Qui est Lucky Love, le chanteur et danseur qui a séduit la mode ?
Lucky Love s’est d’abord fait connaître en tant que danseur ainsi qu’artiste de cabaret transformiste et acteur avant de se lancer dans la musique. Influencé par la pop anglo-saxonne, il a sorti un premier EP oscillant entre électro et chanson française avec Zahia, Béatrice Dalle et Juliette Armanet en guise de bonnes fées. Alors qu’il s’est produit en live à la cérémonie d’ouverture des Jeux Paralympiques et qu’il sortira, ce vendredi 15 novembre 2024, un premier album intitulé I Don’t Care If It Burns, retour sur un parcours inspirant.
par Violaine Schütz.
Il est devenu l’une des figures les plus fascinantes de la Fashion Week, grâce à son look inimitable mais aussi à ses chansons. On a en effet entendu sa musique au défilé Gucci homme automne-hiver 2024-2025, à Milan, et au défilé de Maison Margiela par John Galliano pour le printemps-été 2024, à Paris. Le 25 janvier, il inaugurait le défilé Maison Margiela Artisanal avec son dernier morceau Now I don’t need your love.
Puis il y a eu un live à Rock en Seine et une performance bouleversante, le 28 août 2024, à la cérémonie d’ouverture des Jeux Paralympiques de Paris. Vêtu en Louis Vuitton, la star a chanté My Ability, une nouvelle version du titre Masculinity taillé pour l’occasion.
Lucky Love, star émouvante des Jeux Paralympiques de Paris
À 31 ans, l’artiste français Luc Bruyère alias Lucky Love – qui sortita ce vendredi 15 novembre son premier album, I Don’t Care If It Burns, enchaîne les aventures audacieuses comme un danseur enchaînerait gracieusement les pas spectaculaires sur une vaste scène de spectacle avec laquelle il aurait fait corps. La danse est d’ailleurs l’une de ses spécialités, que l’ex-étudiant dans une école d’art bruxelloise a pratiqué à plusieurs reprises avec Marie-Agnès Gillot.
Lucky Love est né avec un seul bras, mais il n’a jamais vu cette “altérité” comme un handicap. Plutôt comme une différence transformée en force, malgré le regard des autres et les refus (rencontrés dans le milieu de la mode et du cinéma, à ses débuts).
Depuis qu’il a découvert, via la danse, que son corps pouvait être un vecteur d’idéaux inclusifs bien plus grands que son histoire, il s’évertue à redéfinir les canons de beauté en multipliant les champs artistiques. En posant dénudé ou paré de vêtements de créateurs oscillant entre le féminin et le masculin, il semble vouloir montrer à tous ceux qui sont “dans les marges” qu’ils peuvent être aussi sublimes que lui. Une démarche qui rappelle cette affirmation du philosophe Paul B. Preciado au micro de France Culture : “Le corps est la chose la plus politique et la plus publique qui soit.”
Lucky Love, de la danse à la pop en passant par La Vie d’Adèle
Charismatique, l’artiste dont le corps évoque une sculpture helléniste et le visage, lui aussi sculpté, la figure de Robert Mapplethorpe, a d’abord été mannequin, posant notamment pour Nike. Il a aussi été vu dans une dizaine de clips (pour Kiddy Smile et Regina Demina), de longs et de courts-métrages ainsi que dans des séries. Après une apparition furtive dans La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche, ce dernier lui avait conseillé de prendre des cours pour devenir acteur, ce qui a conduit Lucky Love au Cours Florent.
Une idée pertinente puisque le talent du jeune homme explosera des années plus tard, sur les planches, dans la pièce Elephant Man aux côtés de JoeyStarr et Béatrice Dalle, sa marraine de cœur. C’est elle qui, le découvrant en train de faire du pole dance dans une boîte de nuit, lui fit prendre conscience de sa beauté. Elle lui dit alors que ses dents du bonheur ressemblaient aux siennes et qu’il aurait pu être son fils caché, enfanté dans une orgie à laquelle auraient participé Kurt Cobain, Mick Jagger et Amy Winehouse.
