancs s’agrègent, rappelant malicieusement combien le peau à peau reste essentiel à la promesse d’une vie à venir.

    Anna de Castro Barbosa & Simon Petit Fort, “Lull’ on the lips”, cur. Céline Poizat Sabari, exposition jusqu’au 28 Juin 2025, Galerie du Crous de Paris, Paris 6e.