Timothée Chalamet : “Aujourd’hui, le cynisme est plus fort que dans les sixties”
Une conférence de presse en petit comité avait lieu le 16 janvier à l’hôtel Bristol à Paris, avec Timothée Chalamet et les acteurs du film Un parfait inconnu de James Mangold, le biopic sur Bob Dylan, qui sort au cinéma le 29 janvier 2025. Numéro y était et revient sur les confidences de l’icône, attachante, de la Gen Z.
par Violaine Schütz.
Partout où il passe, l’acteur franco-américain Timothée Chalamet, 29 ans, crée l’émoi et déchaîne les passions. On se souvient encore de la promo phénoménale de Dune, deuxième partie, l’an dernier ou de la fois où, en octobre 2024, il s’invitait à son propre concours de sosies à New York… Et repartait bredouille, le sourire aux lèvres. Le 14 janvier 2025, lors de l’avant-première londonienne d’Un parfait inconnu, son nouveau long-métrage, il arrivait en costume et chemise psychédélique Martine Rose perché sur un vélo électrique Lime sur le tapis rouge, enflammant alors illico l’assemblée et la toile. Et écopant d’une amende pour s’être mal garé…
Le lendemain, au Grand Rex, à Paris, c’est sous une casquette, plus low profile (arborant un look mi streetwear mi rock signé Chanel), qu’il venait défendre le même film. Mais même le visage caché sous cet accessoire, l’acteur provoquait l’hystérie parmi la foule de fans venus l’accueillir et réclamant des autographes et des accolades.
Timothée Chalamet en interview à Paris pour Un parfait inconnu
C’est le mercredi 16 janvier 2025, que, pour notre part, nous avons rencontré le jeune homme qui semble, hors des plateaux, plutôt timide, humble et réservé. Dans l’un des salons raffinés du Bristol, à Paris, Timothée Chalamet est venu échanger avec la presse au sujet du biopic – très réussi – consacré aux jeunes années de Bob Dylan.
Aux côtés de la magnétique actrice Monica Barbaro (Joan Baez dans le film) d’Edward Norton (qui incarne le musicien Pete Seeger) et du réalisateur James Mangold, il répond aux questions des journalistes dans un français presque parfait.
Même s’il précise qu’il faut qu’il reste plusieurs jours en France avant de parfaitement re-maîtriser la langue et éviter les tournures parfois bancales. Certaines confessions resteront ainsi aussi poétiques qu’énigmatiques à l’image de celle-ci : “J’ai presque 30 ans, et j’ai de moins en moins de craintes. Le monde est déjà assez étrange, alors pourquoi choisir de mener une vie qui comporte des craintes ?”
Baissant souvent la tête comme pour minimiser son statut de méga star mais affichant un sourire et une nonchalance irrésistible, le comédien révélé par Call Me by Your Name (2018) – rare en interview – raconte avec passion les coulisses d‘Un parfait inconnu, qui sort le 29 janvier 2025 au cinéma.
Pour commencer, l’acteur vêtu d’un jean baggy très taille basse et d’un pull à pois noir et vert ultra pop, explique qu’il y avait un milliard de raison qui l’ont attiré vers ce projet d’envergure pour lequel il s’est glissé dans la peau de la légende du folk avant qu’elle ne devienne l’icône d’une génération connue pour ses hymnes anti-guerre.
Le film nous plonge au début des années 60 et à ce moment-là, le compositeur à la voix nasillarde et au talent monstre Robert Allen Zimmerman n’est pas encore le prix Nobel de littérature Dylan. Il tente de se faire un nom dans la scène engagée et foisonnante du New York de l’époque, enchaînant les concerts dans les cafés et les rencontres importantes (Johnny Cash va croiser sa route).
“C’est le rôle qui m’a le plus impacté de toute ma carrière.” Timothée Chalamet
“On m’a contacté pour la première fois pour ce projet en 2018 ou 2019, se remémore Timothée Chalamet, au moment où ma carrière se lançait. On m’a envoyé des matériaux de recherches sur Bob Dylan qui m’ont tout de suite intéressé, notamment des interviews de ces débuts (que l’on peut voir sur YouTube) où il se montrait dans la confrontation et mystérieux. Avant même d’écouter sa musique, j’ai aimé ces entretiens qu’on ne ferait plus aujourd’hui, avec des réponses bizarres, qui n’ont aucun sens.” Le musicien était en effet réputé difficile en interview, répondant à côté aux questions posées ou simplement par une phrase.
L’acteur dit aussi aimer, au-delà du personnage très secret et roublant, “sa musique, ce qu’il représentait dans les années 60 aux États-Unis, au Japon, en France.” Il ajoute : “Cinq ans et demi plus tard, je peux dire que c’est le rôle qui m’a le plus impacté de toute ma carrière. Je suis fier de tous mes films mais celui-ci m’a influencé personnellement.” Transformatrice, l’expérience lui a permis de se comporter autrement en tant qu’homme et artiste.
