4 fév 2025

Tendance lingerie : le sous-vêtement masculin se renouvelle

Autrefois relégué à l’intimité ou aux seuls regards de l’autre, la lingerie se réinvente et s’affirme comme vecteur d’expression personnelle. Du soutien-gorge bijou au sous-vêtement sculptant, sans oublier au “no pants” de la maison italienne Miu Miu, les sous-vêtements redéfinissent les frontières entre le privé et le public. Tout en illustrant une nouvelle appropriation des corps. Entre provocation, déclaration de liberté, de confort, ou de pouvoir, le sous-vêtement continue de redéfinir les codes identitaires de notre époque. Numéro en décortique les évolutions sociétales.

La lingerie homme devient sexy avec Louis Gabriel Nouchi

Depuis qu’il a lancé sa marque en 2017, Louis Gabriel Nouchi s’est imposé comme un créateur incontournable de la mode masculine française. Ses pièces les plus emblématiques sont, sans aucun doute, celles qu’il orne d’un discret ajour.

En particulier un slip avec une découpe asymétrique qui dévoile la hanche et le début de l’aine. Il deviendra rapidement sa signature. “Le slip est là depuis la première collection automne-hiver 2018-2019 , explique le créateur parisien.

Le tournant majeur s’opère avec la collection printemps-été 2021, inspirée par le roman L’Étranger d’Albert Camus. Bibliophile, le créateur de mode rend hommage à la littérature à travers ses collections. “Pour le film de Visconti, Mastroianni porte un maillot de bain une pièce des années 1930 dans la scène de la plage. Nous l’avons coupé en deux pour en faire un débardeur et un slip de bain. Puis nous avons ajouté cet élément signature sur les deux pièces”, explique Louis Gabriel Nouchi.

Très vite, cet ensemble de lingerie pour homme, à la fois sobre et sexy, devient un best-seller. À tel point que, cet hiver, cette signature ajourée se décline désormais sur des sacs, porte-cartes et porte-clés en cuir.

L’importance de la représentation masculine

Au-delà de son succès commercial, ce fameux slip a surtout encouragé des réflexions sur la manière dont les corps des hommes sont perçus et représentés. “Je ne pensais pas que le fait de montrer de la peau à cet endroit provoquerait autant de réactions !” confie le créateur. Avant d’ajouter : “Les clients nous envoient des photos de leur marque de bronzage sur les maillots de bain l’été… Je suis très fier du sentiment de communauté que nous avons créé avec cette pièce.”

Par ailleurs, si Louis Gabriel Nouchi suscite un certain engouement, c’est également grâce à son approche inclusive. Une démarche encore trop rare dans le secteur de la mode masculine. Outre une cabine de mannequins aux physiques variés, il propose en boutique des tailles allant du XS au XXL. “Cette diversité doit se retrouver en boutique et ne pas se limiter à un argument marketing ” insiste le designer, lauréat du Grand Prix de l’Andam 2023.

Le buzz de Jeremy Allen White et Calvin Klein

Au printemps 2024, l’acteur américain Jeremy Allen White, primé pour son rôle dans la série culinaire The Bear, fait le buzz. Déambulant sur les toits de New York, en caleçon blanc griffé Calvin Klein, il séduit les femmes et les hommes à travers la planète. En quelques heures, cette campagne de lingerie homme pour la marque américaine enflamme Internet et devient virale sur les réseaux sociaux. Au point de se voir même analyser par les plus grands médias d’information…

Mais ce genre de publicités qui met en scène des figures masculines aguicheuses n’est certainement pas un phénomène nouveau. Pose lascive, regard provocant, visuels épurés et superstars dénudées : une recette publicitaire née dans les années 80 aux États-Unis, qui continue de fonctionner.

On pense par exemple au shooting du modèle brésilien Tom Hintnaus pour Calvin Klein en 1982. Immortalisé par le photographe de mode américain Bruce Weber (aujourd’hui controversé), il est photographié presque nu. Et en contre-plongée, avec un gros plan suggestif sur l’entrejambe. Ou encore à Rafael Nadal, dans une pose similaire pour Armani en 2011.

Le corps masculin, objet de désir

La mise en valeur du corps masculin existe depuis l’Antiquité. Notamment à travers les représentations sportives. Cependant, les publicités contemporaines ont contribué à transformer l’homme en objet de désir, passif, au même titre que les figures féminines” explique l’historienne de la mode Yvane Jacob.

