25 mar 2022

Rencontre avec Kavinsky : « J’ai dépensé presque tout l’argent de Nightcall en Gremlins d’époque »

Le producteur électro français qui a rencontré un succès colossal avec son tube Nightcall présent sur la BO du film Drive (2011) revient après une longue pause avec un album rutilant et hypnotique : Reborn. L’occasion d’évoquer avec lui son amour pour les films des années 80, sa passion pour les belles voitures et sa collaboration avec The Weeknd.

Lorsqu’il arrive, pour notre entretien, dans les locaux de Record Makers, sa maison de disques située dans le 18ème arrondissement de Paris, on sait immédiatement que Kavinsky n’a rien perdu de sa superbe. Accompagné de son chien nommé Jaws (en hommage aux Dents de la mer), affichant une nuque longue et paré d’un blouson Gucci rouge ainsi que de lunettes noires futuristes, Vincent Belorgey alias Kavinsky, 46 ans, ressemble à sa musique cinématique : on se fait tout un film en le voyant. Cette imagerie qui lorgne autant vers le passé que vers l’avenir, impose l’artiste en personnage de jeux vidéo, de long-métrage ou de série des années 80, façon K 2000. Une façon too much de se présenter au monde qui explique en partie pourquoi Kavinsky appartient aux élus qui, avec Daft Punk, ses amis Justice ou encore Air, ont avoir réussi à être prophètes en dehors de leurs pays.

 

Vincent Belorgey a en effet connu, grâce à son épique Nightcall qui accompagnait les images nocturnes du film phénomène Drive (2011) avec Ryan Gosling, un succès colossal. Le tube (qui comptabilise 243 millions de vues sur YouTube) est l’un des titres les plus playlistés au monde, à la fois joué dans des émissions de télévision, des publicités ou encore en soirées. Après cet exploit, le producteur électro a sorti, en 2013, l’impressionnant OutRun qui racontait l’histoire d’un jeune homme s’étant tué en Ferrari Testarossa en 1986 avant de réapparaître en producteur zombie en 2006. Réalisé avec le producteur SebastiAn et comprenant une collaboration avec Guy-Man de Daft Punk (à la production), l’album de synthpop/synthwave rutilante n’a aujourd’hui pas pris une ride. Mais comme s’il se sentait encore écrasé par le retentissement de Nightcall, l’artiste n’avait, depuis, donné aucune nouvelle discographique. Celui qui a aussi été acteur (notamment pour Quentin Dupieux), avait préféré se retrancher derrière ses lunettes de soleil plutôt que de rechercher la lumière à tout prix.
 
Avant la renaissance ? Kavinsky revient enfin après neuf ans d’absence avec un deuxième album, le bien nommé Reborn, qui sort ce vendredi 25 mars. Le producteur proche du label Ed Banger qui a influencé des artistes comme Perturbator ou Carpenter Brut continue d’y explorer un univers synthétique rétro-futuriste semblant avoir été imaginé pour conduire, de nuit, au volant d’une grosse cylindrée. Mais ses obsessions (John Carpenter, les BO de films, les jeux vidéo) se mêlent dorénavant à des influences plus larges. On entend du saxophone, de la pop, du Phil Collins, des références aux années 70 et beaucoup de voix chantées dans ces nouvelles plages électroniques renversantes. Épaulé par Gaspard Augé de Justice, Phoenix, Victor Le Masne (Juliette Armanet) ou Sébastien Tellier, Kavinsky réussit à innover sans renier son ADN. Une gageure que le Parisien, rare en interview, a accepté de commenter pour nous.

Numéro : Votre album s’appelle Reborn. Vous sentez-vous renaître avec ce disque ?

Kavinsky : Disons plutôt que je me sens réapparaître, puisque j’ai disparu pendant neuf ans. Je continuais de produire des petites maquettes de morceaux à la maison, mais sans envie particulière de les sortir. Durant cette période, disons que j’ai pris cinq années sabbatiques. Après le succès de Nightcall, je voulais remettre tout à plat. Et j’ai profité de ce que le succès du morceau m’a apporté. J’ai aussi changé de vie. Je ne sors plus trop en club. Mon quotidien est plus posé. Je me balade souvent avec mon chien. Et j’ai arrêté de jouer aux jeux vidéo et de fumer des joints, les deux allant de pair chez moi.

 

Avez-vous été effrayé par le succès de votre titre Nightcall ?

