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17 “Ça commence à partir en vrille…” Rencontre avec S.Pri Noir

“Ça commence à partir en vrille…” Rencontre avec S.Pri Noir

MUSIQUE

Avec son premier album “Masque blanc”, sorti en 2018, S.Pri Noir livrait un premier opus fleuve, développant plusieurs sonorités, et délivrant des punchlines acérées avec son flow de “kicker”. Le rappeur français sort ce vendredi son nouvel album “Etat d’esprit”, où il continue d’expérimenter avec la même exigence, sans oublier d’asséner quelques vérités.

Photo : @misterfifou. Total look Adidas Y-3. Photo : @misterfifou. Total look Adidas Y-3.
Photo : @misterfifou. Total look Adidas Y-3.

Numéro : Première question, un peu facile étant donné le titre de votre album : quel est votre état d’esprit aujourd’hui, après un mois de confinement? 

S.Pri Noir : En fait j’ai été tellement occupé par la préparation de la sortie de l’album que je n’ai pas vraiment eu le temps de me poser des questions. Donc personnellement, je n’en ai pas vraiment souffert. 

 

Le titre Dystopia, qui figure sur l’album, était sorti en janvier. Dans le clip, on vous voit errer dans un Paris déserté de présence humaine. Avec du recul, ça ne vous fait pas un peu froid dans le dos d’avoir anticipé qu’on allait vivre prochainement dans un épisode de Black Mirror? 

C’est fou… parfois dans mes clips, je glisse des messages subliminaux que je n’explique pas toujours. Dans Dystopia, j’imaginais le monde après une guerre bactériologique. Je ne pensais vraiment pas qu’on allait vivre une telle situation aussi vite. Mais le message du clip, c’était de dire : il faudrait commencer à faire attention à la planète et revoir nos priorités, parce que ça commence sérieusement à partir en vrille là.

 

Quel était le scénario que vous aviez imaginé? 

Dans le clip, j’erre dans un Paris totalement désert, après une guerre bactériologique et nucléaire. J’essaie dans un premier temps de survivre et de comprendre ce qui s’est passé. Ensuite je monte sur un cheval, et je m’apprête à changer de planète. C’est l’idée de l’arche de Noé : plutôt que de choisir un homme, je sauve un cheval. Parce que cette guerre a été déclenchée par le manque d’humilité de l’homme qui ne respecte pas la planète, qui se croit au-dessus de tout. Donc je choisis un cheval, cet animal qui est le symbole de l’humilité : bien qu’il soit plus puissant que nous, il a toujours accepté de se mettre au service de l’homme.

 

 

“Un Noir avec une Ferrari attire plus les regards qu’un Blanc. On se dit que c’est un dealer ou que c'est une location…”

 

 

On vous qualifie souvent de rappeur “conscient”, et en termes d’ampleur narrative, Dystopia fait écho à Highlander, qui figurait sur votre premier album. C’est important pour vous de faire passer des messages, d’éveiller les consciences? 

Je parle un peu de ma vie, de ce que je vois autour de moi. Je n’essaie pas d’être moralisateur, mais je donne mon point de vue.

 

Sur ce titre vous dites notamment : “T’es 0, t’es 1, le salaire est binaire”. En ce moment on parle beaucoup des inégalités, encore plus criantes avec la crise sanitaire, et des réponses économiques.  

Oui ce qui se passe en ce moment au niveau de l’économie, on ne comprend pas très bien. C’est à la fois très concret et très abstrait. Tout à coup l’Etat peut générer de l’argent, comme sorti de nulle part, et pourtant avant la crise, il fallait se serrer la ceinture. Je voulais aussi évoquer, en employant le mot “binaire”, la façon dont le capitalisme actuel a tué la possibilité de vivre décemment avec un salaire de 2000€ : soit on est pauvre soit on est riche. Le monde dans lequel nous naissons nous impose ce rapport à l’argent. Si on n’en a pas, on ne peut vraiment rien faire. Le logement, la nourriture, la base de la vie n’est même pas assurée.

 

 

.Pri Noir (Ft. 4Keus) – “Night and Day”

Certains reprochent aux rappeurs d’être trop matérialistes et de ne parler que d’argent… 

On est obligés d’en parler parce que c’est la réalité la plus tangible de notre société, qu’on soit un rappeur ou pas n’a même rien à voir avec la question : cela concerne tout le monde. 

 

Sur cet album, vous parlez beaucoup de mode, et un de vos titres s’appelle “mannequin”. Est-ce qu’on peut en déduire que vous ne sortez qu’avec des mannequins?

[Rires] C’est une bonne question, on ne me l’a jamais posée. Mannequin, c’est subjectif. Une fille qui est un mannequin pour moi ne l’est pas forcément pour un autre.

 

Ah donc ça ne veut pas dire que vous traînez autour des bureaux d’Elite et de Next tous les soirs? 

Non… Après, j’avoue, je reçois des DM sur Instagram. Mais ça va, je gère [Rires].

 

Vous aimez la mode, pourquoi? 

