Rencontre avec Sam Quealy, la chanteuse techno pop pour qui Paris est une fête
Sous ses faux airs de Barbie techno pop, l’Australienne installée à Paris est une chanteuse, danseuse et performeuse qui s’est donné pour mission d’embraser la Ville lumière. Proche du groupe de rock La Femme, cette artiste caméléon ultra glamour attire tous les regards. Après plusieurs singles prometteurs, la showgirl magnétique a sorti en mai dernier un premier EP électronique et sensuel, Nightshade, conçu comme une ode à la nuit.
Ceux qui l’ont déjà croisée dans la capitale au détour d’une fête, d’un vernissage ou d’un défilé (on l’a vue chez Weinsanto, Pressiat et Koché) ont eu beaucoup de mal à oublier son aura magnétique, presque extraterrestre. Sam Quealy, chanteuse, danseuse, performeuse, productrice et rappeuse d’une vingtaine d’années ne passe pas inaperçue avec son maquillage outrageux, ses courbes sculpturales et ses looks cyberpunk. Quelque part entre la Pamela Anderson de Barb Wire, la Daryl Hannah de Blade Runner, Madonna, RuPaul et Kylie Minogue, cette Australienne installée à Paris fait partie de la bande fascinante qui gravite autour du groupe de rock-surf-punk-électro La Femme. Elle apparaît souvent, main dans la main, avec Marlon Magnée, cofondateur de la formation française psychédélique pour laquelle Sam Quealy a déjà imaginé des chorégraphies et assuré des premières parties.
Mais celle qui définit son style comme “badass-fetish-chic-club kid” (dur à cuire-fétichiste-chic-clubbeur) n’est pas qu’une jolie fille charismatique et sexy qui hésite entre plusieurs voies artistiques. C’est ce dont témoigne son premier EP, sorti en mai dernier et intitulé Nightshade. On y trouve des hymnes sensuels, efficaces et un poil kitsch (dans le bon sens du terme) qui rendent hommage à toutes les couleurs et lumières de la nuit. La musique de Sam Quealy navigue gracieusement entre gabber (sous-genre du mouvement techno hard-core lancé au début des années 90), eurodance, dance, synthpop et hyperpop. Quand on demande à l’artiste de définir son univers sonore, elle répond : “C’est Jessica Rabbit égarée dans une rave.” Ou encore : “J’écris mes chansons comme je chorégraphierais une danse.” Mais si les sonorités de Sam Quealy provoquent des déhanchés lascifs du corps, l’esprit n’est pas en reste.
Puissante et féministe, Sam Quealy dessine un personnage félin de femme triomphante à qui la nuit (et le monde) appartient. L’un des titres de son EP, le rugissant et torride Big Cat parle “de libération sexuelle, de liberté et de fluidité”. L’Australienne nous confie à son sujet : “J’espère que cette chanson peut servir d’hymne d’empowerment pour les femmes. Les paroles sont presque un mantra ou une façon d’affronter le monde. J’y chante : ‘So what’s the verdict? Now you know that I’m perfect – Wanna taste my cattitude, match my attitude ?” (“Alors, quel est le verdict ? Maintenant que tu sais que je suis parfaite – tu veux goûter à ma ‘chattitude’ [jeu de mot entre “chat” et “attitude”], te conformer à mes attentes ?”) Big Cat est le genre de chansons que tu écoutes après un chagrin d’amour. Tu mets du rouge à lèvres, une minijupe et tu vas faire claquer tes talons dans la rue. Cela donne des bad bitch vibes.”
Sur un autre titre, le morceau techno poétique Nightshade, l’artiste évoque un amour démesuré, comme si les seuls sentiments qui valaient d’être vécus étaient ceux qui consomment entièrement l’être passionné : “J’ai gardé l’enregistrement original de la chanson Nightshade sur mon téléphone et j’y ai ajouté de la texture pour la faire sonner comme un appel anonyme étouffé. Les paroles jouent sur l’altération de la psyché, qui survient quand on est extrêmement amoureux. L’amour peut nous faire faire des choses folles.” Des choses folles, Sam Quealy en a justement fait beaucoup. “La chose la plus débridée que j’ai jamais tentée dans la vie est d’écouter mon instinct et de le laisser me guider tout au long de mon existence. Le plan a toujours été : ‘pas de plan.’ C’est difficile de distinguer une chose plus extravagante qu’une autre dans mon passé, car j’ai l’impression que toute ma vie est un peu chaotique et folle. [Rires]. J’ai par exemple travaillé comme assistante d’un magicien sur un bateau pendant un an, voyageant dans les îles du Pacifique. Chaque jour, je me réveillais en regardant la vaste mer bleue, et la nuit, je me faisais couper en deux. Soit un mardi normal pour la jeune Sam Quealy.”
