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On a écouté Lux, le monumental nouvel album de Rosalía, en sa présence
La géniale chanteuse espagnole Rosalía sortira le vendredi 7 novembre 2025 son quatrième album, Lux, qui succèdera au très réussi Motomami. Après avoir redéfini la pop en la mâtinant de reggaeton, elle s’attaque à la musique sacrée et orchestrale. Résultat ? Une expérience radicale et liturgique que l’on a vécue en présence de l’artiste lors d’une écoute religieuse, en petit comité, de l’opus.
par Violaine Schütz.
Publié le 5 novembre 2025. Modifié le 7 novembre 2025.

Le retour de Rosalía avec l’album Lux
Il est devenu rare, à l’ère du streaming, de TikTok et des algorithmes, que l’on écoute un album de bout en bout, sans téléphone ni distraction. De A à Z, en prêtant attention religieusement aux paroles et aux sonorités, comme un acte de foi témoignant de notre passion viscérale pour la musique. C’est cette expérience quasi sacrée, de l’ordre de la transcendance, que nous avons vécue en pleine Fashion Week, à Paris, par temps d’orage.
En effet, début octobre 2025, nous étions conviés par Sony, le label de Rosalía, à l’écoute du nouvel album de la chanteuse dont on ne savait alors rien. Pas même le titre (qui s’avèrera être Lux). Et la lumière fut… Dans l’impressionnant Espace Niemeyer, antre rétro-futuriste conçu par le célèbre architecte brésilien du même nom, nous sommes accompagnés de quelques fidèles pour écouter un disque dont seules les paroles (traduites en français) et les titres seront affichés sur un écran géant. Les premières notes de l’album retentissent, et la surprise est totale.

Une écoute religieuse de l’album à Paris en présence de l’artiste
On avait laissé l’auteure-compositrice-interprète avec un casque de moto, des combis moulantes et des tubes pop-reggaeton rutilants plein sa sacoche de créateur. En effet, en 2022, la géniale Rosalía redéfinissait la pop – en la mâtinant de multiples expérimentations électroniques – avec son disque Motomami. Puissant et audacieux, cet opus lorgnait vers le sensuel et le dangereux avec des clips et des concerts dans lesquels le charme très charnel de la musicienne, productrice et actrice espagnole nous subjuguait.
Mais à 33 ans – l’âge longtemps présumé du Christ – Rosalía se tourne vers d’autres cieux, ceux de la musique sacrée, baroque, orchestrée et classique, comme en témoignaient déjà les visuels – notamment des partitions et une auréole teinte sur ses cheveux – partagés sur les réseaux sociaux de sa nouvelle ère. Depuis quelques mois déjà, la chanteuse dévoilait au compte-goutte des signes concernant sa nouvelle direction artistique. On la voyait notamment souvent habillée de couleurs virginales, ou avec un rosaire dans la bouche, quand elle ne postait pas des photos d’une lueur fendant le ciel.
On pouvait aussi déjà méditer sur ses deux citations figurant sur les éditions vinyle et CD de Lux pour se faire une idée du ton de l’album : “Aucune femme n’a jamais prétendu être Dieu”, une phrase de la poétesse musulmane Rabia al Adawiyya et la sentence “L’amour n’est pas une consolation, c’est une lumière” de Simone Weil.
Une ode au sacré
Dans Lux, prévu pour le 7 novembre 2025, la chanteuse nous convie à une messe grandiloquente avec effusion de chœurs, de cordes et de cuivres. L’assemblée présente dans l’Espace Niemeyer, un lieu au plafond très haut, gorgé de lumières métalliques, est d’emblée plongée dans un état extatique face à ce déluge d’émotions. Lux nous immerge dès le premier morceau déchirant, Sexo, Violencia y Llantas, dans un état de transe. Et les larmes coulent rapidement face à cette épiphanie. Il n’est plus vraiment question de musique po(pulaire) ici. Mais d’une exigeante symphonie baroque empruntant au classique et à l’opéra et laissant place à quelques morceaux plus calmes de flamenco et de fado pour calmer le tempo.
Le nouvel album composé de dix-huit titres de Rosalía a été enregistré avec l’orchestre symphonique de Londres et la star est entourée de l’iconique Björk, avec laquelle elle avait collaboré sur le morceau Oral en 2023, d’Yves Tumor, d’Estrella Morente, figure du flamenco, de la chanteuse espagnole Silvia Pérez Cruz, de la chanteuse de fado Carminho, d’un chœur de garçons et de Yahritza. On entend aussi un extrait d’interview de Patti Smith. Et Guy-Manuel de Homem Christo, l’ex-moitié des Daft Punk, a produit le morceau Reliquia.

