17 juin 2022

Que vaut le nouvel album de Drake aux airs d’after au Berghain ?

Seulement neuf mois après son dernier album et sans l’avoir annoncé, le rappeur canadien Drake a sorti cette nuit un nouvel opus, Honestly, Nevermind, dédié à Virgil Abloh. Et la surprise était double. L’artiste de 35 ans y délaisse les « ego trips » hip-hop pour une deep house mélancolique aux relents spirituels et existentiels.

Personne ne s’attendait à ce que le rappeur canadien Drake sorte un album ce jeudi 16 juin, à minuit. Son dernier long format, Certified Lover Boy, remontait seulement à neuf mois, un laps de temps qui semble calculé puisque la pochette montrait douze femmes enceintes. Cette rapidité signifie-t-elle que l’artiste a fait les choses à moitié ? Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à peine sorti, le débat fait rage sur les réseaux sociaux. Pour certains fans, les productions de Drake ressemblent à de la musique d’ascenseur ou des morceaux créés spécifiquement pour TikTok. D’autres crient au génie et à la prise de risque salvatrice.

 

Ce qui est certain, c’est que le collaborateur de Rihanna, Future et Beyoncé sait se réinventer. Sur Honestly, Nevermind, aucun maximalisme ou tube de la trempe de One Dance (2016) ne se fait entendre. Les sonorités électroniques, deep house, pop lo-fi, R’n’B, dance et downtempo (loin des productions hip-hop tonitruantes du moment) s’avèrent mélancoliques et atmosphériques. On assiste presque à un retour au Drake « low profile » du single Passionfruit (2017). Comme si l’artiste de 35 ans était allé trop loin dans les clips dantesques et les ego trips. Et qu’il remettait les compteurs à zéro après une détox aussi psychique qu’artistique.

Drake a accompagné la sortie de ce septième disque d’une longue déclaration poétique et quelque peu cryptique partagée sur Apple Music, qui en dit plus sur l’état d’esprit d’un artiste qui remet son royaume en jeu. Et se pose beaucoup de questions sur sa vie, ses amis, ce qui compte vraiment. « J’ai laissé mon humilité se transformer en engourdissement parfois, analyse-t-il, en laissant passer le temps en sachant que j’avais l’endurance nécessaire pour continuer. Je travaille avec chaque respiration de mon corps car c’est le travail et non l’air qui me fait me sentir vivant.« 

 

Comme s’il avait eu une illumination quant au sens de son existence et à la superficialité de son milieu, l’industrie musicale, l’artiste dont la fortune est estimée à 180 millions de dollars ajoute : « C’est préjudiciable, mais mon esprit perfectionniste ne me dérange pas vraiment parce que personne ne sait ce que je pense quand je vais me coucher à 9h et me réveiller à 5 – à moins que je ne le dise en rimes. Je suis arrivé ici en étant réaliste/Je ne suis pas arrivé ici en étant aveugle/Je sais quoi et surtout qui est à mes côtés/Honnêtement… Peu importe. DÉDIÉ À NOTRE FRÈRE V (le « V » désigne le regretté Virgil Abloh, ndr). »

Sans featuring tapageur (seul 21 Savage apparaît sur le dernier morceau, le seul vrai titre rap du disque, Jimmy Cooks et le chanteur congolais Mukengerwa “Tresor” Riziki sur Currents), le sincère et profond Honestly, Nevermind porte bien son nom. Entre crise existentielle de milieu de vie et prise de conscience spirituelle, il met en avant la voix sublime et versatile du Canadien qui rappelle ici tour à tour celle de Kanye West (sur ses morceaux les plus religieux) et celle de Craig David. L’artiste montre qu’il sait aussi bien rapper que chanter, dévoilant des qualités de crooner de l’ère « vocoder ».

 

Les productions deep house éthérées donnent quant à elle l’impression d’être dans une rave codéïnée au petit matin ou dans un after d’appartement à l’atmosphère douce-amère. On est plus dans l’obscurité du Berghain à Berlin que dans un club à ciel ouvert d’Ibiza. Honestly, Nevermind résonne comme un disque de lendemain de fête triste et de gueule de bois. C’est d’ailleurs peut-être le premier album, depuis le début de la pandémie, qui encapsule le mieux ce que tout le monde a ressenti quand on nous a annoncé que les clubs fermaient leurs portes et que les bacchanales étaient finies.

 

Pour une fois, Drake, qui rend hommage à Virgil Abloh (en samplant sa voix sur le poignant Sticky et en lui dédicaçant le disque) et évoque les incarcérations des rappeurs Young Thug et Gunna, ne chante pas seulement ses propres tourments, soient ceux d’un multi-millionnaire versant quelques larmes dans un verre de champagne, en carré V.I.P., parce que Rihanna l’a quitté. Même si les paroles parlent d’une relation amoureuse compliquée, c’est la détresse de toute une génération sacrifiée et engourdie par le virus (entre autres fléaux) qu’il retranscrit avec sa voix langoureuse et ses beats déprimés. “Time isn’t healing / Time is revealing / How are you feeling / You don’t feel nothing.” Le temps ne guérit pas, mais la musique qui vient du plus profond des entrailles d’un rappeur au flow « mélo », si.

 

Honestly, Nevermind (2022) de Drake, disponible sur toutes les plateformes.