Une figure du cabaret Madame Arthur
Cette beauté hors-norme, c’est aussi celle qui a permis au jeune homme de se faire remarquer dans la foule des invités du cabaret parisien Madame Arthur, à Pigalle. Un soir, le directeur vient le voir et lui demande s’il chante, ce à quoi il répond : “Sous la douche.” Lucky Love finit par rejoindre la troupe de chanteurs transformistes. Il y officie pendant des années sous le nom de « la Vénus de mille hommes », reprenant des classiques de la chanson française en français au piano et à l’accordéon.
C’est là que Lucky Love se rend compte de la puissance de sa voix androgyne qui marche sur les traces de celle d’Antony and the Johnsons. Nouvelle étape ? Sous le nom de Lucky Love, le mannequin sort aujourd’hui son premier EP, Tendresse, chanté en anglais et en français. Sa pop légèrement synthétique, mâtinée de chanson française, marche sur les traces de James Blake et de Woodkid.
Un chanteur adoubé par Juliette Armanet, Zahia et Béatrice Dalle
À l’image de cette partition à fleur de peau, les clips de Lucky Love nous plongent dans un univers des plus poétiques, que ce soit à travers une danse chorégraphiée par Léo Walk ou une histoire d’amour gay au supermarché. Dans le clip de Paradise, se dessine un tableau nocturne religieux (imaginé par le chanteur lui-même) qui fait songer aux peintures du Caravage autant qu’aux images trash de Gaspar Noé et de Pasolini.
Introduit par la voix grave et sensuelle de la ténébreuse Béatrice Dalle, la vidéo met en scène Lucky Love en créature déchue vêtue d’une cape rouge adoubée, protégée et embrassée par Zahia, qui incarne une Vierge Marie très sexuelle. On découvre également un ballet de corps masculins déchaînés effectuant une chorégraphie démoniaque. Autre bonne fée de Lucky Love ? Juliette Armanet chante sur l’un des titres de son EP. À l’occasion la sortie de ce dernier, intitulé Tendresse, l’artiste s’est confié à Numéro.
L’interview du chanteur Lucky Love
Numéro : D’où vient votre pseudo, Lucky Love, qui est le titre d’une chanson du groupe Ace of Base ?
Lucky Love : Simplement de mon prénom Luc. Lucky était mon surnom quand j’étais enfant. Et l’amour est la raison de mon existence. Lucky Love tombait donc sous le sens.
Après la comédie, la danse et le mannequinat, comment la musique est-elle arrivée dans votre vie ?
Comme j’ai fait de la danse avant, j’ai découvert la musique très tôt. Mais elle est vraiment venue à moi en travaillant au cabaret parisien Madame Arthur. J’y ai « performé » tous les soirs du jeudi au dimanche pendant quelques années. Et puis est arrivé le moment où je n’avais plus envie de me travestir pour pouvoir chanter. Je voulais pouvoir me mettre totalement à nu et trouver mon propre public.
“La voix est l’écho de nos entrailles, qui ne sont pas réellement définies par leur genre.” Lucky Love
Comment décririez-vous votre musique ?
Comme un fil tendu entre la fête et la tristesse après la fête. Elle se situe entre un passé apocalyptique et un futur incertain. Ma musique, c’est un point de rassemblement de toutes mes influences, de nombreux genres musicaux différents. J’écoute par exemple beaucoup l’album From Sleep (2015) du producteur et musicien de classique et d’électronique Max Richter. Mais je suis aussi un amoureux d’icônes pop comme Michael Jackson. J’adore également des artistes plus urbains comme Kanye West. Et je suis aussi fan d’hyperpop, notamment de la regrettée SOPHIE.
Vous possédez une voix particulière, très androgyne. Comment la travaillez-vous ?
Je dois avouer que je n’ai pas réellement eu de formation vocale. L’appréhension de ma voix s’est donc faite naturellement. Je pense que j’ai toujours eu une voix un peu particulière, sans pour autant appuyer délibérément sur le côté androgyne. La voix est l’écho de nos entrailles, qui ne sont pas réellement définies par leur genre. C’est peut-être pour cette raison qu’elle paraît androgyne.