Dans un premier temps, c’était plus plaisant qu’écrasant. C’est génial tout ce qui m’est arrivé avec ce titre. Avant ça, j’étais reconnu par les gens du milieu. Mais là, ceux qui n’écoutaient pas de musique électronique se sont mis à aimer mes morceaux. Ce qui est quelque chose de grisant. Après, ce qui est compliqué, c’est qu’on se demande constamment ce que les gens vont penser de la suite. En tout cas, j’espère que les auditeurs de Reborn ne seront pas déçus par ce disque compte tenu de la durée qui le sépare d’OutRun.


Est-ce que la présence de deux de vos morceaux – Nightcall et Roadgame – dans plusieurs publicités (notamment pour Mercedes) vous a rendu riche ?
Je suis quelqu’un qui gère très mal son argent. Du coup, je n’ai pas gardé beaucoup de ce que j’ai gagné. J’ai énormément dépensé dans des vrais Gizmo et Gremlins d’époque, et des produits dérivés des Dents de la mer ou de Retour vers le futur. J’ai tout dépensé dans des petites choses comme ça, et pas du tout dans la pierre. Je me suis aussi acheté de très belles voitures que j’ai revendues ensuite.

En parlant de voitures, votre premier album semblait être fait pour s’écouter, très fort, en voiture de sport, la nuit. Qu’en est-il pour ce nouveau disque ?

Je voulais qu’on puisse l’écouter partout, en club ou dans son salon, mais aussi dans une bagnole qui irait moins vite que dans le premier album. Elle roulerait en ville, les fenêtres ouvertes et contiendrait des haut-parleurs de meilleure qualité. Ce n’est pas une musique qui amènera les gens à récolter des PV pour excès de vitesse. Pour la petite histoire, j’ai pas mal d’amis qui au moment du premier album m’avaient envoyé des messages pour me dire qu’ils avaient reçu des avis de contravention parce qu’ils avaient roulé trop rapidement en écoutant mes morceaux.


Sur cet album, on retrouve votre son « synthwave » très inspiré par les années 80 mais aussi d’autres références aux années 70, au rock progressif, à Queen, Vangelis, Stevie Wonder, Phil Collins. Quelles sont vos influences majeures ?

J’ai toujours beaucoup d’influences en vrac dans ma tête. Mais c’est vrai que ce disque est plus éclectique. C’est un peu un medley de tout ce que j’ai écouté et digéré pendant des années. À la base, j’écoutais du rap et du funk. Je me suis mis au rock très tard. J’ai acheté un disque de Bruce Springsteen à l’âge de 10 ans mais je n’ai vraiment écouté du rock et du hard-rock qu’à partir de 25 ans. Il y a aussi eu une période où je n’écoutais que du jazz. Puis, j’en ai eu marre. Le « moi » qui écoutait du jazz m’ennuyait.

 

Vous vous êtes longtemps caché derrière le personnage de Kavinsky, ce jeune homme qui s’est tué en Ferrari Testarossa en 1986 avant de réapparaître en zombie producteur de musique en 2006. Par conséquent, on sait peu de choses sur vous…

Quand j’écoute un nouveau chanteur ou musicien que j’aime bien, je trouve que parfois, même son nom peut empiéter sur la musique. De la même manière que voir son visage va brouiller les pistes. C’est quelque chose que tu gardes en tête et qui occulte la musique en elle-même. Du coup, je n’ai pas envie de donner trop d’indices sur moi. J’aime que l’on écoute mes morceaux au premier degré sans trop en savoir à mon sujet.


Sur Wikipédia, on peut lire que vous avez fait du rugby, que vous avez travaillé au courrier chez Manpower, au service client de SFR, peint des figurines pour un fabricant de baby-foot et fait de la manutention dans un centre commercial. Vous auriez aussi découvert la musique électronique pendant votre service militaire. Où se situe le vrai dans tout ça ?
J’ai en effet pratiqué le rugby pendant dix ans et j’ai découvert les Daft Punk pendant mon service militaire à 20 ans. Je livrais des pizzas à l’époque et on peut dire que ça m’a changé les idées.  Pour le service courrier et le service client de SFR, c’est vrai aussi. De même pour les figurines. J’ai exercé énormément de petits boulots avant de percer dans la musique. J’ai même été vendeur chez Sergio Tacchini.

Aujourd’hui, sous le nom d’ « Indie Sleaze » ou de « Tumblr Girl de 2014 », l’esthétique « clubbing » des années 2010 revient en force. Vous symbolisez parfaitement cette période durant laquelle Myspace et les blogs régnaient en maître. Êtes-vous nostalgique de ces années-là ?