Inspirée par des femmes fortes et iconiques telles que Marlene Dietrich et les héroïnes au caractère bien trempé des vieux films hollywoodiens, Sam Quealy paraît avoir construit sa carrière comme une comédie musicale flamboyante où chaque mouvement semble plus gracieux que l’autre. Le corps en mouvement, c’est ce qui lie toutes les aventures de la pop star montante qui a déjà connu mille vies. Née dans une petit coin balnéaire de la ville de Sydney, la vingtenaire a commencé à danser dès l’âge de 3 ans avant de passer toute son adolescence à enchaîner les pas classiques et contemporains. Mais très vite, elle se faufile dans les raves et les boîtes de nuit, des lieux où l’on peut plus facilement devenir soi-même, loin des conventions.
C’est sous les néons bleutés des pistes de danse qu’elle commence à se libérer de la discipline académique des entrechats et des pointes de l’enfance. Pour mieux faire de l’ombre aux autres oiseaux de nuit… Elle raconte : “J’écume les clubs depuis mes 15 ans et ça a toujours été un terrain de jeu pour me sentir libre, rencontrer de nouvelles personnes et vivre de nouvelles expériences.” Dès ses 18 ans, Sam Quealy a commencé à travailler en tant que danseuse professionnelle. “J’ai déménagé à Hong Kong pour y danser, se souvient-elle, ce qui m’a ouvert les yeux sur le monde. Après cela, j’ai dansé aux Philippines et j’ai fait une tournée aux États-Unis. J’ai ensuite participé à un spectacle de cabaret à Paris et c’est comme ça que je me suis retrouvée ici. Je suis tombée si amoureuse de la capitale française que je ne l’ai jamais quittée. C’est vraiment l’une des plus belles villes du monde – avec une cuisine et des gens incroyables et tellement de sources d’inspiration pour les artistes !”
Si Paris inspire Sam Quealy, on perçoit aussi en elle l’héritage de la scène ballroom new-yorkaise de la fin des années 80. Quand dans des fêtes survoltées, les jeunes queers noirs et latinos pouvaient marcher comme des mannequins de Fashion Week et s’inventer à travers le vêtement un autre personnage ou une autre classe sociale. Que ce soit dans ses clips ou dans ses performances, Sam Quealy incarne diverses figures, entre la femme et l’homme, l’humain et la machine, la pin-up vintage et la cyborg du futur. Et c’est dans la scène voguing et drag parisienne qu’elle semble avoir trouvé son terrain créatif le plus épanouissant. “Je fais partie de la house [ce terme désigne un collectif d’artistes-danseurs recréant une famille] de voguing qui se nomme Comme des Garçons, confie Sam Quealy. Les catégories dans lesquelles je concours sont ‘sex siren’ [sirène sexuelle] et ‘face’ [visage]. Les membres de ma house sont vraiment incroyables. J’apprends beaucoup à leur contact. Il est important pour moi de respecter les traditions et les valeurs d’une house de voguing. Je pense que beaucoup de gens peuvent voir la culture des ballrooms comme une tendance, mais à mes yeux c’est plus que ça… plutôt un mouvement, une résistance à ce à quoi les personnes LGBTQIA-PoC ont dû faire face dans leur passé. Avec la ball culture, elles peuvent se rassembler et trouver de la force en tant que communauté…”
Avec son sens aussi aiguisé de l’entertainement que de l’engagement, Sam Quealy, qui tourne actuellement dans le monde entier et prépare un album pour 2023, sait mieux que personne qu’“il faut [comme l’écrivait Nietzsche] porter encore en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante”.
Nightshade de Sam Quealy. Actuellement en tournée mondiale.