Patti Smith et Björk en anges gardiens
L’ambitieuse chanteuse n’a pas fait les choses à moitié sur Lux. Elle chante en treize langues, notamment en espagnol, castillan, catalan, portugais, anglais, allemand, français, ukrainien, arabe et hébreu. Il a beaucoup été reproché à l’artiste son silence sur ce qui se passe en Palestine et sur l’état du monde en général. Mais chanter en arabe et en Ukraine en 2025 n’est pas anodin. C’est comme si elle voulait réconcilier tout le monde dans un élan mystique d’une beauté rare.
Sa voix est puissante, bouleversante. C’est celle d’une vieille âme. Véritable diva, les vocalises de l’Espagnole ont des pouvoirs incantatoires. Ils remuent des souvenirs enfouis et nous troublent au plus profond de notre âme et de nos tripes. La star démontre tout au long de Lux des capacités vocales dignes d’une chanteuse d’opéra, mais aussi d’une prêtresse orientale ou d’une déesse du fado,

Une tension entre le terrestre et le divin
Lux oscille entre des morceaux orchestraux semblant refléter le chaos du monde et un chaos intérieur. Blessée, Rosalia parle, non sans humour, d’une rupture amoureuse. Elle parle d’un amant décevant “fiasco total, de connard de classe mondiale”, d' »un terroriste émotionnel » qui “mérite la médaille d’or du plus grand fils de pute” sur La Perla. Une référence à l’un de ses ex qui pourrait concerner le rappeur C. Tangana, l’acteur Jeremy Allen White ou le chanteur Rauw Alejandro. On ne le saura sans doute jamais.
Les autres thèmes de l’album à part l’amour déçu ? La religion, la spiritualité, la transformation, la féminité et la lumière. Parmi les titres, on trouve des morceaux intitulés Violencia y Llantas, Dios Es Un Stalker, Reliquia, Diviniser ou encore Sauvignon Blanc. Les paroles de Lux sont, le reste du temps, recherchées et poétiques, parlant de Dieu, de relique et de Saintes à la vie difficile. Née à Sant Cugat del Vallès (Catalogne), mais vivant à Los Angeles et fréquentant le gratin hollywoodien, l’artiste semble écartelée entre le charnel, le terrestre, les apparences et le divin. Elle fustige notamment, dans un morceau étonnant comprenant des mots en mandarin, le commerce de poupées sexuelles. Egérie de marques de mode, la star pourfend pourtant le capitalisme.
Au final, Lux est une réussite. Sans doute le plus monumental de sa carrière. Il tient aussi sa force dans l’esthétique mystique déployée par la star. Dans la lignée de Madonna, qui a encensé l’album sur les réseaux sociaux, l’Espagnole s’empare des symboles sacrés. Sur la pochette de l’album, Rosalía pose en Sainte, tout de blanc vêtue, avec un voile sur la tête. Un ensemble architectural signé AlainPaul qui ressemble presque à une camisole de force ultra chic. Pour un nouveau tour de force musical.
Berghain, le premier single épique du disque
Le clip onirique de Berghain, dévoilé le 27 octobre 2025 pour accompagner un premier single épique et baroque qui évoque l’univers de Vivaldi, est aussi d’une puissance rare. Tournée à Varsovie, la vidéo montre la chanteuse évoluer entre le sacré et le profane, l’urbain et la nature (elle se retrouve entourée d’animaux comme dans un conte de fées), le banal et le grandiose.
Des éléments du quotidien (comme un trajet en métro, une séance de repassage ou un café à l’extérieur) se voient transcender par l’irruption de musiciens classiques. Comme si les voix et les pensées (inquiétantes) que l’artiste avait dans la tête se matérialisaient. La chanteuse apparaît comme une femme au cœur brisé qui cherche à en recoller les morceaux. On la voit notamment, dans une scène mystique, dévorer un médaillon en forme de cœur comme s’il s’agissait d’une hostie. Ou porter des sandales Alexander McQueen créées dans les années 2000 ornées d’un chapelet. Autant d’images déjà iconiques.

