Amour toxique et pole dance : la chanteuse Régina Demina se confie sur son nouvel album
Sous son apparence de poupée ingénue, la chanteuse Régina Demina cache un univers sombre qui se dévoile en mots crus et mises en scène puissantes. Après Hystérie !, un premier album sorti en 2020 qui raconte une histoire d’amour toxique, la performeuse franco-russe adepte de pole dance revient en mars 2022 avec l’EP Dreamcore. Avec cette œuvre à la fois musicale et vidéo aux allures de manifeste, elle nous ouvre les portes de son univers onirique.
Numéro : Après Hystérie ! en 2020, un album cathartique qui raconte une histoire d’amour passionnelle, vous revenez avec l’EP Dreamcore. Comment est né ce nouveau projet musical ?
Régina Demina : Cette fois encore, Dreamcore exprime des sentiments assez vifs, et il traite notamment de la dissociation et de la démultiplication de soi dans la réalité et dans le monde virtuel. Je l’ai conçu comme un EP-concept prenant la forme d’un conte musical accompagné d’un court-métrage, qui montre ce à quoi j’aimerais que mon travail ressemble.
Qu’entendez-vous par là ? Vos projets antérieurs ne révélaient-ils pas déjà votre univers ? Voulez-vous dire qu’aujourd’hui vous révélez réellement votre univers ?
Entre l’album Hystérie ! et cet EP, j’ai changé de label. À l’époque, je ne pouvais pas en parler, mais j’avais des divergences avec le producteur qui m’empêchait de faire ce que je voulais. C’était compliqué d’imposer mon style ainsi que des collaborateurs – même si j’ai finalement réussi tant bien que mal à inviter d’autres producteurs que celui du label.
“Mon album traite notamment de la dissociation et de la démultiplication de soi dans la réalité et dans le monde virtuel.”
C’est pour cela que, sur cet EP, vous avez réenregistré de manière différente la chanson Pyromane de l’album Hystérie ! ?
Oui, complètement. Le titre Pyromane et l’album Hystérie ! en général devaient avoir la couleur de Dreamcore. Mais j’étais obligée de sortir cet album pour pouvoir me libérer de mon contrat, et c’est pour cette raison que la sortie s’est faite pendant le confinement et de manière chaotique.
Que signifie pour vous Dreamcore, ce mot-valise réunissant dream – “rêve” en anglais – et le suffixe core – désignant le “noyau dur” ?
Pour moi, Dreamcore c’était l’idée de vraiment pousser le curseur de l’esthétique du rêve aussi loin que je pouvais, à un niveau quasiment aliénant. Par la suite, j’ai vu que c’était un tag utilisé sur les réseaux sociaux. La rêverie et la virtualité ont toujours constitué des échappatoires pour moi, mon safe space, et l’année dernière j’ai vraiment eu le sentiment de me faire voler mon travail par une autre chanteuse, ce qui a été une expérience très difficile que j’avais besoin d’extérioriser.
Comment ont-ils eu accès aussi facilement à votre composition ?
Tous les éléments qui ont été repris se trouvaient en accès libre sur Internet. Dreamcore raconte non seulement ce pillage artistique de ce qui est disponible en ligne, mais également la manière dont ils ont pénétré mon espace intérieur.
“Dans Dreamcore, je me suis partagée en plusieurs alter ego qui reprennent des archétypes comme la love doll, la bergère kawaï ou un elfe de manga.”
Cette réflexion paraît paradoxale sachant qu’aujourd’hui nous partageons toute notre vie sur les réseaux sociaux… D’ailleurs vous mentionnez vous-même, dans le titre Translator, la tendance à “over share” – c’est-à-dire à partager plus d’informations que nécessaire –, or, lorsqu’on partage des contenus, on les rend alors disponibles…
Complètement. Mais, en tant qu’artiste, le partage est essentiel, sinon vital. Les équipes qui m’ont plagiée connaissaient mon univers sur le bout des doigts, et finalement c’est une forme de harcèlement, voire d’agression. En tout cas, je l’ai vécu comme un viol, puisque mon univers artistique est tourné vers l’intime, en mentionnant parfois des traumatismes. Pour eux, il s’agissait d’emprunter une esthétique et des discours, sauf que pour moi, c’est lié à des choses très profondes.
