La créativité est-elle morte dans l’industrie du cinéma ?
Dune, deuxième partie, Vice-versa 2, Wicked… Le constat du box-office mondial de 2024 est sans appel : les suites de films prolifèrent au cinéma, moissonnant des millions de dollars. Entre coups d’éclat cinématographiques et navets monumentaux, Numéro décrypte la passion d’Hollywood pour les remakes, spin-offs et autres reboots…
par Jordan Bako.
Reboots, sequels, spin-offs, et plus si affinités
Revivals, reboots, spin-offs, sequels… Quelque soit l’anglicisme que l’on emploie pour les désigner, les suites sont partout à Hollywood. Personne n’a pu passer à côté du déluge de projets qui ont l’ambition de renouer avec les œuvres d’antan.
Presque aucun genre n’échappe à la tendance : des films d’horreur avec The Crow et Nosferatu, aux films d’animation avec Vice-versa 2, sans oublier la science-fiction Alien : Romulus, et les films d’action comme Gladiator 2, Bad Boys: Ride or Die.
Nombre de ces films trustent le top 15 des plus belles performances au box-office mondial de 2024 selon la plateforme IMDB. Il faut justement attendre la 15e place de ce classement pour trouver un long-métrage qui n’a pas encore fait l’objet d’une relecture au cinéma, avec Jamais plus : It Ends With Us – rom-com qui s’agit, en fait, d’une adaptation d’un best-seller de Colleen Hoover.
Les suites existent depuis longtemps dans le cinéma hollywoodien : le roman Tarzan chez les singes d’Edgar Rice Burroughs, fait l’objet de deux premières transpositions au cinéma en 1918. Entre 1918 et 1939, ce sont 15 films inspirés par l’univers de Tarzan qui arrivent au grand écran.
Quant à lui, le film d’horreur La Momie (1932) a eu le droit à quatre suites dans les 10 ans qui ont suivi sa sortie. Enfin, ce sont trois adaptations de King Kong, qui ont succédé au film de Merian Cooper et Ernest Schoedsack (1933), avant que John Guillermin ne s’en empare en 1976 – sans compter les copies et parodies dont King Kong a fait l’objet.
Du cinéma vers les séries
Ces derniers temps, même les séries suivent le pas avec des reboots en cascade de tous genres. On pense par exemple au prequel House of the Dragon (2022-2024), au spin-off Charmed (2018), au prequel Dexter: Original Sins (2025) – ou même la nuée de séries Star Wars que l’on n’ose même plus prendre la peine de compter.
S’ensuit un étrange jeu de chaises musicales : les films deviennent des séries, les séries deviennent des films, et vice-versa. La série Mercredi (2022) fait de la cadette de La Famille Addams (1991) une héroïne de drame adolescent. Dune : Prophecy explore l’histoire des Bene Gesserit, une mystérieuse secte aperçue dans les blockbusters de Denis Villeneuve.
Plus encore, la série Equalizer (1985-1989) fait l’objet d’une adaptation au cinéma avec Denzel Washington (2014) avant de revenir au petit écran avec Queen Latifah en 2021. Enfin, si bien des fans estimaient que la fin de la série Breaking Bad (2008-2013) était baclée, le film El Camino : Un film Breaking Bad (2019) servait d’épilogue à la série phare des années 2010.
La nostalgie, ou comment séduire le public
D’où cette question, épineuse… La créativité est-elle morte à Hollywood, temple mondial du cinéma ? Bien des studios majeurs de production semblent de plus en plus frileux à mettre en branle des créations originales. Ces dernières sont perçues comme un risque face au charme réconfortant du remake.
Afin de remédier à cela, les cinéastes préfèreraient piocher dans l’abondance d’idées pré-existantes, poussés par les studios de production à privilégier la rentabilité des œuvres. C’est ainsi que naissent des myriades d’adaptations de livres et de comédies musicales, de biopics – ou plus simplement, de prequels, sequels et spin-offs de projets qui n’en ont pas toujours besoin.
Au cœur de cette vague de reboots, la nostalgie a donc des allures d’argument commercial. En multipliant les easter eggs (des indices laissés par les réalisateurs révélant subtilement une partie de l’intrigue), le fan service (cette technique de marketing consiste à rejoindre les exigences des fans) et autres clins d’œil que seuls les fans les plus assidus sont en capacité de discerner, les producteurs parient sur la rentabilité d’une œuvre déjà bien connue de l’audience pour peupler les salles.
