Dior haute couture : qui est Faith Ringgold, l’artiste et activiste célébrée au défilé ?

Le décor du défilé Dior haute couture, hommage à l’artiste afro-américaine Faith Ringgold

Dans le sillage de la rétrospective organisée au musée Picasso au printemps 2023, qui introduisait l’œuvre passionnante de Faith Ringgold (1930-2024) au public français, le défilé Dior haute couture poursuit l’hommage rendu à l’une des plus grandes figures de l’art afro-américain, disparue en avril dernier. Au sein de son traditionnel cube installé dans les jardins du musée Rodin, la maison de mode française recouvre ses murs et son plafond d’œuvres inspirées par le travail de la plasticienne, dont les combats féministes et antiracistes qu’elle menaient depuis les années 60 ont fait date dans l’histoire de l’art occidental, permettant après elle à de nombreux artistes de couleur et engagés d’avoir davantage d’espace pour s’exprimer.

Un combat proche des valeurs de Maria Grazia Chiuri, qui multiplie depuis des années les célébrations de grandes figures féminines et de femmes artistes à l’occasion de chacun de ses défilés. Susan Sontag, Simone de Beauvoir, Virginia Woolf, Claire Fontaine, Judy Chicago, Eva Jospin, Catherine de Médicis… et Faith Ringgold donc, dont les œuvres se retrouvent ici réinterprétées au sein de dizaines de bannières et d’une trentaine de mosaïques grandeur nature reproduites en broderies.

Les quilts de Faith Riggold, entre engagement et tradition

Née en 1930 à Harlem, Faith Ringgold grandit en plein dans la scène artistique afro-américaine bouillonnante qui remue alors le quartier new-yorkais. Professeure d’arts plastiques – à défaut de pouvoir suivre une formation aux beaux-arts du City College de New York, alors fermé aux femmes –, elle ébauche au début des années 60 ses premiers tableaux, largement inspirés des musiciens, des artistes et des chanteurs qui peuplent son quotidien. Dans son appartement, elle réalise des œuvres dont les couleurs vibrantes et les techniques feront, bien plus tard, sa renommée.

À commencer par ses fameux quilts (courtepointes), qui rendent hommage à une tradition textile de ses ancêtres esclaves et qu’elle fabrique avec sa mère Wili Posey, couturière et créatrice de robe très appréciée à Harlem. Ornées d’un bordure imprimées de motifs textiles (des fleurs, des figures géométriques), ces huiles sur toiles bordées de tissu dessinent le vocabulaire de son art engagé, notamment ses représentations de femmes noires dans des scènes qui dénoncent aussi bien le racisme que le sexisme auquel elle est alors elle-même confrontée.

Toiles de fond de nombreuses de ses performances engagées qu’elle initie dans les années 70 au sein d’universités et de musées (elle organise notamment en 1968 une grande manifestation devant le Whitney Museum pour obtenir l’entrée d’artistes noirs et de femme dans les collections), ces œuvres se transformaient hier en 32 mosaïques recouvrant les murs du défilé Dior haute couture, brodées selon la même technique du quilt par les ateliers de Chanakya et par la Chanakya School of Craft.

American People : une série pionnière de l’art afro-américain

Réinterprétées au défilé Dior à travers le prisme de la mode et du sport, en écho aux Jeux Olympiques 2024), ces figures aux larges traits et aux yeux écarquillés traversent l’ensemble de l’œuvre de Faith Ringgold. Des dessins reconnaissables qui marquent notamment les esprits au milieu des années 60, lorsqu’elle réalise ses premières toiles politiques, à l’image de sa série American People (1963-1967). Inspirée par son voyage en Europe qu’elle entreprend à la même période, et notamment par les tableaux de Pablo Picasso, ces peintures à la palette contrastée dépeignent dans une cacophonie de gestes et au sein d’une construction géométrique éclatée les inégalités sociales de la société américaine. 

Du sang, des armes, des visages marqués par la peur ou par la haine : toute la violence de l’époque, dirigée vers la communauté afro-américaine, se retrouve au sein de ces tableaux intenses où s’affrontent des personnes blanches et noires. Aujourd’hui accrochés sur les cimaises du MoMA, son interprétation américaine du fameux Guernica, chef-d’œuvre du peintre espagnol, choquera autant qu’elle fera de Faith Ringgold une précurseure, ouvrant la voie à toute une future génération d’artistes qui, comme elle, étaient jusqu’alors ignorées par les institutions muséales et le microcosme du monde de l’art. Si aujourd’hui American People fait partie des chefs-d’œuvres de l’art afro-américain, il faudra à l’artiste plus de trois ans et des dizaines de refus avant de ne pouvoir les exposer au sein d’une galerie.

Une reconnaissance tardive

Au cœur de ses combats, son identité d’artiste, femme et noire empêchera Faith Ringgold d’accéder à la notoriété à ses débuts. Optimiste et obstinée, l’Américaine continuera malgré tout de porter son travail haut et fort pendant plus de trois décennies, jusqu’à ce que sa reconnaissance vienne enfin. Portée par son succès auprès des jeunes générations d’artistes (Kara Walker, Diedrick Brackens, Tschabalala Self), elle accède finalement à la notoriété dans les années 90, à plus de 60 ans. Ses œuvres entrent alors dans les prestigieuses collections du Guggenheim et sont exposées du MoMA de New York en passant par, plus récemment, la Serpentine Gallery de Londres et par le musée Picasso à Paris, au printemps 2023. Une large rétrospective – la première en France –, qui souligne autant ses affinités avec les toiles du maître espagnol que son rôle majeur dans l’art afro-américain de la seconde moitié du 20e siècle.

Sans jamais perdre de vue ses valeurs, Faith Ringgold poursuit sa lutte féministe et antiraciste au gré de mosaïques politiques installées dans une station de métro à Harlem, et de quinzaines de livres pour enfants inspirés de son enfance et des motifs qui peuplent ses toiles, avant de s’engager à 80 ans dans le mouvement Black Lives Matter. Un héritage militant et puissant, qui se poursuit au delà de sa disparition en avril dernier à l’âge de 93 ans, au gré d’hommages.

À l’image de ce défilé Dior haute couture dédié à sa mémoire (comme le mentionne la note d’intention), où on retrouve notamment sur le plafond des reproductions de sa célèbre affiche Freedom Woman Now (1971) sous formes de dizaines de bannières sur lesquelles se croisent ces mots et des motifs de triangles entremêlés du tissage de Kuba d’Afrique centrale dans des tons rouges, noirs et vers, représentant le drapeau panafricain.