27 mai 2021

Rencontre avec la chanteuse Clara Luciani : “Je pourrais faire toute une carrière en parlant d’amour”

En 2019, la France la découvre à travers La Grenade, un titre entêtant rapidement proclamé hymne féministe, extrait de son premier album Sainte-Victoire. Plusieurs fois récompensée aux Victoires de la musique, l’auteure-compositrice-interprète revient avec un second opus lumineux, Coeur, qui aborde à travers onze titres son thème de prédilection, l’amour. Rencontre.

Portraits : Dominique Issermann.

Réalisation : Rebecca Bleynie.

Interview : Léa Zetlaoui.

Robe en mousseline de soie brodée de sequins, GUCCI.

NUMÉRO : Votre premier album Sainte-Victoire sorti en 2018, et en particulier La Grenade et Ma sœur ont été d’immenses succès, redoutiez-vous d’écrire et composer ce second album ?

CLARA LUCIANI : Oui forcément. Je redoutais de ne pas réussir le composer surtout. Un premier album on l’écrit surtout pour soi, un peu comme un journal intime. Un deuxième album, surtout quand le premier a eu du succès, c’est encore plus compliqué. On se dit que l’on ne veut pas décevoir le public. c’est un gros challenge.

 

Quand vous écrivez une nouvelle chanson, vous arrive-t-il de vous rendre compte que vous avez plagié quelqu’un ou que vous vous êtes auto-plagiée ?

J’ai déjà écrit de superbes chansons qui étaient en fait des chansons des Beatles. Elles étaient géniales, voire un peu trop géniales, mais pas de moi… Quand ça m’arrive, je suis partagée en rire et larmes et je jette la chanson. 

 

L’amour était déjà un thème central de votre premier album, abordé avec des chansons qui invitent à se battre plutôt qu’à subir, un thème que l’on retrouve dans ce deuxième album Cœur. Qu’est ce qui vous plaît dans le fait de parler d’amour ?

J’aime que ce soit un sujet inépuisable et qu’il existe plusieurs formes d’amour. Ça peut être l’amour fraternel comme la chanson Ma sœur sur Sainte-Victoire ou, dans cet album, une chanson qui semble parler d’amour mais en fait parle d’amitié. J’aime la diversité de l’amour et je suis une grande amoureuse, toujours dans les sentiments.

 

Après deux albums, avez-vous encore des choses à dire sur l’amour?

Je pense que je pourrai faire toute une carrière en parlant d’amour. c’est ce qu’a fait Françoise Hardy et je trouve tous ses albums très intéressants.

 

Robe en mousseline de soie brodée de sequins, GUCCI.

Pour ce nouvel opus, vous vous êtes entourée du musicien Sage et du DJ Breakbot, qu’ont-t-ils apporté à vos compositions ? 

Je travaille avec Sage depuis mon tout premier EP. C’est un peu mon “docteur chansons”, car je ne connais que quatre accords à la guitare et j’ai vite fait le tour ! Il enrichit les compositions. Breakbot lui travaille davantage les sons, c’est lui qui a apporté la touche néo-disco en retravaillant les basses et en poussant les violons…

 

Le premier titre que vous avez sorti, Le Reste, s’accompagne d’un clip solaire, déjà vu plus d’un million de fois. Pourquoi avoir choisi cette chanson pour annoncer votre retour ?

En réalité, ce n’est pas vraiment moi qui l’ai choisie. J’ai envoyé l’album à plein d’amis et tous s’accordent sur le fait que c’était le titre le plus fort et le plus symbolique de l’album donc ça me paraissait naturel de le sortir en premier.

 

Cœur fait penser à un album concept qui évoque les comédies musicales ou les films de Jacques Demy, avec des textes évocateurs et des mélodies entraînantes. On retrouve d’ailleurs cette impression de tableau avec le clip de la chanson Le Reste. 

J’ai effectivement pensé à un concept pour cet album. Les gens, et moi-même d’ailleurs –, écoutons de moins en moins un album en entier. Pour capter l’attention, il fallait qu’il y ait une espèce de concept derrière. L’album s’ouvre et se ferme sur un battement de cœur, on peut l’écouter comme une boucle, une histoire que l’on raconte. Il y a le mot “cœur” dans chaque chanson comme un jeu de piste, sauf la dernière Au revoir.

