14 mar 2023

Rencontre avec Lyna Khoudri : « On a besoin d’aller au cinéma pour panser nos plaies »

À 30 ans, Lyna Khoudri s’est imposée comme l’une des étoiles les plus brillantes du cinéma français. Un statut que sa performance exaltée et émouvante dans le film Houria de Mounia Meddour (Papicha), en salle ce mercredi 15 mars, ne démentira pas. Rencontre avec une comédienne aussi intense que solaire.

propos recueillis par Violaine Schütz.

Lyna Khoudri au défilé Chanel haute couture automne-hiver 2021-2022, le 6 juillet 2021 à Paris. Photo by Bertrand Rindoff Petroff/Getty Images

Avec sa grâce innée, son visage angélique et sa justesse rare, Lyna Khoudri s’est imposée en moins de dix ans comme l’une des actrices les plus prisées de sa génération. De celles qui pourraient marcher sur les traces d’une Isabelle Adani. Alternant les films à succès (Novembre, Les Trois Mousquetaires, en salle le 5 avril 2023) et les projets engagés (Nos Frangins, Gagarine, Qu’un Sang impur), la comédienne franco-algérienne âgée de 30 ans, qui a grandi à Aubervilliers, a même séduit les réalisateurs étrangers. César du meilleur espoir féminin en 2020 pour le sublime Papicha, elle était un an plus tard à l’affiche du film The French Dispatch (2021) de Wes Anderson, aux côtés de Timothée Chalamet qui jouait son petit ami. Il y a pire…

 

Ce mercredi 15 mars, Lyna Khoudri démontre une nouvelle fois son talent dans Houria de Mounia Meddour, celle qui l’avait fait briller dans Papicha. Elle y incarne une Algérienne devenue mutique après une agression qui réapprend à vivre grâce à la danse et à la sororité. Son aphasie ressemble à la fois à un symbole des femmes qu’on a empêchées de parler, tout au long de l’Histoire, autant qu’à une parabole de l’Algérie, ce pays blessé qui s’est reconstruit après la guerre civile. On a rencontré cette actrice intense et naturelle, que le cinéma s’arrache.

 

Lyna Khoudri, la révélation de Papicha à l’affiche d’Houria 

 

Numéro : Vous retrouvez sur Houria la réalisatrice Mounia Meddour, pour laquelle vous aviez déjà joué, dans Papicha (2019). Qu’est-ce qui a changé entre temps ?

Lyna Khoudri : Nous étions déjà proches au moment de tourner Papicha, mais on se connaît davantage aujourd’hui. Donc c’est encore mieux de travailler ensemble. Il y a toujours beaucoup de préparation en amont de ses films et de discussions. Quand on venait de terminer Papicha, Mounia avait déjà presque fini le scénario d’Houria. Et elle avait déjà commencé à m’en parler. On a toujours eu envie de faire ce parallèle entre l’Algérie des années 90 – montrée dans Papicha – et celle aujourd’hui, vue dans Houria. Parce que l’Algérie des années 90, c’est le moment où j’y suis née et la période durant laquelle Mounia a grandi. Dans Houria, il y a des scènes tournées à Alger et d’autres à Marseille, qui ressemble beaucoup à Alger.

 

Le fait d’avoir eu un César pour Papicha a-t-il rajouté une pression supplémentaire sur vos épaules ?

Oui, surtout qu’on dit toujours que pour le deuxième film, il faut faire attention, que c’est souvent moins bien. Et Houria est le deuxième film de Mounia (après des court-métrages et des documentaires) et le deuxième que l’on tourne ensemble. On se dit que les gens vont nous attendre au tournant. Beaucoup de monde dit qu’Houria ressemble à Papicha mais la filiation était voulue. Il y a des thèmes communs comme la sororité et la résilience à travers un art (la mode ou la danse), ainsi que des clins d’oeil appuyés. Par exemple, il y a une scène d’Houria où j’ai un mètre de couturier autour du cou, comme dans Papicha. Je n’étais pas obligée de le faire, mais j’ai vu le mètre posé dans le décor et j’ai eu envie de le placer de la même manière, pour notifier visuellement ce lien entre les deux personnages. Et parce que je pense que tous les grands cinéastes réalisent toujours finalement le même film. Quand on regarde Pedro Almodóvar ou Abdellatif Kechiche, ce sont souvent les mêmes sujets qui reviennent. Leurs films se répondent. 

