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Rencontre avec Kylie Minogue : « La mélancolie peut être un endroit joyeux »
Après avoir sorti en septembre 2023 un seizième album très réussi, Tension, Kylie Minogue a reçu, ce samedi 2 mars 2024, un Global Icon Award aux Brit Awards, L’occasion de revenir sur notre rencontre, à Paris, avec l’icône de la musique, chanteuse et actrice. Une superstar qui, malgré ses 80 millions de disques vendus et sa foule de tubes, n’a rien d’une diva.
Interview by Violaine Schütz.
and Erwann Chevalier.
Traduction du texte français vers l'anglais Emma Naroumbo Armaing.
La flamboyante Kylie Minogue, 55 ans, a beau être l’une des plus grandes icônes musicales de ces trois dernières décennies, avec 80 millions de disques vendus, la chanteuse australienne ne cesse de se réinventer. Après un album country et un autre disco, elle sortait le 22 septembre 2023 un disque dance, house, synthpop et électro, dédié à la moiteur des clubs, intitulé Tension. On y retrouve notamment le tube de l’été, Padam Padam au succès si sidérant qu’il est entré dans un dictionnaire numérique, a été cité au parlement britannique par un député et est devenu un phénomène TikTok, ainsi que l’hymne du mois des fiertés.
Quelques jours avant la sortie de son seizième album, Numéro l’a rencontrée dans un hôtel chic. C’était un jour après avoir dansé avec elle, au Silencio, à Paris, lors d’une écoute de son nouveau disque. Au lieu de rester près du DJ qui jouait ses morceaux flambant neufs faussement hédonistes (car possédant un fond de mélancolie), Kylie Minogue s’est mêlée à la foule – une centaine de journalistes – pour chanter et se déhancher, pieds nus (elle avait délaissé, dans l’euphorie du moment, ses Jimmy Choo).
Généreuse, attachante et authentique, la chanteuse, compositrice et actrice qui vient de recevoir un Global Icon Award aux Brit Awards 2024 n’a rien d’une diva… malgré les tubes, les clips aux millions de vues et son statut d’idole. Et cette proximité avec ses fans et avec les médias contribue encore à sa légende.
Interview de la chanteuse Kylie Minogue sur l’album Tension
Numéro : Juste avant notre rencontre, vous étiez présente à une une soirée d’écoute de votre album à Paris et vous avez dansé au milieu des journalistes…
Kylie Minogue : Je ne voyais rien… Mais j’espère que vous avez passé un bon moment. Je pense que ce serait cool d’avoir un karaoké à ces soirées d’écoute, pour que les gens puissent écouter mais aussi savoir ce que je chante.
Quelle relation entretenez-vous avec la France ?
Dès la première fois où je suis venue en France, que ce soit à Paris, ou dans d’autres villes, la France m’a toujours accueillie à bras ouverts. Ce n’est pas le cas de tous les pays (rires). Les gens que j’y ai rencontrés ont beaucoup apporté à ma vie et à mon métier.
Pourquoi avoir nommé votre album Tension ?
Nous avons tout d’abord considéré Vegas High comme nom de l’album, qui est l’un des titres du disque et qui fait allusion à ma future résidence à Las Vegas, qui commence en novembre 2023. Mais Tension semblait contenir plus d’intrigue. Il y a un moment où je me suis dit : « J’espère que ça ne va pas paraître déprimant, – quand on regarde les infos, le mot est utilisé d’une façon négative – mais en fait, une fois que nous avons décidé cela, j’ai été vraiment surprise que ce titre soit bien accepté. Les gens se sont montrés très impatients d’écouter un album appelé Tension. » Pour la pochette, nous l’avions choisie avant de savoir que le disque s’intitulerait ainsi. Le photographe, Haris Nukem, a pour habitude de faire un croquis de chaque cliché avant de shooter. Ce qu’il photographie ressemble à l’esquisse. C’est lui qui a eu l’idée du diamant. Il m’a dit : « Je ne sais pas pourquoi, mais je te vois tenir ce diamant’. Il y a des choses qui arrivent sans qu’on les ait programmées. J’aime la chanson Tension, car elle peut avoir plusieurs significations. Le diamant est une image subliminale : celle de la création de belles choses sous la pression. Je pense que les gens pourraient le ressentir à travers la pochette, surtout ils savent comment sont fabriqués les diamants, c’est-à-dire sous la contrainte.
« Je n’aime pas être qualifiée de perfectionniste ou de control freak, mais je sais que j’ai tendance à être comme ça. » Kylie Minogue
Dans quel état d’esprit étiez-vous pendant l’enregistrement de votre album ?
