30 mai 2022

Rencontre avec Carla Bruni : « Les croche-pieds à l’italienne, ça me connaît ! »

Chanteuse envoûtante, ex-supermodel, ancienne première dame de France… la belle Carla Bruni s’est écrit un destin stellaire et hors du commun. Pour cette édition consacrée à la musique, l’icône, amie de la maison Bulgari, se confie dans toute sa grâce nonchalante, guitare à la main, au fil d’une interview-vérité à bâtons rompus.

Photos par P.A Hüe de Fontenay.

Interview par Philip Utz.

Réalisation par Clément Lomellini.

Body et pantalon, CELINE PAR HEDI SLIMANE. Bagues et bracelets “B.zero1” en or et diamants, BULGARI

Carla Bruni : Ça vous va bien le bermuda ! Ça me rappelle la fois où je suis arrivée aux îles Bermudes pour des photos, quand j’avais 20 ans, en m’étonnant : “C’est curieux tous ces gens en bermuda”, alors que ce short qui frôlele genou est né dans cet archipel britannique, où les hommes très chics en costume trois pièces avaient fait raccourcir leurs pantalons à cause de la chaleur. Comme quoi on en apprend tous les jours. Vous le saviez, vous, que le bermuda venait des Bermudes ?

 

Numéro : Ça fait sens, mais j’avoue ne jamais y avoir pensé.

Eh bien voilà, maintenant vous le savez !

 

Revenons à nos moutons : nous sommes là pour parler de musique, semble-t-il. Comment vous est venue l’idée de devenir auteure-compositrice-interprète ?
L’idée ne m’est pas venue toute seule, deux personnes m’ont énormément aidée et encouragée dans cette voie. La première, ma sœur Valeria Bruni-Tedeschi, est une fan inconditionnelle de ma musique depuis l’âge de 7 ans, ce qui ne compte pas pour rien. D’autant que Valeria est elle-même une grande artiste, et quelqu’un dont j’estime le jugement, et pas seulement parce qu’elle se trouve être ma sœur. Le fait de susciter une émotion chez quelqu’un d’aussi proche, et pendant aussi longtemps, m’a beaucoup confortée. La seconde personne, je l’ai rencontrée vers l’âge de 25 ans : il s’agit de mon cher ami Leos Carax, qui m’a vue un jour à la télévision interpréter, pour les Enfoirés, Tous les garçons et les filles de Françoise Hardy en duo avec Laurent Voulzy. À l’époque, j’étais une parfaite ingénue sur le plan musical, n’ayant chanté que sous la douche, ou sur la plage, l’été, pour le plaisir. Après l’émission, Leos m’a confié : “Écoute, je t’ai vue à la télévision, en train de chanter cette chanson, et il y a quand même quelque chose…” Il m’a fixée dans les yeux en me disant cela, et c’est ce regard, dont je me souviens très bien, qui m’a donné envie de devenir musicienne.

Robe et pantalon, BURBERRY. Bagues et bracelets “B.zero1” en or et diamants, BULGARI.

Avez-vous toujours eu ce timbre si particulier, ou vous est-il seulement venu au bout de la 3 500e cartouche de Marlboro ?
J’ai toujours eu cette voix un peu rauque, et ma sœur aussi d’ailleurs – elle qui ne fume pas –, ça doit être de famille. J’ai le sentiment, aussi, qu’il s’agit d’une sorte d’ADN collectif italien, car de nombreuses femmes en Italie ont la voix rauque comme ça.

 

En quoi l’avènement du digital a-t-il changé la façon dont les musiciens envisagent leur métier aujourd’hui ?

Envisager, envisager… c’est surtout la pauvreté qu’envisagent les musiciens depuis l’avènement des grandes plateformes de streaming musical – Deezer, Spotify, Apple Music, pour ne citer qu’elles. Aujourd’hui, les artistes sont volés, pillés, à l’exception de ceux qui font de la musique urbaine. C’est un peu comme si un robot décidait des royalties, et, résultat des courses, notre musique devient gratuite. Vous sortez un disque, et le public peut l’écouter sans l’acheter. Ou alors il s’abonne à la plateforme, et la plateforme paie les stars du rap, mais pas les autres, allez savoir pourquoi. Avant l’apparition des plateformes, mon mari avait d’ailleurs déjà tenté de faire passer une loi pour protéger les artistes du téléchargement illégal…

 

Qui avait été rejetée ?