Comment vous êtes-vous préparée pour ce film dans lequel vous ne parlez plus après une agression ?

J’ai appris la langue des signes grâce à un prof que j’ai beaucoup observé. Mais lui était sourd-muet, ce qui est très différent du personnage d’Houria. J’ai parlé avec beaucoup de neurologues, de psys et d’orthophonistes qui nous ont gentiment donné l’accès de leurs consultations et à des documents confidentiels de gens qui ont récupéré la parole après une période d’aphasie et après un choc émotionnel. L’idée était de comprendre comment on perd la parole et comment on y revient. Quel est le chemin pour y arriver ? Cela passe par des comptines, la redécouverte de l’alphabet, beaucoup de petits exercices. J’avais besoin de revenir au stade zéro de l’apprentissage de la langue qui finalement ressemble beaucoup à celui d’un bébé. J’ai aussi regardé beaucoup de films comme La leçon de piano (1993), que j’ai du voir trente fois et Sounds of Metal (2019), dans lesquels on voit des performances d’acteur et d’actrices qui ne parlent pas. Ça m’a beaucoup inspirée aussi. 

 

Avez-vous appris à danser pour Houria ?

Oui, j’ai pris presque huit mois de cours de danse. Les trois premiers mois étaient très intensifs. Je m’entrainais de 10h à 18h du lundi au vendredi. Il y avait une quinzaine de chorégraphies à inventer avec la chorégraphe, avec les compositeurs aussi, parce que la musique était intimement liée à la danse. J’ai surtout appris à monter sur pointes. C’était là, c’était la partie la plus dure, la danse classique. Il y a des choses qui nécessiteraient quinze ans de danse pour arriver à les réaliser comme les jetés, mais je tenais vraiment à ce qu’on voit sur pointes dans le film. Et c’est le cas, donc je suis contente. 

 

Avez-vous des points communs avec ce personnage ? 

C’est ce qui fait qu’on se ressemble c’est le fait qu’on est passionnées toutes les deux, elle de danse et moi, de cinéma. Sinon, c’est vraiment une construction. Je ne suis pas danseuse, je n’ai pas perdu la parole et elle possède un courage que je n’ai pas. Elle décide d’arrêter de parler après un choc traumatique, ce qui demande énormément de courage. Je suis incapable de vivre tout ce qu’elle a vécu. Je l’aime énormément et je l’admire.

« Sur certaines scènes du film de Wes Anderson, on a réalisé 70 prises avec Timothée (Chalamet, ndlr). » Lyna Khoudri

 

Le personnage d’Houria se reconstruit via la danse. Le cinéma peut-il avoir les mêmes vertus cathartiques ?

Pas en tant qu’actrice, parce qu’au contraire, j’ai l’impression que je m’encombre à chaque rôle. Par contre, regarder des films me fait beaucoup de bien. Je me suis beaucoup construite aussi avec les films. Ils m’ont aidée à comprendre plein de choses aussi et à ouvrir des fenêtres sur des mondes différents, comme l’Asie ou l’Afrique. J’ai appris à découvrir des sociétés et des pays à travers le cinéma, à traiter des problèmes qui me concernaient en tant qu’ado et en tant qu’adulte. Le cinéma est pour moi un vrai reflet de la société et une manière aussi de cicatriser. Quand je sortais du tournage de Novembre, en parlant avec les médias et les spectateurs, j’ai eu l’impression qu’il s’agissait en quelque sorte d’une thérapie de groupe. Le fait qu’il ait deux millions d’entrées prouve que quelque chose s’est passé. Les gens en avaient besoin. On a besoin d’aller au cinéma pour panser nos plaies et pour réfléchir. C’est pour ça que j’ai voulu faire du cinéma, parce que ça me faisait du bien de voir des long-métrages.