Mettre en scène le corps masculin ne sert plus seulement à exalter des performances ou des exploits. Cette tendance s’inscrit désormais dans le registre du fantasme. Et vient brouiller les frontières de la séduction. Entre célébration du désir féminin et crush collectif, ces publicités de lingerie homme, plus audacieuses que jamais, interrogent toutefois les limites de l’inversion des rôles.

Pour le créateur Louis Gabriel Nouchi, “nous restons attachés aux standards classiques de la masculinité : un homme sportif, souvent musclé. Il reste encore difficile de diversifier cette représentation, qu’il s’agisse d’accepter des corps poilus ou plus inclusifs.”

Sexualisés et soumis aux diktats de perfection visuelle, les corps masculins ne sont pourtant pas perçus comme fragilisant l’autorité ou le statut social de ceux qui les incarnent. L’homme représenté semble toujours conserver les rênes du pouvoir, sans se réduire à une figure de potiche.

Male gaze vs female gaze

Un qualificatif trop souvent associé à la représentation des femmes, objectifiées à des fins commerciales à travers le prisme de ce que l’on désigne sous le terme du male gaze (traduit par regard masculin).

Un concept théorisé par la critique de cinéma et réalisatrice britannique Laura Mulvey en 1975 dans l’ouvrage Visual Pleasure and Narrative Cinema. À travers une analyse du cinéma hollywoodien classique, elle démontre que de nombreux films sont construits autour d’un regard masculin implicite. Et que ce dernier façonne la manière dont les spectateurs perçoivent les personnages féminins.

Aujourd’hui, ce concept s’étend à l’ensemble des représentations des femmes dans les arts, les médias et la publicité. En particulier à la façon dont elles sont sexualisées, réduites à des objets de désir, plutôt que présentées comme des sujets autonomes.

En réponse à cette vision unidimensionnelle, le concept de female gaze (traduit par regard féminin) a émergé ces dernières années. Des approches qui cherchent à désexualiser et à représenter les femmes dans toute leur complexité, comme des individus autonomes et dotés de multiples facettes.

La marque Skims de Kim Kardashian illustre parfaitement le female gaze dans la lingerie. Que ce soit Lana Del Rey, Charli xcx ou Neymar Jr., les stars sont sensuelles et désirables, sans être sexualisées à outrance.

Une possible réinvention de la lingerie homme ?

Même si le sous-vêtement masculin est devenu plus créatif depuis les années 70, les hommes semblent aujourd’hui plus enclins à s’affranchir des modèles imposés par les marques emblématiques , affirme Louis Gabriel Nouchi. “Les matières sont plus créatives et sexy”, et cette liberté s’accompagne d’une ouverture vers des textures et des coupes autrefois réservées à la lingerie féminine.

Pour Renaud Cambuzat, directeur artistique de Chantelle : “L’essor des sous-vêtements masculins en dentelle reflète cette recherche autour des nouvelles masculinités. En lien avec une dimension féminine plus assumée.” Désormais, la transparence et les matières fines trouvent parfois leur place dans le vestiaire masculin. 

Parallèlement, le sportswear, omniprésent dans la mode contemporaine, a largement influencé le secteur de la lingerie homme. “Le sport est devenu une part importante de notre quotidien. Les sous-vêtements ont dû s’adapter à ces usages très spécifiques en termes de performance textile, d’innovations et de confort ”, confirme Louis Gabriel Nouchi.

Cette influence dépasse le cadre purement fonctionnel et s’invite dans les codes de la mode. Dans ses collections, “une pièce à l’esthétique plus sportswear sera souvent associée à des vêtements plus formels, comme un tailleur.”

Toutefois, l’historienne Yvane Jacob émet quelques réserves. Bien qu’il y ait eu une évolution vers plus de confort grâce à ces mêmes fibres, pour elle : “en termes de formes, les options restent encore limitées et les tentatives de lancement de lingerie masculine assez marginales.”

Si les codes esthétiques évoluent, les sous-vêtements masculins peinent encore à briser les barrières du genre. Les marques explorent de nouvelles voies, mais le changement reste timide. Surtout qu’il est question de décennies de standards figés.

Pourtant, le terrain est fertile. Les hommes revendiquent de plus en plus une liberté de corps et de style. Et ne demandent qu’à s’affranchir des injonctions liées à la virilité. Reste à savoir si le marché osera pleinement basculer. Et si les hommes oseront le suivre.