Y’a-t-il plus de remakes aujourd’hui qu’il y a 40 ans ?
Selon le média canadien The Cardinal Times, parmi les 53 films qui ont réuni plus d’1 milliard de dollars au box-office, 38 sont des sequels ou des remakes. En somme, rien de tel qu’un univers, plus ou moins bien, réchauffé pour mobiliser le public dans les salles. Surtout que le cinéma a subi beaucoup de tumultes récemment, du pouvoir pris par le streaming à la grève d’Hollywood.
Est-ce que la cadence de remakes s’est autant intensifiée que cela ces dernières années ? Aux premiers abords, les films n’ont même pas le temps de s’installer dans les esprits que l’on est déjà assaillis de projets de sequels ou de prequels. Et pourtant, d’après Stephen Follows, analyste de données spécialisé dans l’industrie cinématographique, il n’y aurait pas plus de sequels aujourd’hui que dans les années 80.
En revanche, les reprises occupent une place clé dans les chiffres générés au box-office américain. Selon les résultats du chercheur, les sequels n’occupent que 5% des films sortis en 2023, mais constituent un peu plus de 45% des revenus au box-office de l’année.
Cela étant dit, l’étude de Stephen Follows ne concerne que les sequels, sans prendre en compte que les autres formes que les remakes peuvent revêtir : prequels, spin-offs et reboots. Difficile d’estimer la part d’œuvres originales dans le paysage cinématographique contemporain…
Les suites des films sont-elles réussies ?
Pourtant, il est bien connu que les suites ne sont pas toujours des réussites. La preuve la plus éclairante de l’année s’agit peut-être du Joker : Folie à Deux de Todd Philipps sur lequel Warner Bros a misé pas moins de 200 millions de dollars. Un projet qui vendait du rêve : une comédie musicale déjantée avec Joaquin Phoenix et Lady Gaga en têtes d’affiche…
Le rêve vire au cauchemar dès l’arrivée au cinéma : la critique est venimeuse, le public divisé. Le média américain Forbes estime l’hémorragie à 150 millions de dollars. Une hécatombe face au milliard récolté par le premier volet du Joker en 2019.
Les remakes sont-ils, pour autant, tous des ratages ? Des cinéastes parviennent à déroger à la règle en apportant un regard novateur sur les intrigues d’antan. Trésors passés inaperçus, cultes d’autrefois ou projets considérés comme des navets… Certaines suites dépoussièrent nos films favoris en les revisitant à l’aune de questions contemporaines – venant presque à voler la vedette aux films dont ils sont inspirés.
Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (2017) est l’un des exemples qui nous paraissent les plus pertinents pour décrire ce phénomène. Adaptation en série du film homonyme de Spike Lee (2019), elle donne davantage de place à l’intériorité, à complexité de son personnage principal : une artiste noire et queer, ballottée dans un drôle de triangle amoureux…
Le phénomène Wicked
Cette année, certains remakes ont réussi à nous surprendre – à commencer par le film Wicked, adaptation de la comédie musicale du même nom, inspirée par Le Magicien d’Oz (1939). Cynthia Erivo, Ariana Grande et Jonathan Bailey font des merveilles dans cette relecture camp et féerique.
Dans Furiosa, cinquième film de la saga Mad Max, Anya Taylor-Joy crève l’écran en guerrière rageuse au milieu des paysages désertiques. L’actrice a également joué dans Dune : deuxième partie, une autre pépite de 2024, digne héritière du premier film (2021).
Côté film d’horreur, Smile 2 fait de l’ombre à son premier chapitre, parodiant les paillettes d’Hollywood avec une Naomi Scott gangrenée par la paranoïa. Enfin, Vaiana 2 s’érige comme l’un des plus beaux succès de cette fin d’année, avec plus de 400 millions de dollars au box-office mondial depuis sa sortie.
Les suites ne sont pas près de quitter nos écrans d’aussi tôt. Selon le média américain CNBC, entre 50% et 70% des six plus gros studios de cinémas sont inspirés de projets pré-existants. Et nombre de reboots figurent déjà parmi les films les plus attendus de 2025.
Bref tour d’horizon : Blanche-Neige, Mission Impossible : Dead Reckoning, partie 2, Bridget Jones : Folle de lui, Ballerina de la saga John Wick, Les 4 Fantastiques, Freakier Friday ou Jurassic World : Renaissance… 2025 sera-t-elle – encore – l’année du remake ?