Les chansons de Bob Dylan n’étaient pourtant pas tout a fait familières à celui qui a appris à jouer de la guitare et de l’harmonica et à chanter (mais aussi pris 9 kilos) pour jouer l’auteur de la chanson pacifiste Blowin’ in the Wind. “J’ai grandi en écoutant de la musique en streaming, sur ITunes : du rap, du hip-hop, de la pop, en 2008-2009. Grâce à ce film et à Bob Dylan, je me suis ouvert à d’autres artistes des sixties et à des chansons peu connues du répertoire des Beatles et des Rolling Stones.” Le héros de Dune compare l’émulation musicale des années 60 dans son pays à ce qui s’est passé, en France, côté cinéma, avec La Nouvelle Vague. « Il y avait cette même volonté de transformation artistique en France à cette époque. »
Idole de la Gen Z (qui s’identifie à sa masculinité fluide) suivie par près de 20 millions de followers sur Instagram et fréquentant une véritable influenceuse (Kylie Jenner), Timothée Chalamet nourrit pourtant une véritable réflexion sur l’époque des portables, très éloignée de celle de Dylan. “Pour les jeunes de 18 ans à 25 ans qui n’ont pas eu cette éducation, cette culture était vraiment une manière de comprendre le monde. Aujourd’hui, c’est très difficile de réunir tout le monde dans la même pièce” avoue-t-il.
“Dans les années 60, les jeunes artistes comme Bob Dylan, Joan Baez ou comme l’écrivain James Baldwin pensaient que l’art pouvait changer les choses.” Timothée Chalamet
Interrogé sur les différences entre l’époque de l’avènement de Bob Dylan et l’Amérique contemporaine gouvernée par Trump, Timothée Chalamet se montre nostalgique. “Dans les années 60, les jeunes artistes comme Bob Dylan, Joan Baez ou l’écrivain James Baldwin pensaient, avec optimisme (parce qu’il n’y avait pas de précédent), que l’art pouvait changer un aspect politique ou une attitude culturelle. C’est différent aujourd’hui parce qu’il y a un cynisme qui est plus fort. Et, pour les jeunes générations, les obstacles sont peut-être plus importants que ceux qui existaient dans les années 60, notamment au niveau de la politique et de l’environnement. »
Le héros de Wonka ajoute : “Ce serait bien qu’une figure comme Bob Dylan surgisse aujourd’hui. Mais à chaque fois que quelqu’un sort un film ou une chanson, qui veut, avec optimisme, changer les choses, il le fait d’une manière qui peut être vue comme trop corporate.”
Incarner Bob Dylan, un défi de taille
Avant Un parfait inconnu, il y a eu l’excellent I’m Not There (2007) de Todd Haynes inspiré de différents épisodes de la vie du chanteur et mettant en scène Cate Blanchett et la récréation d’un concert culte de l’icône de la musique par la chanteuse Cat Power lors duquel il trahit la cause folk en jouant du rock (un passage au centre du film de James Mangold).
Si Timothée Chalamet, qui avoue qu’il y a beaucoup de biopics à Hollywood, incarne avec brio une version complexe et intéressante, à la fois passionnée, habitée, déterminée, seule, tourmentée et arrogante, de l’indéchiffrable et frondeur auteur de prostest songs, cela n’a pas été sans embûches.
Pour devenir le Bob Dylan des années 60 qui tombe sous le charme de Joan Baez, l’acteur avoue s’être heurté à un manque de références visuelles. Lors de la conférence de presse, il explique : “Il y a plus de matériel documentaire concernant Dylan en 63, 64, 65 que durant le début des années 60. Peu de choses existent alors, notamment en vidéo, à part des démos. Même les historiens et les méga fans de Bob connaissent moins cette période.”
“J’aurais bien aimé rencontrer Bob Dylan et j’en ai toujours envie.” Timothée Chalamet
L’acteur nommé aux Oscars 2025 pour ce film avoue également : “Je connaissais plus la musique rock de Dylan, celle de 65, que la musique folk avant de débuter ce film. Mais il y a beaucoup de liberté lorsqu’on se retrouve seul à la guitare à jouer du folk. On peut trouver son rythme, prendre son temps. Je ressentais les chansons plus connues comme Like a Rolling Stone comme un piège.”
Timothée Chalamet confie que Bob Dylan méritait que l’on s’investisse à 150% pour l’interpréter dans un film. S’il s’est immergé à fond dans le lifestyle des années 60, allant jusqu’à éteindre son téléphone et à se couper des réseaux sociaux durant le tournage, le comédien n’a pourtant pas croisé celui qu’il incarne avec justesse et nuances. “J’aurais bien aimé le rencontrer et j’en ai toujours envie. Mais mon respect pour Bob Dylan est plus grand que mon désir de le rencontrer. J’ai bien compris que c’est quelqu’un de mystérieux, qui n’est pas à fond dans l’aspect public et qui ne va pas se faire des nouveaux amis à 83 ans !”.
Sur X (ex-Twitter), Bob Dylan ne tarissait cependant pas d’éloges, il y a quelques semaines, sur Timothée Chalamet, surnommant l’acteur Timmy et le qualifiant d’acteur brillant tout en déclarant être persuadé qu’il serait super dans ses vestes en daim, à l’écran. On ne sait pas si, depuis, le compositeur, peintre et poète, a vu le film. Mais une chose est sûre, il aurait pu écrire sa chanson I Contain Multitudes pour le héros de Dune, Wonka et de Bones and All, tant ce dernier comprend en lui une multitude de facettes et de possibilités.
Un parfait inconnu de James Mangold, avec Timothée Chalamet, Elle Fanning, Monica Barbaro et Edward Norton, au cinéma le 29 janvier 2025.