22 jan 2020

L’artiste Judy Chicago gonfle une sculpture au musée Rodin pour le défilé Dior

Depuis son arrivée à la direction artistique de la maison Dior, Maria Grazia Chiuri a collaboré avec de nombreuses artistes femmes. À l’occasion du nouveau défilé Dior haute couture, c’est à l’artiste féministe Judy Chicago qu’elle a fait appel, afin de réaliser une immense sculpture gonflable évoquant une divinité maternelle. 

Aujourd’hui âgée de 80 ans, Judy Chicago a enfin l’opportunité de réaliser l’un de ses plus ambitieux projets : une sculpture gonflable représentant une déesse-mère, qu’elle avait déjà imaginée en 1977. C’est à l’occasion du défilé Dior haute couture printemps-été 2020 que Maria Grazia Chiuri, directrice artistique de la maison française depuis 2016, lui permet de le mettre en forme. À travers ses collaborations avec Cindy Sherman, Mickalene Thomas, Penny Slinger, mais également des collections en référence à l’historienne de l’art Linda Nochlin et à Leonor Fini, la créatrice italienne a toujours affirmé son désir de mettre en avant les femmes illustres du monde de l’art. Faire appel à Judy Chicago, l’une des premières “artistes féministes” à s’être présentée comme telle, semblait donc tout à fait cohérent pour l’image contemporaine de Dior. 

 

Intitulée The Female Divine, l’œuvre monumentale de Judy Chicago explore la figure archétypale de la déesse-mère nourricière  – une inspiration reflétée par la collection Dior qui, quant à elle, évoque les représentations des divinités Déméter et Athéna dans la mythologie grecque. Vue du ciel, sa silhouette à la frontière entre le figuratif et l’abstrait imite d’ailleurs les formes courbes des sculptures pariétales en ronde bosse, à l’instar de la Vénus de Willendorf : un premier volume évoque la tête, un deuxième la poitrine, et un troisième le ventre. Dans le décor du musée habité par la virilité des corps sculptés de Rodin, on pourrait voir la présence de cette installation comme un pied-de-nez à cette écrasante masculinité, à laquelle The Female Divine viendrait se mesurer. Placée en bas du “ventre”, son ouverture invite à rentrer par le bas du corps comme dans un vagin, tandis que lorsque les invités en sortent, la sculpture semble en accoucher.

 

Une fois de plus, la natalité apparaît comme une thématique centrale pour Judy Chicago, comme elle l’était déjà avec son Birth Project réalisé dans les années 80. Constatant à l’époque le faible nombre de représentations de la naissance dans l’histoire de l’art, l’artiste avait sollicité plus de 150 brodeuses pour créer des toiles et tissages mettant en avant cet événement vu par les femmes elles-mêmes. Comme un écho à ces œuvres, les 21 bannières inédites installées à l’intérieur de The Female Divine furent brodées à la main par les étudiantes d’une organisation dédiée à l’artisanat basée à Bombay. Ensemble, leurs couleurs apsisantes et leurs formes douces installent les visiteurs dans un cocon utopique protégé par une mère universelle. “Ce serait comme être dans un environnement chaud, enveloppant et sûr”, explique Judy Chicago. “Comme le monde devrait l’être.”

 

The Female Divine est ouverte au public jusqu’au 26 janvier au Musée Rodin, Paris 7e.

 

Découvrez les coulisses de la création de l’œuvre ci-dessous :

Une gigantesque tente gonflable blanche semblable à un igloo installée en plein centre du jardin du musée Rodin, reliée au bâtiment par un long tapis violet : ce lundi 20 janvier, le public du défilé Dior était invité à découvrir la nouvelle collection haute couture de la maison dans un décor étonnant. Passant l’entrée voûtée de cette structure, les escaliers mènent dans un intérieur feutré dans les tons bleus, pourpres et violacés. Une longue tablée au centre, des rangées de bannières suspendues des deux côtés portent des phrases telles que “Should men and women be more equal ?”(“Les hommes et les femmes devraient-ils être plus égaux ?”) ou “Would there be equal parenting ?” (“L’éducation serait-elle équitable ?”). Au fond de la salle, tel le clou de ce théâtre, une grande tenture porte une interrogation centrale : “What if women ruled the world ?”(“Et si les femmes gouvernaient le monde ?”). Le défilé pouvait alors commencer.

 

Ouvertement féministe, cette œuvre inédite aux symboles explicites renvoie à un futur hypothétique – voire utopique – où les femmes accèderaient au pouvoir. Sa créatrice n’est autre que l’artiste californienne Judy Chicago, qui depuis cinquante ans interroge à travers sa pratique pluridisciplinaire la place des femmes dans l’art et dans les représentations. En 1972, elle est instigatrice avec Miriam Schapiro de Womanhouse, un espace d’installations mettant en avant les œuvres de 23 artistes femmes, dont bon nombre étaient étudiantes au California Institute of Arts. Deux années plus tard, Judy Chicago dévoilera son œuvre la plus célèbre à ce jour : The Dinner Party, une table triangulaire monumentale couverte de nappes dressée pour 39 convives où sont essaimés non moins de 999 noms des femmes illustres. Investissant aussi bien la toile par ses peintures minimales que l’espace par ses installations géométriques ou des mises en scène colores à base de lumières, de feux d’artifice et de fumigènes, l’artiste à la chevelure mauve a développé depuis une esthétique reconnaissable portée par ses idéaux engagés.