 

Justement cette chanson Au revoir, qui clôt l’album a quelque chose de très théâtral qui évoque les tableaux de fin des comédies musicales. 

Oui, finalement c’est un album assez classique dans ses sujets. Je pense à des titres comme Mourir sur scène de Dalida ou La groupie du pianiste de Michel Berger.

C’est un album très dansant, très festif, qui invite à l’amour et à la séduction, c’est finalement l’album idéal pour le déconfinement et pour l’été ?

Je voulais que cet album soit lumineux. On traverse des moments très difficiles. Plus que jamais nous avons besoin de musique et de sonorités entraînantes. C’est un moment où  nous sommes coupés du live et cet album a été enregistré avec beaucoup de musiciens. C’était une façon d’apporter dans mes musiques un peu de ces moments particuliers que nous partageons dans les concerts. 

 

Avez-vous sollicité plus de musiciens que dans votre précédent album ?

Oh oui ! On ne l’entend peut-être pas directement, mais beaucoup de musiciens ont collaboré à cet album. Rien que les violonistes sont au nombre de dix-huit, ce qui est énorme. Il y a des percussionnistes et des amis qui tapent des mains. J’avais envie d’apporter tout ce dont on manque comme l’esprit de collectivité, la légèreté, la lumière, la danse…apporter un peu de tout ça dans le quotidien des Français.

 

Voilà plus d’un an que le monde de la musique tourne au ralenti, plus de concerts, plus de festivals… avez-vous hâte de remonter sur scène devant un public ? Qu’est ce qui vous manque le plus ?

Le public ! Une chanson existe vraiment une fois qu’elle est reçue par le public sur scène.

 

Mais quand les compteurs affichent un million de vues sur YouTube ou d’écoutes sur les plateformes de streaming, cela ne revient-il pas au même ?

Ça reste des chiffres, même si on sait qu’il y a des humains derrière, et moi je veux voir des visages s’éclairer ! Il y a quelque chose de l’ordre de la communion ou de la cérémonie religieuse pendant un concert. Enfin, s’il est réussi.

Coiffure : Seb Bascle chez Calliste Agency. Maquillage : Aya Fujita pour Gucci Beauty chez Calliste Agency. Numérique : David Martin chez DMBM

Vous étiez invitée par Julien Doré sur sa ballade poétique L’île au lendemain, tirée de son album Aimée.  Comment est née cette rencontre ?

Nous nous sommes rencontrés grâce à Brice VDH qui fait les clips de Julien Doré et qui a réalisé mon clip Nue (2019). Nous sommes tout de suite devenus très proches. Nous avons des personnalités très compatibles, nous venonst du même milieu social, nous avons les mêmes origines. Nos grand-pères étaient tous les deux travailleurs à la mine d’Alès, dans le Gard, et ça nous a tout de suite rapprochés. Et au-delà de ce que nous partageons musicalement, nous partageons les mêmes valeurs et nous nous sommes vraiment bien trouvés.

 

Pour la vidéo qui accompagne ce titre, vous jouez du piano, alors que vous êtes à moitié immergé dans de l’eau glacée..

Oui! Je prépare ma revanche d’ailleurs

 

On retrouve un duo avec Julien Doré sur le titre Sad & Slow, pensiez-vous à lui quand vous avez écrit cette chanson ?

Pas nécessairement au début, mais j’ai très vite entendu sa voix pour m’accompagner. Je lui ai d’ailleurs proposé ce titre avant même que l’on enregistre L’île au lendemain. Ça me paraissait important de laisser une place à Julien sur ce disque, je vois en lui une sorte d’alter ego.

 

Philippe Katerine, Julien Doré, Calogero, Nekfeu, M, Ibrahim Malouf, Marc Lavoine, Julien Clerc, Raphaël… Vous avez collaboré avec les plus grands noms de la chanson française, quel a été votre projet le plus mémorable ?