Dans le clip de Paradise, on découvre une certaine de violence, un sentiment de chaos. En même temps, il jaillit de ces images sombres de la grâce. Comment vous est apparue cette esthétique très christique entre enfer et paradis ?
Il y a en effet un mariage entre la violence et le chaos et la pureté de la divinité. L’idée de ce « paradis d’enfer” vient d’une mythologie que je me suis créée. Il y a par exemple l’idée de Pandore, de la découverte de la vérité de l’humanité. Il y est question de désacraliser le divin et de l’humaniser. J’ai donc eu besoin d’un moment extrêmement violent lorsque mon personnage dans le clip fait face à la vérité du monde. Cela a un rapport avec l’actualité, mais aussi avec des choses plus personnelles. L’important était, pour moi, de montrer ce mariage entre l’enfer et le paradis qui représente, ni plus ni moins, notre planète Terre (un endroit où on se trouve entre les deux). D’ailleurs, selon de nombreuses religions, le moment du vivant, c’est celui qui se situe entre le paradis et l’enfer. Je pense que dans la vie, j’oscille entre les deux, entre l’ombre et la lumière. Et l’un ne peut exister sans l’autre.
Dans cette vidéo, on entend la voix de Béatrice Dalle et on voit le corps et le visage de Zahia. Pourquoi avoir choisi ces deux femmes sulfureuses qui incarnent les ténèbres ainsi que l’érotisme ?
Parce qu’elles représentent toutes les deux des personnages publics aux images sulfureuses alors que ce sont deux personnes extrêmement douces et bienveillantes en réalité. Je pense également que la vérité vient des femmes. J’ai été élevé par des femmes et ce sont elles qui m’ont appris à être un homme. J’ai choisi Béatrice car c’est la personne qui m’a fait naître en tant qu’artiste et qui m’a suivi pendant tout mon parcours. Et j’aimais l’idée d’avoir Zahia Dehar en Vierge Marie. Comme l’idée était de désacraliser le paradis, je voulais également désacraliser toutes les figures holistiques. Je trouvais important de rendre à l’humanité son côté divin. Et je pense qu’il n’y a pas de femme plus divine que Zahia Dehar.
“Les thèmes que j’aborde sont engagés… Je pense qu’en tant qu’artiste, je suis un traducteur de mon époque et par conséquent, je veux parler de mon époque, de ma génération, de ses problèmes.” Lucky Love
Vous avez sorti un premier EP, Tendresse. Comment l’avez-vous construit ?
Chaque titre a une identité bien précise, un univers très défini, avec pour fil rouge tissé entre tous mes morceaux, ce que j’appelle mon « âme musicale. » Les thèmes que j’aborde sont engagés… Je pense qu’en tant qu’artiste, je suis un traducteur de mon époque et par conséquent, je veux parler de mon époque, de ma génération, de ses problèmes. Mais j’y évoque aussi des choses beaucoup plus personnelles. La musique, protéiforme, peut, je l’espère, être vue comme quelque chose de nouveau et sans barrière de genre, ni de style.
Quel place occupent les vêtements ainsi que votre corps dans votre univers musical ?
Mon rapport au corps est celui d’un danseur car j’ai d’abord découvert mon corps à travers la danse. C’est comme ça que j’ai compris comment il fonctionnait. J’en ai rapidement déduit qu’il pouvait être un vecteur, en étant traversé par des énergies, et se mettre au service d’une écriture. J’ai ce rapport au corps de servitude à des idées. Mon rapport au vêtement est également important puisque j’ai travaillé dans la mode pendant longtemps. Le vêtement, c’est ce qui m’a permis de dépasser mon corps, de créer une nouvelle identité, de nouveaux personnages. Mais aussi de pouvoir me renouveler et d’essayer à chaque fois de sortir de moi. Le vêtement est donc primordial pour moi et ma musique est intimement liée à l’image. Je la conçois avec des images en tête. C’est aussi pour ça que la chanson m’intéresse autant. C’est le seul médium qui me permet de m’exprimer sur tous les fronts que je connais, pour tous les réunir.
I Don’t Care If It Burns (2024) de Lucky Love, disponible le 15 novembre 2024.