En fait c’est l’assemblage des couleurs et des textiles qui me fascine. L’aspect esthétique du vêtement. Et surtout, la façon dont on peut mélanger les pièces pour inventer son propre style. Ca fait trois ou quatre ans aussi que je fais des vêtements pour la scène, ou pour mes clips. Parce que je ne trouvais pas ce que je cherchais.

 

Vous dites : “Les gens n’aiment pas voir des enfants d’immigrés avec des symboles extérieurs de richesse.” Vous ressentez une forme d’agressivité? 

Quand je dis “les gens”, ça commence en vérité par les immigrés eux-mêmes. Il y a de la jalousie si on te voit dans une belle voiture, sur une belle moto (je suis fan de moto), ou avec de belles sapes. Et pour les autres personnes, les Français “de souche” comme on dit, c’est comme si on n’était pas à notre place. Je pense qu’un Noir avec une Ferrari attire plus les regards qu’un Blanc. Les préjugés ne sont pas les mêmes.

 

On se dit tout de suite : “C’est un dealer” ? 

Je ne voulais pas le dire, mais oui c’est le premier préjugé probablement. Ou : “Ça doit être une location”. Autre option : “C’est un sportif”. Alors que cette personne peut être un chef d’entreprise qui a réussi.

 

Mais vous, vous êtes plutôt bien aimé des marques de mode et de luxe. Vous avez même été choisi pour une campagne de lunettes Cartier. Vous prenez plaisir à ce type de collaborations?

C’est une fierté d’être choisi par ces marques, parce que je ne vois pas beaucoup de rappeurs dans les campagnes. Et c’est quelque chose qui a priori, pour moi étant petit, était inaccessible.

 

Vous aimez explorer des sonorités différentes, et sur le titre Code pin 878, vous utilisez Autotune sur des arrangements funk, comme dans une sorte de dialogue avec Daft Punk. 

J’adore le son de Daft Punk, je respecte beaucoup ce qu’ils ont apporté à la musique. Et j’ai commencé ce morceau à l’été 2018, donc j’avais envie de retranscrire ce mood estival, je me voyais à LA.

S.Pri Noir (Ft. Alpha Wann & Sneazzy) – “T'as capté”

Sur votre collaboration avec Dadju, la production prend des accents afro, fidèles à l’univers de Dadju. Ca faisait longtemps que vous vouliez faire un morceau ensemble? 

On se connaît depuis une dizaine d’années, il m’avait invité sur son premier album. Il devait figurer sur mon premier album mais on n’avait pas réussi à coordonner nos emplois du temps. Donc on voulait vraiment que ça marche cette fois. Et le son afro, j’adore, surtout ce qui vient de Londres en ce moment. On est partis sur cette base mais après on a changé la production plusieurs fois, donc j’ai au moins quatre ou cinq versions de ce morceau, les paroles sont les mêmes mais l’instru change.

 

Pour le clip de T’as capté, vous êtes parti au ski avec Alpha Wann et Sneazzy, c’était bien?

En fait c’était assez risqué, on a fait de l’hélicoptère avec les portes ouvertes à 2000m d’altitude. Moi qui ai le vertige, j’ai dû prendre sur moi. Mais toute l’équipe était au top. 

 

Je vous ai vu dans le premier épisode de la série Validé, mais comme je n’ai pas encore vu les autres, je me demandais si vous étiez présent dans la suite? 

Non je fais juste une petite apparition. C’était intéressant de voir le tournage, et puis j’ai beaucoup de potes qui jouent dans la série donc c’était très naturel.

 

Dans nos pages, notre critique cinéma et séries, Olivier Joyard, s’étonnait qu’on ait attendu 2020 pour avoir une série sur le rap français.

Ce sont des logiques de production lourdes, il faut trouver un budget, et il faut réussir à convaincre les décideurs qu’on peut intéresser un public. Et puis le rap, c’est un sujet que la plupart des producteurs français ne maîtrisent pas du tout. Je pense que le succès de films comme 8 Mile (sur Eminem) ou Get Rich or Die Tryin (avec 50 Cent), peut quand même fournir une indication et faire comprendre que c’est possible. Le rap a gagné en force avec le streaming, donc aujourd’hui, je pense qu’on est obligé de réaliser la place qu’a cette musique, le nombre de gens qu’elle touche. Les chiffres sont parlants. Donc c’était le bon timing pour sortir cette série.

 

Vous qui êtes très impliqué dans la réalisation de vos clips, envisagez-vous de réaliser un jour un court-métrage liant plusieurs morceaux, comme l’avait fait A$AP Rocky [Money Man, avec l’acteur Saïd Taghmaoui]? 

J’aimerais mélanger plusieurs genres dans un seul film, une partie clip vidéo, et peut-être autre chose qui n’aurait rien à voir, comme un défilé de mode qui serait vraiment filmé comme un défilé l’est habituellement. J’aimerais réunir tout ce que j’aime dans une vidéo. 

 

Etat d’esprit de S.Pri Noir, disponible.

 

S.Pri Noir – “100 regrets”