Tendance lingerie : l’essor des marques inclusives et authentiques
Autrefois relégué à l’intimité ou aux seuls regards de l’autre, la lingerie se réinvente et s’affirme comme vecteur d’expression personnelle. Du soutien-gorge bijou au sous-vêtement sculptant, sans oublier au “no pants” de la maison italienne Miu Miu, les sous-vêtements redéfinissent les frontières entre le privé et le public. Tout en illustrant une nouvelle appropriation des corps. Entre provocation, déclaration de liberté, de confort, ou de pouvoir, le sous-vêtement continue de redéfinir les codes identitaires de notre époque. Numéro en décortique les évolutions sociétales.
par Anna Prudhomme.
Victoria’s Secret, une vision archaïque de la lingerie
Perçues dans une ère post MeToo comme véritable symbole des dérives patriarcales, les marques de lingerie ont fait l’objet de fortes critiques. Aubade, Etam ou encore La Perla… En outre, on leur reproche d’objectifier le corps des femmes. Mais aussi d’exercer une pression constante sur celles dont la morphologie ne répond pas à certains critères. À savoir, ceux des mannequins affichées sur les panneaux publicitaires.
On se souvient notamment de la descente aux enfers de Victoria’s Secret. Célèbre pour ses mannequins aux ailes d’ange et pour ses shows grandioses, la marque a annulé son défilé en 2019. En cause, une polémique sur le physique trop parfait de ses modèles. Un scandale qui a entraîné un boycott massif.
À l’époque, Ed Razek, alors responsable marketing, avait déclaré au Vogue n’avoir aucun intérêt à inclure des mannequins grande taille. Avant d’ajouter que les mannequins transgenres n’avaient pas leur place sur le podium de Victoria’s Secret. Des propos archaïques et choquants, qui ont précipité la chute de la marque américaine.
Savage x Fenty, une marque de lingerie inclusive
Face à un monde occidental en plein changement, les marques de sous-vêtements n’ont eu d’autre choix que de s’adapter. Surtout que les labels émergents, comme les néerlandais Love Stories ou les anglais Dora Larsen et Cou Cou, captent toute l’attention des jeunes générations.
Lancée en 2018, Savage x Fenty, la marque de lingerie inclusive de Rihanna, est l’un des exemples les plus emblématiques. En mettant en avant des modèles de toutes tailles, morphologies et identités de genre, tout en intégrant des références à la culture pop, elle réinvente les codes de la lingerie.
Selon une étude de 2019 d’Accenture (entreprise de conseil international), près des deux tiers des consommateurs dans le monde (63%) préfèrent acheter des biens ou des services à des entreprises qui défendent leurs valeurs et leurs convictions personnelles. Ces clients.es en quête de sens privilégient des marques perçues comme authentiques et donc en phase avec leurs valeurs. Au cœur de leurs attentes se placent ainsi la diversité, l’inclusivité et le respect des identités. Mais attention, on ne peut pas se revendiquer du jour au lendemain comme une marque de lingerie inclusive.
Empruntés aux mouvements féministes américains, les termes d’empowerment et de body positivity (traduits par empouvoirement et promotion de la diversité des corps) se voient alors largement utilisés et réutilisés par les marques de lingerie traditionnelles, en particulier par celles souhaitant accompagner leur transition.
Une dérive potentiellement dangereuse, comme le souligne Renaud Cambuzat, directeur artistique de Chantelle. “Lorsqu’une marque pivote très vite, cela peut être perçu comme un mouvement tactique et non sincère,” explique-t-il.
Kim Kardashian revalorise les corps avec Skims
En 2023, la star américaine Kim Kardashian présentait le nouveau soutien-gorge de sa marque de lingerie inclusive et sculptante Skims. Nommé The Ultimate Nipple Push-Up Bra (l’ultime soutien-gorge push-up avec tétons), il promet “une rondeur parfaite avec de faux tétons intégrés pour un effet choc”.
Décrié par les plus conservateurs, ce soutien-gorge moulé sur la poitrine de la star fait carton plein. En particulier chez les survivantes du cancer du sein, qui trouvent un moyen de regagner une part de féminité sans avoir recours à la chirurgie.
Aujourd’hui, il est vrai que le no bra, ou la tendance Free the Nipple, symbolisé par un abandon total du soutien-gorge chez les jeunes générations, s’est très largement popularisé. Ce geste, revendiqué par confort ou par engagement pour l’égalité des sexes et la célébration de la fluidité des genres, marque le retour d’une esthétique libertaire instaurée dans les années hippies.
Le téton apparent, au-delà du simple effet de style, déconstruit les normes genrées tout en revendiquant une féminité pleinement assumée.
Paradoxalement, c’est grâce à cette même Kim Kardashian que le shapewear (lingerie gainante), autrefois relégué à l’arrière-boutique des magasins, a connu une démocratisation fulgurante. En imposant ses formes comme un symbole de puissance féminine, elle a contribué à décomplexer les clients.es.
Grâce à elle, le shapewear n’est plus perçu comme un outil d’oppression qui oblige les femmes à sculpter leurs corps. Au contraire, il permet de valoriser, voire de sublimer ses formes. Depuis, la lingerie gainante est devenue incontournable.
“Mais il y a toujours eu du shapewear dans l’histoire. Le corset, les crinolines, et les paniers étaient une façon de créer un corps artificiel ” nous rappelle Yvane Jacob. “La différence aujourd’hui, c’est le choix ! Les femmes ont le choix entre des sous-vêtements en coton et le shapewear vécu comme un outil de confiance en soi,” précise l’historienne de la mode.
Le sportswear influencé par le shapewear
Un autre basculement majeur ayant contribué à la démocratisation de cette lingerie technique réside dans l’essor de la pratique sportive. Largement promues par des marques américaines telles que Alo, Lululemon ou Honeylove, cette silhouette active donne naissance à un véritable phénomène de mode.
Hybridation entre le vêtement de sport et la lingerie gainante, ces pièces sportswear sont souvent portées en ensemble. Elles reflètent un lifestyle, où un corps sain devient un idéal, qui ne se limite pas seulement à la pratique du sport mais s’étend à une esthétique valorisant une certaine idée du corps.
Un corps sculpté, maîtrisé, qui reflète à la fois la discipline personnelle et une adhésion aux codes contemporains du bien-être. Ces pièces dépassent ainsi leur fonction première pour devenir des marqueurs sociaux et culturels, d’appartenance à une communauté partageant des valeurs et des aspirations communes.
À cela s’ajoute l’innovation technologique des matières utilisées, comme l’intégration de fibres synthétiques telles que le nylon, l’élasthanne ou autres tissus ultra-extensibles. Le legging moulant et la petite brassière sont désormais des indispensables que toute marque de sous-vêtements se doit de proposer.
Outre Chantelle, qui dédie d’ailleurs plusieurs lignes à ce vestiaire technique, Oysho (groupe Inditex) illustre parfaitement cette nouvelle tendance. Lancée en 2001, la marque de sous-vêtements et homewear a récemment opéré un changement stratégique. Désormais, ces collections, proposées à des prix abordables, se consacrent uniquement à la pratique du sport.