Pas du tout, la loi Hadopi est bien passée et les gens du métier lui en étaient d’ailleurs très reconnaissants. Cette loi vise à bloquer le piratage, ce qui me semble être une bonne chose : je ne vois pas pourquoi il serait interdit de voler de la nourriture ou des vêtements, par exemple, mais que, quand il s’agit de piratage musical, cela serait toléré. Et quand on voit, en parallèle, que toutes les grandes majors gagnent de plus en plus d’argent… en tant qu’artiste, on se demande vraiment comment on a pu se faire rouler dans la farine de la sorte. Il faut dire que dans la musique, on est tout de même, dans l’ensemble, une belle bande de blaireaux : on ne sait pas s’organiser, on ne sait pas se réunir, on ne sait pas se syndiquer, bref, on ne sait rien faire à part des chansons. Donc voilà, tant pis pour nous, en quelque sorte.

 

En parlant de digital, j’ai cru lire sur votre fiche Wiki que vous aviez fricoté avec Donald Trump, quelle idée, il faut vraiment se le farcir avec son teint porcin et son cheveu mousseux.

Fake news! Décidément, cette fichue page Wikipedia, il va falloir que je pense à l’actualiser. Ma prétendue relation avec Donald Trump est une pure fiction. C’est d’ailleurs lui qui a fait courir ce bruit, comme il l’a fait avec de nombreuses autres femmes. Il y a eu sur Netflix un documentaire très intéressant à ce sujet, regardez-le, il vaut le détour. La journaliste y explique de manière incroyable qu’un monsieur l’avait contactéeen lui disant : “Bonjour, je me présente, je suis l’attaché de presse de la maison Trump, et je vous appelle pour vous parler de la vie sentimentale de Donald Trump.” Et la journaliste de se dire : “Quelle drôle de voix, elle me semble familière”, avant d’enregistrer la conversation. En réalité, il s’agissait de M. Trump qui appelait lui-même les journalistes – en se faisant passer pour son attaché de presse – pour leur expliquer que des centaines de milliers de femmes le désiraient follement. “Ah bon, mais pourquoi ?” s’étonne la journaliste. Et Trump de répondre : “Parce qu’il est fantastique, il a couché avec Carla Bruni, Madonna, Kim Basinger…” Quand sa liste de prétendues conquêtes est sortie dans le Washington Post, je peux vous dire qu’on était toutes au bout de notre vie. Je l’ai d’ailleurs appelé à ce sujet pour lui demander de s’expliquer. Je pense surtout que c’était un système de diversion médiatique qu’il utilisait dans ces années-là pour détourner l’attention de ses affaires ou du sujet embarrassant du jour, et dont j’ai été l’une des victimes collatérales.

Pull, DIOR. Bagues et bracelets “B.zero1” en or et diamants, BULGARI.

Travaillez-vous actuellement sur un nouvel album ?
J’écris tout le temps, mais je ne sais pas si le format album va rester. Peut-être sortira-t-on des mini-EP, ou des singles au gré de nos envies, pourquoi pas ? L’album, c’était tout de même un objet, et le fait de l’avoir totalement désincarné via la culture digitale a, selon moi, fait tomber en désuétude le concept même d’album.

 

Vous êtes remontée sur scène à L’Olympia en janvier – quel effet cela vous a-t-il fait de retrouver votre public après trois années de pandémie et de protocoles sanitaires ?

C’était un bonheur pur, le concert m’a enchantée du début à la fin.

 

Êtes-vous passée par la case Covid comme tout le monde en décembre dernier ?

En effet, je l’ai contracté cinq jours avant L’Olympia, et du coup j’ai dû annuler les Enfoirés ainsi qu’un autre concert. J’étais négative le mercredi, jour où je donnais un concert à Lyon, puis positive le jeudi, le vendredi, le samedi, le dimanche, le lundi, avant de repasser négative le mardi alors que j’avais L’Olympia le lendemain. Comme quoi, Dieu existe.

