4 fév 2025

Tendance lingerie : comment les marques se réinventent ?

Autrefois relégué à l’intimité ou aux seuls regards de l’autre, la lingerie se réinvente et s’affirme comme vecteur d’expression personnelle. Du soutien-gorge bijou au sous-vêtement sculptant, sans oublier le “no pants” de la maison italienne Miu Miu, les sous-vêtements redéfinissent les frontières entre le privé et le public. Tout en illustrant une nouvelle appropriation des corps. Entre provocation, déclaration de liberté, de confort, ou de pouvoir, le sous-vêtement continue de redéfinir les codes identitaires de notre époque. Numéro en décortique les évolutions sociétales.

Une mode pour soi, pas pour l’autre : l’exemple de Chantelle

En 2017, Renaud Cambuzat, photographe et directeur artistique issu du monde de la mode, est nommé à la direction de la marque de lingerie française Chantelle. Son objectif, moderniser cette entreprise familiale fondée à la fin du XIXe siècle.

L’industrie du sous-vêtement, encore stéréotypée et sclérosée dans ses propositions et ses codes, apparaît à Renaud Cambuzat comme l’opportunité d’agir et d’enclencher une transformation sociale du milieu. “ La question du corps est un sujet éminemment politique ”, nous dit-il en interview.

La lingerie, il est vrai, a toujours véhiculé une dimension symbolique puissante. Surtout parce qu’elle joue un rôle central dans la construction et la distinction des genres. Par exemple, le soutien-gorge et la culotte, tels que nous les connaissons aujourd’hui, n’ont émergé qu’au XXe siècle.

Auparavant, les femmes portaient sous leurs jupes des “tuyaux de modestie”, sorte de caleçon fendu à l’entrejambe, laissant un accès direct au sexe. “Parce que le “système fermé”, à l’entrejambe, est réservé aux hommes. C’est l’homme qui porte la culotte !” rappelle Yvane Jacob, historienne de la mode.

En retravaillant un écosystème de marques unifié sous l’égide de Chantelle, la maison vise à représenter les différentes féminités de manière contemporaine. Notamment à travers ses lignes Chantelle Pulpe, Chantelle X, Chantelle Easyfeel ou Chantelle Lab…

Chaque marque a pour vocation de répondre de façon complémentaire aux mouvements sociétaux et aux évolutions des tendances de consommation. “En tant que marque de lingerie installée, on a une part de responsabilité dans les codes qu’on promeut et qu’on véhicule”, affirme Renaud Cambuzat à Numéro.

Chantelle X, proposition créateur, dont l’objectif est d’adresser les nouvelles séductions, deviendra alors le fer de lance de cet engagement. Avec comme sujet la revalorisation des corps par les femmes, la lingerie devient un nouvel objet désirable et désiré. “Après la pandémie de Covid-19, nous avons vu émerger de nouvelles séductions, plus affirmées, qui traduisent l’envie de se réapproprier son image et son corps ”, explique le directeur artistique.

La lingerie à la vue de tous

Sur les podiums, les publicités ou dans les soirées citadines, le sous-vêtement devient vêtement et les femmes s’approprient désormais leur propre déshabillé. Ainsi, Livy, jeune marque de lingerie de luxe lancée par Lisa Chavy en 2017, propose depuis quelques mois une ligne de prêt-à-porter.

Sa spécificité ? Inclure les codes de la lingerie tels que la dentelle, la transparence, ou une veste à mettre directement par-dessus un soutien-gorge. Porter de la lingerie dans des contextes publics traduit alors une forme de libération et d’affirmation du corps.

Bien que la tendance du dessus-dessous ne soit pas nouvelle — Jean Paul Gaultier s’en amusait déjà dans les années 80 en faisant du corset un vêtement iconique —, elle demeure une véritable preuve de transgression créative. En partie car elle remet en question les codes établis de la décence vestimentaire.

Le no pants fait tomber le pantalon

Une autre tendance qui a émergé en 2022 est le no pants (traduit par sans pantalon). Une mode qui consiste à troquer son pantalon contre des pièces ultra-courtes, proches de la culotte.

Aperçue pour la première fois lors du défilé Miu Miu automne-hiver 2023, le no pants gagne rapidement du terrain. Grâce à des célébrités comme Bella Hadid, Kendall Jenner en Bottega Veneta ou Kristen Stewart, qui ont démocratisé cette nouvelle tendance, dans la rue ou sur les tapis rouges.

Si on prend cette tendance et qu’on la met en perspective d’une longue histoire de la mode féminine, il y a un caractère d’affirmation et de libération des carcans. Notamment des règles vestimentaires qui interdisaient aux femmes de montrer leurs jambes”, explique Yvane Jacob.

Encore assez marginale dans la rue, ce nouveau porté incarne une petite révolution. C’est en tout cas ce que souligne par la presse et les agences de style. “Certes, cette mode ne concerne peut-être pas toutes les femmes et dépend des environnements. Mais cet épiphénomène contribue à faire bouger les codes et représente un marqueur sociétal significatif ” affirme Renaud Cambuzat.

L’importance des créateurs de mode et des collaborations

Outre les grandes maisons de mode, les créateurs émergents se sont également imposés comme les porteurs de cette nouvelle tendance. Le déshabillé devient une forme de provocation et s’ancre dans une démarche de disruption, souvent accompagnée d’une pensée politique.

On pense par exemple à la créatrice turco-britannique Dilara Findikoglu, dont le vestiaire mêle esthétiques victoriennes et influences sado-romantiques. Récemment, elle célébrait Halloween avec un bal funéraire où ses invités, souvent plus déshabillés qu’habillés, enterraient joyeusement la masculinité toxique.

En parallèle, des collaborations entre maisons de lingerie et jeunes créateurs de prêt-à-porter émergent dans une dynamique gagnant-gagnant. Des partenariats qui reflètent cette dynamique : une affirmation de soi, inscrite dans une mouvance moderne et résolument féministe.

Les collaborations avec de jeunes talents illustrent notre envie d’insuffler un vent de fraîcheur et de créativité dans l’industrie”, explique le directeur artistique de Chantelle. Ainsi, en 2024, la marque de lingerie collaborait avec Ester Manas. Inclusive et durable, la marque belge, lauréate du prix exceptionnel de l’ANDAM en 2023, s’attache à célébrer toutes les morphologies.

De cette rencontre naissent cinq pièces de lingerie en dentelle de Calais, présentée lors de la Fashion Week parisienne. Pour les accompagner, des jupes transparentes fabriquées à partir de deadstock (stock dormant ou invendu) pour des jeux de superpositions sensuels . “J’aime chez les jeunes créateurs leur patience, leurs convictions, leur exigence sans concession ”, conclut Renaud Cambuzat.