Ça me dépasse un peu tout ça, les histoires de revivals. Et je n’éprouve pas de nostalgie. De nos jours, ce ne serait plus du tout possible de faire autant la fête. On n’est plus en état. On est trop vieux pour être aussi débiles qu’à l’époque. Le corps et le cerveau ont vieilli. On a beaucoup moins envie de faire les cons. Et puis je revois toujours les mêmes personnes qu’à l’époque, on est resté amis. On a donc évolué ensemble.

 

Vous avez enregistré dans le studio Motorbass à Paris, qui était le studio du regretté producteur Philippe Zdar. DJ Mehdi, dont vous étiez proche, est également parti. Comment avez-vous survécu à tout ça ? Est-ce qu’à un moment, vous vous êtes dit : « La fête est finie » ?
Concernant le studio Motorbass, c’était beau d’enregistrer dans ces murs car on a l’impression que Philippe est toujours présent. Il y a tous ses bibelots qu’il tripotait lorsqu’il était là-bas et se tenait à sa console. Mais c’est vrai que j’habite sa rue et que cela a été très dur quand il est parti. Pour Mehdi, je me souviens d’un média qui avait parlé de malédiction et de chats noirs autour du label Ed Banger, ce qui ne nous avait pas beaucoup plus. On peut en effet être tenté de se dire : qu’est-ce qu’on a fait ? Pourquoi ça nous tombe dessus et surtout, ça leur tombe dessus ? Ce qui est sûr, c’est que ces deux disparitions ont été terribles. Surtout que j’ai aussi perdu pas mal d’autres potes de la même époque.

 

Vous avez fait la première partie de la tournée mondiale de Daft Punk en 2007. Avez-vous été surpris qu’ils se séparent ?
Oui, complètement. Tout le monde pense qu’on le savait et qu’on gardait le secret, mais pas du tout. Ce sont des artistes qui sont au-delà du secret, donc ils n’ont rien laissé fuiter. Ça m’a étonné comme tout le monde mais je comprends leur décision. Passé trente ans, se déguiser en robot, au bout d’un moment, ça ne devait plus les amuser autant qu’avant. Et puis ils sont très appelés, chacun de leur côté, pour des projets. Mais je pense que cela n’empêchera pas qu’ils refassent des choses ensemble dans cinq ou dix ans.

 

Vous avez invité The Weeknd en 2013 sur votre morceau Odd Look. Avez-vous senti qu’il allait exploser ?
J’avais trouvé qu’il avait une voix incroyable, avec quelque chose de Michael Jackson dans le timbre. À l’époque, on n’avait rarement entendu une voix aussi fraîche. On est toujours en contact et on pourrait de nouveau collaborer ensemble très bientôt. Disons que quelque chose se prépare…

Kanye West a récemment lancé un player exclusif pour écouter son dernier album, Donda 2. Que pensez-vous de ce concept ?
Personnellement, je me fous de la façon dont ma musique sera écoutée. Ce qui m’importe, c’est qu’elle soit écoutée. Le fait que le morceau vive est plus essentiel pour moi que la manière dont il vit. Je n’ai pas du tout ce truc de puriste du son ou de rejet du streaming. J’aime l’objet vinyle et le son. Et je collectionne les objets physiques. C’est pour ça que je soigne mes pochettes d’albums. Mais ce qui me fait vraiment plaisir, c’est quand, par exemple, j’apprends qu’un ami a entendu l’un de mes morceaux dans un bar ou que Roadgame est diffusé dans les stades à l’entrée des joueurs (ce titre a déjà utilisé pour accompagner l’entrée des équipes dans les matchs des Bleus au Stade de France et dans un clip du PSG pour la sortie d’un maillot noir).


On vous a vu cinq fois au cinéma, dans les années 2000, à l’affiche de films de Quentin Dupieux, de Bouli Lanners ou encore de Gustave Kervern et Benoît Delépine. Vous qui êtes fan de Belmondo, ne rêviez-vous pas d’une carrière d’acteur ?

Disons que ça m’a rapidement gonflé d’être acteur. Tous les films que j’ai tourné, c’était pour des amis. Je ne voulais pas aller au-delà et jouer dans des films qui n’auraient pas été taillés pour moi. Entraîné par mon agent de l’époque, je me souviens être arrivé à des castings et m’être dit que ce métier n’était pas du tout fait mon truc. Le fait de devoir enchaîner les rôles pour pouvoir gagner sa vie et accepter des choses sans queue ni tête, ce n’est pas du tout pour moi.

 

Allez-vous tourner pour défendre ce nouvel album ?
Oui, tout à fait. Il y aura des titres des deux albums et je serai seul sur scène, sans danseurs. Par contre, il y aura des gadgets très cool et de la fumée.

 

Reborn (2022) de Kavinsky, disponible sur toutes les plateformes.