Des histoires de Saintes poignantes
À la fin de l’écoute parisienne, une Rosalía en état de grâce apparaît telle une apparition divine, les cheveux attachés, avec une robe noire stricte et des escarpins de satin rose aux talons carrés. Elle remercie les journalistes et programmateurs radio présents de leur dévouement. Humble, elle précise : “J’imagine que vous avez tous eu une semaine très chargée, je ne vais pas vous voler davantage votre temps.” Elle a aussi prévu un beau bouquet de fleurs pour Pauline Duarte, la directrice de Columbia France. C’est aux petites attentions qu’on reconnaît les grands artistes.
Et dévoile aussi quelque informations sur la conception de cet album découpé en quatre mouvements. Elle a passé trois ans sur cet album, un an sur les arrangements, et autant de temps sur les paroles, Elle a écrit ses morceaux en d’autres langues en utilisant Google Translation (mais aucune IA ne l’a aidée à peaufiner ses accents). Elle parle aussi de l’inspiration puisée dans la musique classique.
La chanteuse explique avoir conçu cet opus comme une hagiographie autour du mysticisme féminin. “J’ai cherché en regardant sur une carte les Saintes de différents pays et leurs histoires. J’ai étudié la vie de saintes, de figures spirituelles, un peu partout dans le monde. C’était presque comme une enquête. Les langues utilisées dans les morceaux leur correspondent. Jeanne, en français, parle de Jeanne d’arc par exemple. Rien n’est choisi par hasard. Et leurs vies se répondent. J’avais dressé un plan, et je traçais des liens entre elles.”

“J’ai essayé d’être plus libre, aussi bien dans mes textes que dans mes compositions.” Rosalía
Toujours après l’écoute, elle confie : “J’ai essayé d’être plus libre, aussi bien dans mes textes que dans mes compositions.” Rosalía s’est même autorisée “un aria en italien” (le sublime Mio Cristo). “J’ai tenté un aria,” dit-elle. Comme d’autres tentent de réussir des crêpes. Cela dit bien le niveau d’exigence de l’artiste envers elle-même, alors que beaucoup d’autres surfent sur des formules bien huilées. L’Espagnole est une artiste comme on en fait plus, de celles qui redoublent d’efforts sans avoir peur des prises de risques, des obstacles et des jugements. Car Lux est tout sauf commercial. Et aucun titre ne semble destiné à être diffusé en boucle à la radio.
Les fans du tube Despechá (2022) pourraient ressentir l’écoute du radical et intense Lux comme un véritable chemin de croix. La Rosalía spirituelle et démesurée de 2025 n’a rien à voir avec celle, mutante et R’n’B, de Motomami. Mais ceux qui avaient découvert la chanteuse avec les albums fiévreux Los ángeles (2017) et El mal querer (2018) seront sensibles à sa dimension liturgique et dramatique. Ces derniers seront sans doute transpercés par la lumière et la ferveur de cette fresque mystique qui s’impose déjà comme l’un des plus beaux et poignants de l’année. Avec ce disque, Rosalía pourrait même convertir la Gen Z à la musique orchestrée.
Lux de Rosalía, disponible le 7 novembre 2025.