J’ai commencé à travailler sur Tension avec mon producteur de longue date, Richard « Biff » Frederick Stannard, qui a réalisé tant de titres extraordinaires notamment pour les Spice Girls. On a commencé à créer ensemble, il y a des années et les chansons tiennent encore la route aujourd’hui. On a débuté ce disque sans pression, sans me rendre tous les jours au studio. C’était juste des sessions de temps en temps, en laissant voir ce qui allait arriver. Et puis, après trois mois à travailler ainsi, je me suis sentie prête pour un nouveau projet. Je me suis rapprochée d’auteurs et j’ai reçu des démos, comme celles de Padam Padam, Green Light, 10 out of 10. Je suis très ouverte à ce genre de processus : S’il y a une bonne chanson, donnez-là moi ! Mais j’adore aussi être en studio et créer des chansons à partir de rien.
Pourriez-vous nous parler du processus d’enregistrement ?
J’enregistre beaucoup moi-même à la maison, dans des hôtels, sur des tables basses où je branche les câbles, en rampant, et en essayant de ne pas me tromper. C’est tout le contraire du glamour. Mais c’est quelque chose que j’adore pouvoir faire seule maintenant. Cela m’apporte tellement plus. Pas seulement en ce qui concerne la propriété de mes créations, mais parce que c’est une meilleure compréhension de ce que je fais et de la manière dont je peux explorer ma voix et ma relation avec un micro. Car il y a une grande différence entre votre voix parlée au quotidien et la voix chantée. J’ai tendance à enregistrer directement et je n’ai aucune idée du nombre d’heures que je vais passer sur un titre. Mais souvent, c’est très long. Ça peut être assez extrême le nombre de fois où je vais refaire une prise. Même s’il y a toujours un peu de pression sur mes épaules, soit parce qu’ils en ont besoin du titre rapidement, soit parce que je veux que ce soit fait rapidement. Mais c’est mon processus et c’est comme ça.
Êtes-vous perfectionniste ?
Oui, vraiment. Je n’aime pas être qualifiée de perfectionniste ou de control freak, mais je sais que j’ai tendance à être comme ça. Je suis très soucieuse des détails. Ce ne sont pas uniquement des chansons qui sont arrivées et sur lesquelles j’ai uniquement posé ma voix. Je veux aller en profondeur dans les morceaux.
Comment définiriez-vous cet album ?
Ce projet est très différent de mes précédents albums… Mes précédents disques avaient un thème et des sonorités bien définies : country et disco. Cet album, je l’ai appréhendé comme une plage blanche, sans thème précis. La création de Tension m’a donc donné un véritable sentiment de liberté. C’était génial de faire un album sans véritable thème. Et il m’a aidée à traverser des périodes difficiles et à célébrer le présent. Si je devais le définir en un moment, ce serait : « surprise. » Tous les morceaux sont différents. On croit être à un endroit, mais en fait, ça change la chanson suivante. Je suis à un moment de ma vie où j’ai vécu beaucoup de choses. J’ai traversé des épreuves pendant son élaboration tel que le Covid, mais aussi des événements personnels.
« La mélancolie peut être un endroit joyeux. Il y a beaucoup de chansons dans mon répertoire qui mêlent la tristesse et la joie en même temps. » Kylie Minogue
Vous avez déclaré dans un communiqué de presse que cet album mélangait vos réflexions personnelles, un sentiment d’abandon dans le club et des pics de mélancolie…
La mélancolie peut être un endroit joyeux. Il y a beaucoup de chansons dans mon répertoire qui mêlent la tristesse et la joie en même temps comme All the Lovers (2010). Et nous aimons tous danser avec des larmes aux yeux de temps en temps. Robyn manie cela à la perfection sur des tubes comme Dancing on my Own (2010) et Call your Girlfriend (2011), tout comme Gloria Gaynor sur l’hymne I Will Survive (1978). Ce sont des chansons qui semblent taillées pour la danse, mais sous la surface, il y a plein de choses différentes qui se passent. Quant aux réflexions personnelles, beaucoup de chansons parlent de mon histoire. Le titre Story évoque par exemple les gens qui vous aident à surmonter des moments difficiles et qui, par conséquent, font partie de vous.
Hold on to Now est une chanson qui représente très bien votre univers, en mêlant sonorités électroniques épiques et mélancolie. De quoi parle ce morceau ?
