30 sept 2024

Les confessions de Nathy Peluso, performeuse radicale et sulfureuse venue d’Argentine

Nommée onze fois aux Latin Grammy Awards, la chanteuse argentine de 29 ans, dont les sonorités fusionnent en un savant mélange de reggaeton, de salsa, de cumbia colombienne et de hip-hop, connaît une ascension irrésistible depuis Esmeralda, son premier album sorti en 2017. Numéro a rencontré la jeune artiste, grande amatrice de films de gangsters et d’ambiances sulfureuses à la Brian De Palma, dont est empreinte son esthétique. Elle sera en concert à la Salle Pleyel le 15 février 2025.

Bustier lacé en cuir, ZANA BAYNE.

Grasa, l’album tragi-comique de la sulfureuse Nathy Peluso

À ce jour, l’œuvre dont Nathy Peluso reste la plus fière est sans aucun doute Grasa. Un moyen-métrage musical sulfureux qui introduit l’album éponyme sorti avec fracas au mois de mai 2024. On y découvre une incroyable performeuse de 29 ans qui s’autorise toutes les excentricités musicales : reggaeton, salsa, cumbia colombienne ou hip-hop foudroyant. À l’image, l’artiste s’illustre tantôt en femme fatale en porte-jarretelles qui se grille une cigarette en sortie de coït, tantôt en danseuse sensuelle irrésistible qui dégaine subitement un calibre pour le braquer en direction de la caméra… Le ton est donné.

Nommée onze fois aux Latin Grammy Awards, la musicienne originaire de Luján, non loin de Buenos Aires (Argentine), a pris du galon depuis ses débuts officiels en 2017, année de sortie de sa première compilation, Esmeralda. Elle se mue désormais en gladiatrice contemporaine triomphante qui distribue des textes évocateurs et montre fièrement son corps – sans jamais qu’il ne devienne un prétexte commercial –, tout en s’affichant publiquement sur les réseaux sociaux en train de dévorer une tranche de pizza dégoulinante.

En espagnol, le terme grasa peut signifier à la fois “de mauvais goût”, “vulgaire” ou “peu raffiné”. Pourtant, Nathy Peluso n’est rien de tout cela. Bien au contraire. Dans cet excellent opus, sorti quatre ans après son premier album studio, Calambre, l’ex-danseuse et gymnaste explore une myriade de genres et se fait la porte-parole non officielle d’un empowerment au féminin aussi nécessaire que bienvenu. Ce disque tragi-comique met en lumière une chanteuse et une actrice au tempérament belliqueux, qui évoque tour à tour les crises de la création et la rançon de la gloire. Elle sera en concert à la Salle Pleyel le 15 février 2025. Rencontre.

Grasa (2024) de Nathy Peluso.

L’interview de Nathy Peluso

Numéro : Quel genre de petite fille étiez- vous à l’école ?
Nathy Peluso : J’étais la fille étrange. Celle qui dit à peu près tout ce qui lui passe par la tête… Je n’avais pas de véritables amis, mais les gens semblaient m’apprécier, enfin je crois. Peut-être que je n’étais pas vraiment la fille que l’on avait envie d’inviter chez soi…

Cette petite fille a-t-elle beaucoup changé ?

Encore aujourd’hui, j’écris à peu près tout ce qui me passe par la tête ! Et même s’il m’arrive souvent de souffrir, je me sens tout de même très heureuse. Je suis rassurée, cela signifie que je suis officiellement une femme forte. C’est peut- être pour ça que je danse souvent seule devant mon miroir. Je crois que je m’aime. [Rires.]

Quelles images votre musique vous évoque-elle ?

Énormément de couleurs. Du bleu, du rouge et un vert très puissant. Si je devais dessiner ma musique, il s’agirait d’une œuvre très expressive aux couleurs vibrantes, avec un bleu très particulier. On penserait alors à Mark Rothko ou à Joan Miró.

Trench en latex, AVELLANO. Coiffure : Bosco Montesinos. Maquillage : Bárbara Juri. Assistant photographe : Antoine Cadot. Assistants réalisation : Arthur Callegari et Amandine Guinand. Production : Talent and Partner. Merci à Pulp Studio (Paris XI ).

