28 mai 2025

Rico Nasty est-elle encore la rappeuse la plus dérangeante du moment ?

Une nouvelle fois, la rappeuse Rico Nasty frappe fort avec Lethal, son nouvel album explosif mêlant punk et trap. À 28 ans, l’Américaine s’impose comme l’artiste la plus dérangeante du rap américain, à coups de tubes cyberpunk et de trash revendiqué.

  • par Lucas Aubry

    mis à jour par Alexis Thibault.

  • Nightmare Vacation, le premier album de Rico Nasty qui annonçait la couleur

    En 2020, dans l’album Nightmare Vacation, l’auto-proclamée inventeuse de la “sugar trap” se transforme en pop star à la voix tendre (Don’t Like Me), en trappeuse testostéronée sur Check Me Out ou encore en princesse punk sur le tube Smack A Bitch. Des multiples facettes de sa personnalité auxquelles la rappeuse donne même des surnoms, comme Trap Lavigne ou Taco Bella. Nouvelles héroïnes de la musique.

    Mais Rico Nasty est-elle aussi dérangée qu’elle voudrait nous le faire croire dans le clip de OHFR ? Dans une atmosphère lugubre en noir et blanc, la rappeuse évoque immédiatement le tout aussi dérangeant Tyler, The Creator et son clip Yonkers (2011), dans lequel le membre du collectif Odd Future avale un cafard répugnant avant de le vomir. Une chose est sûre, la vie n’a pas toujours été facile pour l’artiste de 23 ans au moment des faits. Renvoyée de son lycée pour avoir été attrapée en train de fumer un joint, ultime péché lorsqu’on a 14 ans, Rico Nasty voit son petit ami de l’époque succomber à une overdose de codéine quelques mois après la sortie de son premier projet musical. Le pire reste à venir : à 17 ans, la rappeuse apprend quelques jours après le drame qu’elle est enceinte du défunt.

    Pour élever son enfant dans les meilleures conditions, elle coupe les ponts avec le rap et redevient Maria-Cecilia Simone Kelly, désormais réceptionniste dans un hôpital du Maryland. À l’étroit, la rappeuse que l’on a du mal à imaginer lâcher des salutations aimables à longueur de journée replonge dans la musique après deux longues années de coupure. En 2016, elle sort le morceau iCarly, inspiré par une sitcom du même nom qui met en scène une adolescente débordante d’énergie, en quête du succès sur Internet.

    Check Me Out (2020) de Rico Nasty.

    Rico Nasty, rappeuse et star des réseaux sociaux

    À coups de gros tubes bruts de décoffrage héritiers de la trap d’Atlanta ou de la drill de Chicago, Rico Nasty devient à son tour une star sur les réseaux sociaux. Début 2018, les adolescents présents sur la plateforme TikTok s’enflamment sur les basses puissantes du hit Smack A Bitch, qui valent à Rico Nasty d’être repérée par le prestigieux label Atlantic Records. Elle y incarne une nouvelle génération de rappeuses chaperonnées par Missy Elliott aux côtés de l’Américaine Cardi B.

    Également comparée à Megan Thee Stallion, Princess Nokia, ou encore Doja Cat, Rico Nasty fait pourtant de sa différence avec les autres rappeuses un sujet de prédilection. Plus hardcore, plus délurée, la rappeuse se vante aussi d’être suivie par un public de désaxés et de jeunes femmes sûr d’elles qui n’hésitent pas à se mêler aux pogos qui bousculent chacun de ses concerts. 

    Dans le clip du morceau IPHONE, Rico Nasty se désolidarise encore un peu plus des autres artistes en prenant la forme d’un avatar tout droit venu d’un monde cyberpunk. On imagine facilement la rappeuse s’épanouir dans ce futur post-apocalyptique, plus à l’aise que jamais au beau milieu de l’anarchie. Inaudible, le morceau aux frontières du punk, du rap et de l’EDM, ne respecte d’ailleurs aucune règle de bonne écoute. Si on ne sait toujours pas si Rico Nasty est une artiste réellement dérangée, en choisissant le cyberpunk comme alternative au trash, la rappeuse excelle à s’afficher, à l’époque, comme l’artiste la plus dérangeante de 2020. 

    Son Of A Gun (2025) de Rico Nasty.

    Lethal, un second disque studio explosif

    Avec Lethal, Rico Nasty signe un manifeste sonore aussi abrasif qu’introspectif, où le chaos devient catharsis. Sorti le 16 mai 2025 chez Fueled by Ramen, ce nouvel album studio marque une rupture assumée avec les alter ego flamboyants de ses débuts — Tacobella, Trap Lavigne — pour embrasser une identité plus brute, plus humaine, mais tout aussi indomptable.

    Musicalement, ce disque est un laboratoire de collision stylistique : punk, trap, screamo, nu metal et pop-rock s’y entrechoquent sans filtre. Les guitares synthétiques de Smack a Bitch laissent place à des riffs live, parfois death metal, comme sur Smoke Break, où la voix râpeuse de Rico se fond dans des cris gutturaux. Quant à la production, signée Imad Royal et Rayman on the Beat, elle oscille entre beats trap saturés et textures industrielles, parfois au détriment de la cohérence d’ensemble.

    Mais ce désordre apparent est aussi le reflet d’une artiste en mutation. Ainsi, sur On the Low, Rico livre une ballade amoureuse vulnérable, loin de son image de rappeuse belliqueuse. Puis Butterfly Kisses et Smile dévoilent une tendresse rare, cette dernière étant dédiée à son fils, avec des paroles qui célèbrent la douceur comme force.

    Mais c’est peut-être là que réside la limite de Lethal : en voulant tout embrasser — la colère, la tendresse, le chaos, la pop — l’album peine parfois à canaliser son énergie. Certains morceaux semblent inachevés ou trop conceptuels. Pourtant, malgré ses aspérités, Lethal est un album nécessaire. Il capture une artiste en pleine déconstruction de ses propres mythes, refusant de se figer dans une caricature. C’est un disque qui respire, qui saigne, qui crie.

    Lethal de Rico Nasty, disponible.