 

Étiez-vous clouée au lit, tremblante de fièvre ?

Non, j’ai eu la chance d’être totalement asymptomatique : si je n’avais pas fait un test PCR pour les Enfoirés, je n’aurais pas su que je l’avais.

 

 

 

La fabuleuse gourgandine de 27 ans qui déboule façon Gisele Bündchen pour faire les yeux doux à mon homme, si elle tombe avant d’arriver, il ne faut pas qu’elle se demande pourquoi. Les croche-pieds à l’italienne, ça me connaît.”

 

 

 

Comment entretenez-vous vos bambous ?

Il faut veiller à bloquer leurs racines à l’aide de barrières anti-rhizomes, car sinon elles dévorent tout et vous envahissent le jardin et la maison. C’est un mur de beauté, les bambous !

 

Si je vous demande ça, c’est parce que quand mon mari a contracté la Covid, je faisais pipi sur les bambous du jardin pour éviter de le croiser dans la master bathroom. Ce qui leur a fait un bien fou !

Vous m’en voyez ravie.

Robe et pantalon, BURBERRY. Bracelets “B.zero1” en or, BULGARI.

Quel constat avez-vous fait lors de votre voyage au Burkina Faso en tant qu’ambassadrice pour le Fonds mondial de lutte contre le sida ?
J’ai été ambassadrice pour le Fonds mondial pendant cinq ans, période durant laquelle je me suis rendue au Burkina Faso, mais aussi au Bénin avec Melinda Gates, la Fondation Gates étant le premier donateur privé dans la lutte contre le sida. Dans ces deux pays, j’ai pu prendre la mesure du travail remarquable effectué par le Fonds mondial, relayé par les infrastructures locales et par les habitants des pays en question.

 

Pourquoi avez-vous renoncé à vos responsabilités auprès du Fonds mondial ?

J’ai arrêté suite à la démission de son directeur, Michel Kazatchkine, avec qui j’avais beaucoup travaillé, mais aussi parce que le quinquennat de mon mari touchait à sa fin et que, par conséquent, mon travail pour le Fonds n’aurait plus eu le même impact.

 

Quel souvenir gardez-vous de votre rencontre avec le dalaï-lama en août 2008 ?
Un souvenir merveilleux, c’est une personne extrêmement facile, empathique et douce…

 

 

 

Je ne dis pas que j’ai eu une enfance difficile, loin de là, mais j’ai toujours eu ce sentiment pernicieux de ne pas être à ma place. Ce qui n’est pas rien. Quand on vous ment sur vos origines, ou qu’il y a un trou, eh bien, on fait tout pour le combler.”

 

 

 

Le dalaï-lama s’exprime-t-il comme vous et moi, ou communique-t-il exclusivement par télépathie et perception extrasensorielle ?

[Rires.] Il s’exprime de façon tout à fait normale, et il m’a d’ailleurs raconté des choses très intéressantes…

 

Du genre ?

Je ne vous le dirai pas ! [Rires.] N’insistez pas !

 

Il est marrant le dalaï-lama, il fait des blagues, on ricane bien avec lui ?

Il est drôle, oui, il fait des blagues, non, la situation étant autrement plus complexe comme vous pouvez l’imaginer, dans la mesure où j’étais l’épouse du président de la République française et que tout cela se devait de rester strictement protocolaire. Je me rappelle avoir assisté à une splendide cérémonie bouddhiste, suivie d’un entretien très intéressant et chaleureux avec Bernard Kouchner, Rama Yade et sa Sainteté le dalaï-lama.

Robe et pantalon, BURBERRY. Bagues et bracelets “B.zero1” en or et diamants, BULGARI.

Est-il déjà arrivé qu’une gourgandine particulièrement entreprenante drague ouvertement votre mari, sous vos yeux ébahis ? Et, le cas échéant, comment faites-vous pour exterminer ladite malotrue ?

L’extermination serait absolue et immédiate, suivie de l’intimidation de l’être aimé à grand renfort de menaces et de coups. Et ça, mon mari, il le sait. Quant à la fabuleuse gourgandine de 27 ans qui déboule façon Gisele Bündchen pour faire les yeux doux à mon homme, si elle tombe avant d’arriver, il ne faut pas qu’elle se demande pourquoi. Les croche-pieds à l’italienne, ça me connaît.

