Rencontre avec The Kills, duo iconique en concert au festival Rock en Seine
En octobre 2023, le groupe de rock indépendant américano-britannique culte The Kills partage son sixième album incendiaire intitulé God Games. Alors que les deux musiciens s’apprêtent à jouer au festival Rock en Seine ce samedi 24 août 2024, Numéro échange avec les charismatiques et talentueux Alison Mosshart et Jamie Hince à propos de leurs influences et de la mode.
propos recueillis par Erwann Chevalier.
Même si le rap s’érige dorénavant au top des charts, éclipsant les autres genres musicaux, certains artistes plus underground préfèrent faire fi des tendances pour continuer de proposer ce qu’ils savent faire de mieux.
C’est le cas de l’iconique duo de rockeurs indépendants, The Kills, composé de la chanteuse et musicienne américaine Alison Mosshart et du chanteur et guitariste britannique (et ex-mari de Kate Moss) Jamie Hince, qui ont dévoilé en octobre 2023 leur sixième album intitulé God Games. Un disque qu’ils défendront en concert, au festival Rock en Seine, ce samedi 24 août.
Le duo de rockeurs The Kills a sorti l’album God Games
Ne se contenant plus aux sonorités sèches des guitares électriques, le groupe de rock, très apprécié par la mode (notamment par la maison Celine), réinvente cette année leur univers en y injectant des accents plus électroniques, notamment dans les morceaux déjà sortis : 103, LA Hex et New York. Sur la terrasse de l’Hôtel Grand Amour à Paris, leurs éclats de rires emplissent l’espace tout autant que la fumée de leurs cigarettes.
Les deux rockstars sont en escale dans la capitale seulement quelques jours, lorsque nous les rencontrons, pour présenter leur nouvel opus à une poignée de journalistes pour lesquels l’affirmation “Le rock est bel est bien mort” n’est pas éligible. Pour Numéro, ils se confient sans filtre sur la religion, la mode et leurs influences musicales.
L’interview d’Alison Mosshart et Jamie Hince du duo The Kills
Numéro : Pourquoi avoir nommé votre album God Games ?
Alison Mosshart : Le titre de l’album vient directement de la chanson God Games. C’est un morceau qui ne peut pas être défini…
Jamie Hince : … Mais qui fait beaucoup réfléchir. J’espère que ce titre fera méditer ceux qui l’écoutent. Nous avons tendance à prendre conscience de la portée des choses que nous faisons seulement après coup. De la même manière, nos titres prennent tout leur sens après les avoir donnés au public.
Alison Mosshart : Au fil de la création de notre album, nous avons découvert que nous avions beaucoup de thèmes similaires dans nos paroles. Ce n’est pas du tout intentionnel, mais il y a de nombreuses références à l’univers religieux. Nous sommes athées. On s’est alors demandés ce qu’on faisait : ‘Pourquoi écrivons-nous sur ça ?’. Je regarde ce qui se passe dans le monde, et c’est la façon dont les choses sortent sur le papier.
Justement, Jamie, vous avez déclaré lors d’une interview : “Je voulais écrire un disque spirituel sans Dieu…” Pouvez-vous nous en dire plus ?
Jamie Hince : La religion n’est pas un concept auquel j’essaie d’adhérer. Mais, je tentais en quelque sorte de comprendre pourquoi Dieu intervient dans mon univers créatif alors qu’il n’existe pas dans ma vie de tous les jours. Cela m’a fait réfléchir à ce que sont la vie réelle et la vie créative. Mais je me demande encore pourquoi j’ai utilisé cette imagerie religieuse….
On dit souvent que le rock, c’est la musique du diable. Est-ce que faire un disque qui se nomme God Games n’est pas antinomique ?
Jamie Hince : Je pense que tout ce qui est inexplicable est en quelque sorte diabolique. Et il y a une magie inexplicable dans la musique qui ne peut pas être exprimée par les mathématiques… Car la moitié des choses venues de l’art ne peuvent pas être expliquées. Je pense que c’est ça le diable.
“ Dans la vie, tout n’a pas besoin d’être beau.” Jamie Hince de The Kills
Vous délaissez les guitares pour des sonorités plus électroniques… Quelles sont les inspirations de ce nouvel opus ?
Jamie Hince : Les sonorités électroniques sont vraiment venues du fait que j’ai appris à utiliser Pro Tools (logiciel d’enregistrement et de mixage musical). Sur tous les albums précédents, j’étais obligé d’expliquer mes désirs à quelqu’un qui savait utiliser Pro Tools. C’est la première fois, depuis l’opus Ash And Ice (2016), que j’ai passé du temps à apprendre et à utiliser ce logiciel en studio. Ça m’a donné une sorte de pouvoir pour mettre toutes les choses que j’aime dans ma musique.
Vous avez mis 7 ans avant de sortir ce nouvel album. Pourquoi avoir mis autant de temps ?
Alison Mosshart : Nous étions en tournée depuis notre dernier album, sorti en 2016. Nous nous sommes produit jusqu’à la fin de l’année 2019, puis il y a eu la pandémie durant deux ans. Après cela, nous sommes entrés en studio. Nous avons terminé l’enregistrement de ce disque il y a seulement un an !