L’envie d’euphorie vient en partie du fait qu’on est post-covid, et que le monde a traversé beaucoup de choses difficiles dernièrement. Mais ça vient aussi de mon histoire personnelle, d’une relation durant laquelle vous ne savez pas où vous allez, ce que vous faites. Et je ne suis plus dans cette relation maintenant. Mais il y a une période où j’ai juste essayé de simplement comprendre ce qui s’était passé. C’est pour ça que dans ce morceau, je chante : « Floating on this feeling together. Yeah, we’ll figure it out somehow. Keep holding on to now. » J’ai voulu écrire sur le fait que nous passons tellement de temps à nous demander où nous allons que nous oublions de profiter du moment présent, alors que ce moment ne va pas durer. Ce titre parle de cette période où je suis en recherche de réponses, et je ne les trouve pas. Mais en attendant, je dis : « Accroche-toi encore une fois. » Hold on to Now soulève une question existentielle que nous nous posons tous : comment pouvons-nous donner un sens à tout ça ?
D’où vient l’expression « Padam Padam » qui a donné lieu à votre tube ?
Je ne pourrais pas vous dire ce que les auteurs de la chanson, l’artiste Ina Wroldsen et le producteur Lostboy, avaient en tête. Mais comme elle est norvégienne et lui, anglais, ils avaient une sensibilité européenne, donc ils devaient connaître Edith Piaf qui a intitulé un titre de la même manière, même si le morceau n’est pas du tout lié à elle. Les mots « Padam Padam » sont même entrés dans l’Urban Dictionary : c’est fou ! Ce qui est hilarant, c’est que la signification de l’expression va au-delà du bruit des battements du cœur évoqués par la sonorité des mots. Il y a plein de significations différentes. Les gens peuvent l’utiliser pour dire bonjour, au revoir, « Je vais bien« , « Je vais mal » ou tout autre chose.
« J’ai l’impression que je suis naturellement versatile et j’aime être malléable et me métamorphoser. » Kylie Minogue
Avez-vous été surprise par le succès phénoménal de Padam Padam, qui a autant plu à la génération TikTok qu’à la vôtre ?
Oui, très. Voir les chiffres grimper de jour en jour, c’était fou. Je trouve ça dingue que des jeunes de 20 ans, et même des enfants de 10 ans et des ados de 15 ans le reprennent sur TikTok et dansent dessus. Concernant les plus jeunes, ils ne se rendent pas compte des connotations sexuelles du morceau quand ils chantent les paroles. En fait, j’ai toujours été multigénérationnelle, pour être honnête, depuis mon rôle dans la série Neighbours, dans la quelle on trouvait des acteurs de tout âge. Et les grands-parents, les parents, les enfants regardaient le show famillial.
Est-ce que cela a été difficile de choisir le prochain single, après Padam Padam, qui cumule 17 millions de vues sur YouTube ?
Oui, ce qui n’était pas facile. Avec Padam Padam, les gens étaient en boîte de nuit. On aurait pu calmer le jeu avec un single qui signifiait : « venez à l’espace lounge maintenant », mais finalement, on a choisi quelque chose d’aussi uptempo que Padam Padam : Tension. Et les gens sembles apprécier aussi ce titre, alors j’en suis ravie.
En 2018, vous surpreniez tout le monde en sortant un album aux sonorités country nommé Golden…
J’ai adoré enregistrer Golden et je ne pense pas que je serais ici avec Tension si je n’avais pas fait Golden et l’album Disco avant. En fait, dans la tournée de Golden, il y avait une section, dans le scénario du show, que le public ne connaissait pas forcément. C’était plus pour nous, afin d’avoir un arc pour le spectacle. D’abord, j’étais une sorte de Donna Summer ou des Diana Ross à Los Angeles ou Nashville qui doit aller à New York. Mais il y a une tempête et l’avion ne décolle pas. Il faut donc faire un road trip pour se rendre à New York là, nous nous retrouvons au studio 54. C’est une partie du spectacle où je me suis vraiment sentie chez moi. Je me disais, j’adore cette section, entourée de danseurs. Cette partie du Golden Tour a cédé la place au disco et a ouvert la voie à l’album suivant.
Comment expliquez-vous votre longévité dans l’industrie musicale ?
Si je connaissais le secret, ce serait beaucoup plus facile (rires). Je n’ai pas la réponse mais je sais que je me sens toujours inspirée par plein de choses, je suis toujours curieuse, et peut-être que ça, ma destinée. Je pense que musicalement, j’ai essayé de rester pertinente et de regarder ce qui m’entourait. Donc, dans les années 90, je me suis inspirée de la scène indie, puis dans les années 2000, de la pop futuriste de l’époque. J’ai l’impression que je suis naturellement versatile et j’aime être malléable et me métamorphoser. C’est peut-être pour cela que j’ai pu naviguer dans différents styles musicaux.
Tension (2023) de Kylie Minogue, disponible.