18 mai 2017

Qui est Spike Fuck, l’artiste post-punk découvert par Rick Owens ?

Écrivant tantôt du point de vue d’un homme, tantôt de celui d’une femme, Spike Fuck nuance de sa sensibilité contemporaine l’archétype du musicien maudit, post-punk et marginal, aux morceaux teintés par la noirceur de l’addiction aux drogues. L’Australienne a fait de son statut d’outsider un atout. 

Portrait par Rick Owens

Avec son nom qui pique et qui nique, on n’imagine pas Spike Fuck en ambassadrice délicate d’une pop asexuée et parfumée à la violette. Avec son look de suburban boy au teint diaphane, son mullet et ses mèches roses qui parfois désunissent sa blondeur, et cet air un peu désolé qui voile son regard, cette transsexuelle de Melbourne n’a pas non plus choisi la voie outrancière qui collerait, musicalement, avec cet épineux et libidineux pseudo. Son premier EP, Smackwave, la révèle au contraire en crooner punk sensible, inspirée par la new wave du tournant des années 70/80, avec des reflets troublants de Bowie et Joy Division. Même le clip dérangeant de Tomorrow We Get Healthy, où elle finit par s’arracher le visage et laisser un œil sombrer dans un lavabo, ne parvient pas tout à fait à en faire une bête de foire transgenre.

 

Solide songwriter – il faut l’entendre chanter le puissant Guts seule à la guitare –, l’Australienne n’en reste pas moins une funambule tiraillée entre deux fils parallèles, celui de la performance conceptuelle et celui du rock. “L’espace qui existe entre ces deux domaines reste celui où je m’épanouis le mieux, dit-elle. Même si je ne touche pas une guitare pendant un an, il y a toujours quelque chose qui m’y ramène, et qui me rappelle pourquoi j’ai choisi ça en premier lieu.” Dès l’âge de 14 ans, celle dont les vrais noms – masculins ou féminins – restent jalousement secrets débute une carrière musicale en catimini dans les bars clairsemés de Melbourne. Après un passage en groupe sous le nom de Bad Blood, et plusieurs années à frôler le “wild side” jalonné de seringues, jadis arpenté par Lou Reed, Spike Fuck devient clean en exorcisant son passé de toxico dans des chansons qui brûlent les pupilles et serrent le cœur.

 

“Même si je ne touche pas une guitare pendant un an, il y a toujours quelque chose qui m’y ramène”

Haut drapé en lin et coton, RICK OWENS.

“Ma vie est une suite continue d’expériences intenses, presque sans temps morts”, poursuit-elle, et si cet élan effréné l’a miraculeusement laissée sans cicatrices apparentes, ses textes disent avec une sincérité jamais exhibitionniste que rien ne fut vécu sans douleur. “Il y a plusieurs personnes en moi”, chante-t-elle dans Guts, quand Tomorrow We Get Healthy revient avec âpreté sur son passé de junkie : “L’addiction, la dépression, l’art, la musique, l’écriture ont défini ma vie et m’ont construite comme une personne solitaire et inadaptée socialement. Cela reste vrai même hors des drogues, et quand certains viennent vers moi pour me demander des réponses à leurs problèmes, je leur fais comprendre que je suis toujours aussi paumée qu’eux. La musique n’a jamais été un remède pour moi. Pas plus qu’un traitement.” 

 

“L’addiction, la dépression, l’art, la musique, l’écriture ont défini ma vie et m’ont construite comme une personne solitaire et inadaptée socialement.”

 

Même sur la question du genre, Spike Fuck n’a rien tranché définitivement, se rappelant le tomboy qu’elle était avant de se révéler plus clairement femme à l’adolescence tout en continuant à écrire avec un point de vue mixte. “Par le passé, j’ai écrit du point de vue d’un homme, précise-t-elle, et cela a souvent donné des textes emplis de colère et d’incertitude. Écrire du point de vue d’une femme, ce qui est le plus souvent le cas aujourd’hui, me fait apparaître plus tolérante, moins acerbe et aussi moins tourmentée. En vérité, j’écris comme une femme trans. C’est ce que je suis, ce que j’ai toujours été et ce que je serai toujours.” 

 

En postant abondamment la vidéo de “Tomorrow We Get Healthy” sur les réseaux sociaux, Rick Owens a contribué à la notoriété de Spike Fuck, épinglant cet alien des antipodes parmi cette galaxie de “weirdos” dont il aime à s’entourer. “J’ai beaucoup de respect pour Rick, dit l’intéressée, pour son travail et son aide à la reconnaissance de la culture queer. Ce qu’il fait est très important pour des gens comme moi, qui ne veulent pas être étiquetés simplement comme musiciens ou artistes mais qui aspirent aussi à pénétrer une industrie ou un marché. Des univers où, en général, on veut bien voir ou entendre les queers, trans, punk, bizarres… mais où on ne nous considère pas comme vendeurs, plutôt comme des phénomènes.” Une future collaboration serait d’ailleurs dans les tuyaux pour cette année.