Jamie Hince : Cela a été une déception lorsque nous avons compris à quel point la pandémie a ralenti le monde. Mais, c’était aussi terrible de voir à quel point les maisons de disques et le secteur de la musique plus généralement ont été impactés par cela. Si nous étions partis en tournée en février 2020, cela aurait été un désastre.
D’où vient l’inspiration de la pochette de ce nouvel album ?
Jamie Hince : La couverture de l’album, un taureau et un torero, provient d’un tableau que j’ai installé dans ma maison à Los Angeles. On me l’a laissé en cadeau au-dessus de ma cheminée. J’en ai ri parce que c’est une très mauvaise peinture. Je me suis dit : ‘Oh, mon Dieu, qui voudrait de ça ?’ Puis je l’ai laissée là et je m’y suis habituée. Dans la vie, tout n’a pas besoin d’être beau. Il n’est pas nécessaire que cela provoque une réaction positive. J’aime les choses qui provoquent toutes sortes de sentiments. Pendant la pandémie, je regardais ce tableau tous les jours et il est devenu très intéressant pour moi. C’est une bonne métaphore de la condition humaine, de la cruauté des hommes, de la façon dont ils l’enveloppent dans la tradition. Nous sommes des gens cruels. Nous usons et abusons des choses. Et c’est ce qu’incarne ce mauvais tableau d’amateur.
“Lorsque nous avons sorti notre deuxième album, la presse musicale britannique n’en avait plus rien à faire des groupes comme le nôtre. C’est l’industrie de la mode qui nous a vraiment adoptés.” The Kills
Avec quel artiste, en dehors de la scène rock, aimeriez-vous collaborer ?
Jamie Hince : Je suis très inspiré par Olivia Rodrigo, Rihanna, Dua Lipa et Billie Eilish.
Alison Mosshart : Pour ma part, j’aimerais collaborer avec Kendrick Lamar.
Jamie, vous avez été opéré de la main il y a quelques années de cela. Cela vous-a-t-il obligé à explorer de nouveaux horizons avec votre guitare ?
Jamie Hince : Oui, mais j’ai toujours joué de façon différente, par rapport à la plupart des guitaristes que je connais. Quand j’ai perdu la sensation dans certains doigts à cause des opérations, j’ai dû trouver une autre façon de jouer. Et il se trouve que cela fonctionne très bien. C’est plus minimal, plus mélodique. Puis une grande partie de mon inspiration vient de ces vieux joueurs de blues…
Dans votre travail, il y a une dimension très mode. La mode est-elle indissociable du rock ?
Jamie Hince : Pour moi, c’est intrinsèque. Il n’y a pas de séparation entre la mode et la musique. Enfant, quand j’allais chez le disquaire, lorsque je n’avais pas entendu la musique de certains groupes et que je voyais leurs photos sur leurs pochettes, je me disais : ‘Oh, mon Dieu, ils ont l’air géniaux’, rien qu’à leurs vêtements. Neuf fois sur dix, le disque était vraiment génial. Évidemment, nous sommes plus intéressés par la musique. Mais lorsque nous avons sorti notre deuxième album, la presse musicale britannique n’en avait plus rien à faire des groupes comme le nôtre. C’est l’industrie de la mode qui nous a vraiment adoptés.
Vous étiez présents, en DJ set, lors de l’after-party de Celine en 2022 à Los Angeles… Quelles sont vos liens avec cette maison ?
Jamie Hince : Nous connaissons Hedi Slimane depuis 20 ans. Lorsque nous venions à Paris, nous allions lui rendre visite chez Dior alors qu’il était directeur artistique des collections homme (2000 à 2007). On ne pouvait même pas se payer ses créations, mais on voulait être beaux, alors on regardait et on essayait de s’en inspirer. Depuis, nous sommes amis.
Alison Mosshart : Il aime vraiment le rock’n’roll et les groupes de blues. C’est une grande source d’inspiration pour lui et ça l’a toujours été. Cette after-party Celine en 2022 avec les Strokes était tellement amusante. Si je devais faire une fête d’anniversaire, j’aimerais que ce soit comme ça et avec eux.
Depuis plus de 20 ans, vous êtes en duo. Qu’est-ce qui vous permet de rester toujours aussi créatifs à deux ?
Alison Mosshart : Nous aimons tout simplement être en duo. Je ne pense pas qu’il y ait de limite à ce que nous pouvons découvrir ou inventer ensemble. Nous avons créé ce duo d’une manière très particulière : nous sommes flexibles sur nos influences personnelles et toujours ouverts sur le plan créatif. Nous avons tellement de choses à explorer parce que nous sommes justement deux. C’est l’un des secrets de ce projet.
Jamie Hince : Si vous pensez à n’importe quel secteur, à n’importe quelle activité, vous vous demandez toujours quelle est la chose qui vous découragerait et vous empêcherait de faire ce travail. Ce n’est pas agréable d’avoir à faire les choses que vous ne voulez pas faire. Il y a des moments où c’est horrible pour nous, où nous faisons des crises et où nous nous disons : ‘J’en ai assez de cette merde’. Mais, il se trouve que nous avons mis en place une dynamique qui nous permet de faire ce que nous voulons d’une manière ou d’une autre.
God Games (2023) de The Kills, disponible. Le groupe sera en concert à Rock en Seine le samedi 24 août 2024.