Je dirais Nekfeu. Il m’a proposé de chanter avec lui en 2016 avant même la sortie de mon premier EP. J’étais encore une inconnue et je me suis retrouvée à aller enregistrer un duo avec Nekfeu dans la cave d’un appartement. C’était vraiment inattendu, il avait entendu ma voix sur un titre de La Femme. Je suis toujours surprise et évidemment très flattée quand les artistes me proposent de chanter avec eux, mais là c’était délirant. 

 

Avec qui souhaiteriez vous collaborer pour un prochain titre ?

Une femme je pense car je n’ai fait que des duos avec des hommes. Je pense à Juliette Armanet ou Louane, dont j’adore la voix.

Cette année, vous avez composé et interprété le très émouvant titre Beaux, générique de la nouvelle série de France 2, L’école de la vie. Comment vous êtes vous retrouvée impliquée dans ce projet ?

J’ai été contactée par Nagui, le producteur de la série, qui m’a proposé d’écrire cette chanson. Avant même d’avoir vu la série, qui raconte la vie d’une classe de lycéens vue à travers son professeur d’histoire-géo, le sujet m’a vraiment inspirée. Ça traite d’un moment de la vie vraiment délicat, l’adolescence. J’ai eu une adolescence un peu tourmentée, j’allais au lycée à reculons car je n’étais pas très populaire. Écrire sur ce thème a été une sorte de libération. 

 

Était-ce différent d’écrire pour quelqu’un de et non pas pour vous?

Bien sûr. Habituellement personne ne me souffle le sujet de la chanson, alors que là, il fallait que ça colle à l’histoire de la série. Mais j’ai bien aimé l’exercice, ça m’a rappelé les travaux d’écriture en littérature à l’école. J’adorais ça! 

 

En lisant vos interviews, j’ai été frappée, car vous dites souvent que vous n’aimez pas les interviews à cause de votre timidité, pourtant vous êtes plutôt à l’aise et très drôle dans cet exercice.

C’est un peu malgré moi ! Justement, du fait que je ne suis pas à l’aise, je prends les choses avec second degré. Le secret c’est finalement de ne pas trop se prendre au sérieux. 

 

Y a-t-il des jours où vous regrettez d’avoir accepté une interview parce que vous avez  ce jour-là la flemme, la fatigue, pas envie de parler ? Que faites-vous dans ces cas-là ?

Je me suis habituée à l’exercice, mais c’est toujours difficile de s’asseoir sur un canapé et de parler de soi pendant des heures. Il faut quand même avoir un certain niveau d’assurance

 

Vous êtes ambassadrice de la maison Gucci, Qu’est-ce qui vous plaît dans le travail de son directeur artistique Alessandro Michele ?

Alessandro Michele est une personnalité que je suis sur Instagram depuis qu’il a rejoint la maison Gucci car je le trouve super inspirant. J’adore emprunter des choses au vintage et réussir à rester contemporaine. Je suis comme ça avec la mode, mais aussi avec ma musique. C’est pour ça que je suis très fan de Lana Del Rey car elle sait très bien s’approprier des éléments du passé et en même temps rester résolument moderne. Pour moi, Alessandro Michele, c’est la même démarche. Il y a toujours des références historiques et des coupes empruntées au vintage, mais avec un twist super actuel et un côté excentricité à l’italienne. Les campagnes de publicité me touchent beaucoup car on voit de la diversité : elle est autorisée, voire encouragée, ce qui n’est pas toujours le cas.

 

L’avez-vous déjà rencontré ?

Je l’ai déjà croisé lors des défilés, mais je suis très timide et il m’impressionne avec son physique christique.

 

En quoi votre style est-il important dans la création de votre personnage de chanteuse ?

Je pense justement que je n’ai pas de personnage et donc que mon style n’est pas travaillé. Je n’utilise pas de pseudonyme, ce que je raconte dans mes chansons sont des choses qui me sont vraiment arrivées. De même, quand je m’habille pour une interview ou pour monter sur scène, je ne réfléchis pas vraiment.

 

Cœur (Romance Musique) de Clara Luciani. Disponible le 11 Juin.