Votre EP s’ouvre sur le titre O Solitude. La solitude est-elle un sentiment qui vous est familier dans le monde réel ?
Ce titre est à double lecture. Il parle d’une solitude, certes parfois mélancolique, mais qui peut aussi être réconfortante car elle me permet de me plonger dans mon monde intérieur et mon imaginaire. C’est ce monde intérieur que l’on retrouve par la suite dans mes films et mes spectacles.
Avez-vous un alter ego ?
Oui, j’en ai même plusieurs. Ils forment un tout qui se déploie en fonction de mes projets artistiques, aussi bien dans le monde réel que virtuel. Je dirais que dans Dreamcore, je me suis partagée en plusieurs alter ego qui reprennent des archétypes comme la love doll, la bergère kawaï ou un elfe de manga.
Votre univers nous convie dans des sortes de contes de fées… Qu’est-ce qui vous plaît dans les contes ?
Les contes racontent des histoires très violentes, drapées dans des formes féeriques et fantastiques. Ils ont différents niveaux de lecture en fonction de l’âge et, par leur caractère préventif, ils sont rassurants et protecteurs. Quand il s’agit d’aborder des sujets violents, les contes m’aident beaucoup.
“Dreamcore est également le premier projet où je suis enfin autorisée à lier la performance à la musique, ce qui me permet de toucher beaucoup plus de monde.”
Votre univers artistique, aussi bien musical que visuel, et votre sensibilité jouent beaucoup sur les contrastes : des textes crus avec des mélodies douces, un univers féerique accolé à une esthétique digitale, ou alors deux personnalités qui semblent en lutte avant de finir par se réconcilier… Pour vous, les conflits sont-ils difficiles à aborder au quotidien ?
Oui, vous avez raison. Je pense que je me dissocie pas mal de la vie et que je suis souvent dans la lune, surtout après des événements difficiles. Dans la mesure où c’est une réaction de défense, je ne peux pas dire que j’en souffre. Mais il y a eu des moments où c’était handicapant, car pour avoir une vie normale et équilibrée, il faut rester ancré dans le réel. Finalement j’en ai fait une force pour développer mon art.
Le premier single Un daydream a été utilisé pour la vidéo de la collection Celine automne-hiver 2021-2022, comment est née cette collaboration avec Hedi Slimane ?
Après avoir découvert mon travail sur Instagram, Hedi Slimane a contacté mon manager pour une collaboration. Il voulait que j’incarne la voix d’une adolescente en pleine rêverie, ce qui reste très proche de mon univers. Finalement, la seule contrainte était de proposer une musique qui rythmait le pas des mannequins.
La sortie de Dreamcore vous a-t-elle permis de tourner la page au sujet de la mauvaise expérience que vous avez vécue l’année dernière ?
J’aimerais pouvoir dire que oui, mais pas du tout. J’essaye de ne plus y penser, mais j’ai compris que le seul moyen de protéger mon travail, c’était de le rendre le plus visible possible. Avant, seul comptait pour moi le fait de produire et de travailler avec les gens que j’aime et que j’admire. Aujourd’hui j’ai compris que, pour protéger mon œuvre, je dois élargir le spectre de diffusion, d’autant que l’entertainment occupe un aspect central dans mes œuvres, et je veux qu’elles soient accessibles à un public large et varié. Dreamcore est également le premier projet où je suis enfin autorisée – grâce à mon changement de label – à lier la performance à la musique, ce qui me permet de toucher beaucoup plus de monde.
D’ailleurs votre univers inspiré par la fantasy, ce genre puissamment symbolique évoquant un monde imaginaire peuplé d’êtres surnaturels, mythiques ou légendaires, parle à chacun d’entre nous…
Oui, chaque artiste construit son univers autour d’inspirations et d’obsessions récurrentes. Dans mon cas, le thème central est l’exploration du conte de façon contemporaine.
Dreamcore (Allo Floride Records) de Régina Demina, disponible sur toutes les plateformes.