`Guettez-vous attentivement chaque sortie musicale ?
En toute transparence, pas vraiment… J’écoute surtout des artistes vintage comme Frank Sinatra ou Nina Simone. Je n’ai pas vraiment d’explication à cela. J’écoute aussi beaucoup de hip-hop : Lauryn Hill, Missy Elliot, Kendrick Lamar

Dans votre album, on entend plusieurs enregistrements de coups de feu. Est-ce parce que vous avez été confrontée à différentes formes de violence par le passé ?
Non, pas du tout. Mais la violence, j’y suis confrontée tous les jours. Vous aussi d’ailleurs. Que ce soit dans la rue ou sur Internet. Rassurez-vous, je ne suis absolument pas une femme violente, bien au contraire. Je suis quelqu’un de très pacifique. En revanche, je suis fascinée par les films de mafieux et de gangsters, et, au cinéma, il m’arrive de percevoir une certaine beauté dans la violence. À travers un prisme artistique bien entendu. J’aime Martin Scorsese, Quentin Tarantino, David Lynch et Brian De Palma. J’aurais adoré débarquer dans l’univers de Scarface [1983]. Pour les décors, pour les looks des personnages, pour le plaisir.

Pour la plupart des membres de votre public, le titre Real est l’un des meilleurs morceaux de votre album Grasa. Comment l’avez-vous composé ?
C’est aussi mon titre favori ! J’y parle d’amour, de violence et de danger… Il est né alors que j’étais à la recherche d’un rythme de cumbia, une danse traditionnelle folklorique colombienne. Mais les premières tentatives
de composition étaient trop… évidentes. Avec mon équipe, nous avons donc décidé de changer les racines du morceau tout en conservant son identité sonore. Soudain, en utilisant un autre kick de batterie, un groove irrésistible est apparu. Real s’est alors rapproché du genre dancehall.

Qu’est-ce qui vous a décidée, pour le titre El día que perdí mi juventud, à travailler avec le producteur britannique Blood Orange (Devonté Hynes) ?
Je suis absolument fan du travail de Devonté Hynes ! Lorsque nous nous sommes rencontrés, nous avons aussitôt ressenti le besoin de faire de la musique ensemble. J’ai donc filé à Londres pour le rejoindre. Une fois en
studio, je me suis souvenue d’une chanson que j’avais écrite en Espagne, inspirée de la trova rosarina, un mouvement musical et poétique qui a émergé à Rosario, en Argentine, dans les années 80. J’avais envie de quelque chose d’aussi spécial que précis : un chant de révolte mêlant le folk et le rock argentin. Auparavant, je n’avais jamais rien composé de tel…

Nathy Peluso : Tiny Desk Concert (2024).

Invoquez-vous des cultures et des patrimoines différents pour que votre musique ne ressemble pas à celle de vos homologues ?
Je ne crée pas des morceaux en cherchant à ne pas sonner comme quelqu’un d’autre. Je suis plutôt intéressée par ce qui fait ma singularité d’artiste, ma signature. Il faut aller chercher en profondeur ce qui n’appartient qu’à vous. Le morceau La presa est une salsa, la meilleure que j’ai pu faire dans ma vie, et je l’ai composée pour une seule raison : parce que je le peux et que je fais ce que je veux!

Selon vous, un bon morceau est un morceau qui restera longtemps dans les mémoires. Craignez-vous que l’on finisse par vous oublier un jour ?

Il a toujours été très important pour moi de proposer quelque chose dont les gens se souviendront. Et j’espère même que, dans le futur, les gens associeront mes chansons à un moment spécifique de leur vie. J’imagine ma musique comme si j’étais à la tête d’une entreprise de communication qui souhaite établir une connexion pérenne avec les gens. Mais non, je ne redoute pas qu’on m’oublie. Je suis sûre que mes amis, eux, se souviendront de moi.

Dans vos clips, vous incarnez souvent une femme fatale qui s’adonne à d’incroyables danses lascives. Avez-vous toujours eu autant de facilité à mettre votre corps en scène ?

Oui, j’ai toujours été fascinée par la dimension physique de l’être humain. J’ai d’ailleurs étudié le théâtre pendant quatre ans. Des exercices qui vous permettent de vous développer, de vous exprimer et de vous maintenir en forme artistiquement. J’ai appris à raconter des histoires et, surtout, à improviser. Dans mes clips, il n’y a jamais de chorégraphie. L’improvisation est devenue mon leitmotiv. S’exprimer avec son corps est une question d’énergie, cela n’a pas forcément vocation à devenir une proposition esthétique.

Quelles sont les choses les plus difficiles que vous ayez eues à surmonter depuis le début de votre carrière ?
On n’apprend pas à devenir artiste, et encore moins à encaisser les critiques tout en conservant une inébranlable confiance en soi. Surtout en tant que femme dans l’industrie musicale. Parfois, cela peut vraiment être difficile. Je ne me sens pas spécialement subversive, plutôt rebelle. Mais ma radicalité n’est pas un choix, c’est ma façon d’être. On cherche toujours à vous faire entrer dans un cadre, c’est plus facile pour vous contrôler. Croyez-moi, je ne m’y conformerai jamais.

Grasa (5020 Records/Sony Music Spain) de Nathy Peluso, disponible.

En concert à la Salle Pleyel le 15 février 2025.