 

Naomi est-elle aussi méchante que le prétendent les mauvaises langues de la mode ?

Je pense que Naomi se sent attaquée, et qu’elle se défend très, très pointilleusement depuis maintenant plus de trente ans. Mais pour répondre à votre question, je connais très bien Naomi et je peux vous assurer qu’elle n’est pas méchante. C’est tout le contraire : elle est courageuse, elle est fidèle – ce qui n’est pas le cas de tout le monde – et elle a surtout une énergie d’acier que je trouve admirable. Elle est comme un ouragan. Ce qui est marrant avec Naomi, c’est quand elle devient douce. Comme elle ne donne pas dans la demi-mesure, quand elle devient douce, c’est un agneau, un ange, une jeune femme adorable qui se souvient de tout, qui revient sur tous les bons moments qu’on a passés ensemble, qui cite mon père qui est mort depuis vingt ans. Bref, elle est mi-ange mi-démon, comme nous tous, mais je crois que le démon qui est en elle, c’est quelqu’un qui se défend du monde… Les gens qui ont l’impression d’être illégitimes – à tort ou à raison – ont deux façons de réagir : soit ils se soumettent – comme moi – soit ils s’imposent. Naomi, qui, faut-il le rappeler, est née illégitime, et qui ne connaît pas son père, fait partie de cette seconde catégorie.

 

En quoi vous sentez-vous illégitime, sans vouloir tomber dans la psychologie de comptoir ?

C’est très simple : avant de mourir, mon père m’a annoncé qu’il n’était pas mon père biologique. Et tout à coup, patatras !  À l’âge de 27 ans, je me suis retrouvée avec un nouveau père et une nouvelle sœur. Il y a donc eu un ajustement qui s’est fait en moi à ce moment-là, mais quand on est dans une situation comme celle-là, on le sent au fond de soi, on le sait sans le savoir, tout au long de son enfance et de son adolescence. Ce qui vous donne un tempérament qui n’est pas exactement le même que celui d’une personne simplement établie dans une famille, et ce, quelle que soit sa famille. Je ne dis pas que j’ai eu une enfance difficile, loin de là, mais j’ai toujours eu ce sentiment pernicieux de ne pas être à ma place. Ce qui n’est pas rien. Quand on vous ment sur vos origines, ou qu’il y a un trou, eh bien on fait tout pour le combler.

Pull, DIOR. Bagues et bracelets “B.zero1” en or et diamants, BULGARI. Coiffure : Maxime Macé chez Calliste Agency. Maquillage : Aya Fujita avec les produits Takeda Brush chez Calliste Agency. Assistant réalisation : Ciro Marangi. Set design : Aymeric Arnould chez Open Space Paris. Numérique : Étienne Oliveau. Production : Open Space Paris

Avez-vous connu les grandes bacchanales de la Versace Mansion à Miami, où tout le monde finissait à poil dans la piscine rococo à 8 heures du mat’ ?
Mince alors, on ne m’invite jamais à ces trucs-là ! C’est dingue, j’ai cette vieille réputation de fille bien élevée et couche-tôt qui me précède, alors qu’en réalité, au fond de mon âme, je suis Sid Vicious et Nancy [Spungen], les deux en même temps !

 

Comment faites-vous pour rester chic en toutes circonstances, pour ne jamais succomber à la vulgarité ni à la médiocrité, contrairement à moi ?
Merci pour la question, je la prends comme un compliment. Vous savez ce que je trouve chic ? La simplicité. Et vous.

 

Je dois vous avouer que Brigitte Macron m’a confié avoir été très surprise de découvrir, lors de son arrivée à l’Élysée, le jacuzzi à débordement et la fumerie d’opium, vestiges de votre remodelage du Palais en tant que première dame.
Flûte alors, ils l’ont finalement trouvé, mon jacuzzi à débordement ? [Rires.] Je l’avais pourtant bien caché dans l’abri antiatomique – qui s’appelle tout de même le PC Jupiter, il faut le savoir, je ne plaisante pas. Quant à la fumerie d’opium, vous m’excuserez, mais c’est pour François Hollande que j’avais installé ça.