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À la Fashion Week de Londres, Erdem s’attaque aux limites du genre
À l’occasion de la Fashion Week de Londres, le créateur Erdem Moralioglu investit la cour du British Museum pour son défilé printemps-été 2025. Une relecture d’un roman lesbien des années 20, qui repousse les normes genrées dans leurs tranchées.
par Jordan Bako.
Erdem s’inspire d’un trésor enfoui de la littérature lesbienne
Après l’opéra de Maria Callas et le vestiaire de la duchesse de Devonshire, c’est dans la littérature qu’Erdem Moralioglu trouve l’inspiration de son dernier défilé printemps-été 2025. En 1928, l’autrice Radclyffe Hall publie Le Puits de solitude, décrit par certains comme une véritable “bible lesbienne”. Elle se fait connaître sous le nom de John, en arborant en public costumes et motifs masculins. Ouvertement lesbienne, Radclyffe Hall s’affiche à la ville au bras de sa partenaire, la sculptrice Una Thoubridge, qui adopte un style vestimentaire plus féminin en rencontrant l’écrivaine.
Comme en miroir avec la vie de son autrice, Le Puits de solitude narre les histoires amoureuses et tumultueuses entre Stephen Gordon (une personne issue de l’aristocratie qui se présente en tant qu’homme en public) et une jeune femme nommée Mary Llewellyn. Dès sa publication, l’ouvrage fait scandale. Radclyffe Hall est visée par un procès pour obscénité et immoralité. Le roman est interdit de publication par la Couronne britannique et ses copies sont toutes détruites.
Presque un siècle après sa publication, Erdem décide de raviver l’univers de ce trésor enfoui de la littérature lesbienne. La maison s’est emparée de la cour du British Museum à l’occasion de la Fashion Week de Londres. Un geste lourd de ce sens pour la marque, qui avait déjà organisé son défilé automne-hiver 2024-2025 au sein de l’institution.
Avec son défilé printemps / été 2025, Erdem brouille les lignes du genre
Sur les marches de ce musée aux allures de temple athénien, Erdem Moralioglu alterne entre coupes masculines et coupes féminines. Costumes striés et monocles suspendus à la poitrine pour les premières. Motifs comme capturés au cyanotype, broderies argentées, bandelettes de tissu et nœuds ondoyant au gré du vent pour les secondes. Entre dandysme et une féminité affirmée, le designer britannique convoque une mode d’autrefois – tout en refusant de se conformer aux diktats de l’époque, dans le sillage de l’ouvrage de Radclyffe Hall.
À mesure que les silhouettes s’enchaînent, le directeur artistique d’Erdem prend des libertés. Il s’amuse des conventions en mêlant couleurs et motifs. Les manches des costumes s’ouvrent, métamorphosées en capes fluides. Volants, porte-jarretelles et ornements s’emparent des jambes des mannequins, qui conservent leurs chemises immaculées.
Quant aux vêtements féminins, ils gagnent en audace. Le créateur coud des mailles en guise de tops, effile des franges à la place des bas. Par ce défilé, c’est donc un pouvoir du vêtement qu’Erdem semble célébrer. Celui de pouvoir repenser, repousser “les barrières rigides de l’identité du genre” d’un coup d’aiguille.