 

On vous verra bientôt dans Les Trois Mousquetaires, un projet très différent de ce que vous avez fait jusque-là. Comment-choisissez vous vos rôles ?

Au feeling. C’est difficile à expliquer. Ça va dépendre du scénario, de la rencontre avec un réalisateur ou une réalisatrice, de l’équilibre du personnage, à quel point il fait avancer l’histoire. Si le personnage ne fait pas avancer l’histoire, je n’y vois pas trop d’intérêt. J’ai besoin de participer activement à l’action, même si je n’ai qu’un petit rôle qui n’est pas au centre de l’intrigue, comme c’est le cas dans Novembre ou dans Les Trois Mousquetaires. Si ce n’est pas le cas, je me sens inutile et c’est désagréable.

 

Vous avez tourné dans The French Dispatch de Wes Anderson. Quel souvenir en gardez-vous ?

Les décors étaient particulièrement spectaculaires, avec des équipes plus grosses à la déco que dans les films français. Et des costumes impressionnants. Milena Canonero qui a travaillé sur ce film est une immense costumière. C’est à elle que l’on doit les costumes du Parrain (la troisième partie) et de Shining. Il y avait beaucoup de gens très talentueux sur le plateau mais aussi très humbles. Wes est une personne très simple, tout comme Bill Murray et Frances McDormand. Il régnait un vrai esprit de colo. On formait une famille. La différence avec les films français, c’est peut-être le nombre de prises. Sur certaines scènes, on a réalisé 70 prises avec Timothée (Chalamet, ndlr). En même temps, en France, des réalisateurs doivent en faire beaucoup aussi, à l’image d’Abdellatif Kechiche.

François Civil et Lyna Khoudri dans Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan (2023) © Pathé Films – M6

« Je n’aime pas quand les gens sont mal habillés. » Lyna Khoudri

 

Vous êtes ambassadrice de la maison Chanel

Depuis que suis actrice, j’ai certains privilèges qui sont ceux de pouvoir travailler avec une maison comme Chanel qui représente pour moi l’élégance ultime. Des maisons comme Chanel donnent le ton des saisons à venir. Virginie Viard est une femme pleine de créativité qui fait cinq ou six saisons par an. Elle m’inspire beaucoup et me fait penser à Papicha, dans lequel l’héroïne est passionnée. Ce processus de création est tellement dingue. Il faut réinventer chaque saison, trouver de nouvelles idées, de nouvelles propositions et tout est toujours réalisé à la perfection. Et puis c’est c’est un monde artistique intimement lié au cinéma. Chanel a toujours mis les actrices et le cinéma au centre de son histoire. 

 

Avant d’être actrice, quelle place occupait la mode dans votre vie ?

Depuis que je suis ado, j’aime bien être bien habillée. Et je n’aime pas quand les gens sont mal habillés (rires). J’ai toujours eu une garde robe bondée. Et j’ai toujours claqué tout mon argent dedans. Avant d’être actrice, j’étais animatrice et j’allais tout le temps m’acheter des vêtements, des sacs, des paires de chaussures et faire les fripes. Je me souviens je quand j’étais au lycée, un professeur nous avait expliqués que l’Académie des beaux-arts comprenait la peinture, la sculpture, le cinéma ou encore la musique, mais pas la mode. Cela m’avait choquée. Je me suis dit : « On devrait faire une Académie de la mode pour interdire les gens de sortir mal habillés (rires). »

 

Houria (2023) de Mounia Meddour, au cinéma le 15 mars prochain. Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan (2023) de Martin Bourboulon, au cinéma le 5 avril prochain.

Alséni Bathily et Lyna Khoudri dans Gagarine (2021) de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh © Margaux Opinel