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Les confessions de Miki, nouvelle sensation de la pop francophone
Cela fait quelques années qu’une dénommée Miki sévit sur les plateformes de streaming à coup de chansons courtes et étranges aux paroles très personnelles, aussi bien influencées par la pop que par l’électro. En résulte un style musical unique, que l’artiste franco-coréenne condense dans un premier almbum réussi intitulé Industry Plant, dévoilé ce 3 octobre 2025. Rencontre avec la nouvelle sensation francophone de la pop.
propos recueillis par Nathan Merchadier.

Miki, étoile montante de la pop francophone
Mikaela Duplay, alias Miki, chanteuse franco-coréenne de 26 ans fait parler d’elle depuis maintenant quelques années et notamment sur le réseau social TikTok où un extrait de son titre Échec et mat (2024), posté l’été dernier, cumule plusieurs millions de vues. Sur les plateformes de streaming, ses chansons de pop mâtinée d’électro ainsi que ses clips bricolés semblent également séduire un public toujours plus large, comme en témoignent les 310 000 auditeurs mensuels qu’elle cumule sur Spotify.
Un succès amplement mérité qui n’est pas passé sous le radar des médias qui semblent unanimes au sujet de son talent, mais qui contrarie une poignée d’internautes qui l’accusent d’être une “industry plant” [le terme désigne un.e artiste dont la carrière a été perçue comme artificiellement construite par des forces de l’industrie musicale, ndlr].
Après avoir sorti un premier EP intitulé 4X (2023) – désormais introuvable sur les plateformes depuis sa suppression par l’artiste – Miki prouvait que ces critiques (souvent misogynes) ne l’atteignent pas et revenait en force en avril avec Graou (2025). Sur cet EP disque de sept titres, la native du Luxembourg dont le style rappelle celui de Billie Eilish, évoque son rapport à sa famille, ses relations amoureuses mais aussi la résilience, la quête d’identité et de douloureux souvenirs de jeunesse.

Avec son album Industry Plant, Miki s’affirme
Accompagnée par Tristan Salvati, producteur proche de la chanteuse belge Angèle, l’artiste se dévoilait (enfin) au grand jour, au gré de chansons taillées pour les clubs (Échec et mat) mais aussi de titres plus introspectifs comme le sublime Héroïne, sur lequel elle chante en français et en coréen. Déjà adoubée par l’incontournable groupe britannique Metronomy avec lequel elle signait une rencontre remarquée sur le titre Contact High (2024), Miki s’imposait alors comme l’une des jeunes voix de la pop francophone à suivre absolument.
Forte du succès de son précédent EP et déterminée à défendre son travail, la chanteuse enchaîne les concerts, tout en peaufinant ce premier disque aux côtés de producteurs de renom à l’image de LUCASV (Disiz, Luther) et Canblaster (Club Cheval).
Quelques mois plus tard, elle confirme ainsi toutes les attentes avec Industry Plant, son premier album, disponible ce vendredi 3 octobre 2025. En choisissant ce titre, Miki renverse avec aplomb le stigmate dont elle a longtemps été victime, pour en faire un manifeste d’indépendance et de force. À travers quatorze morceaux aux paroles crues, elle continue de chanter ses maux avec une sincérité désarmante. Rencontre.
L’interview de la chanteuse Miki
Numéro : Après avoir partagé votre EP Graou au mois d’avril, vous êtes de retour avec un premier album intitulé Industry Plant (un terme péjoratif utilisé pour décrire des musiciens qui seraient devenus connus pour des raisons autres que leur talent). Un titre que l’on perçoit comme un pied de nez aux critiques formulées par une poignée d’internautes…
Miki : Ça s’est décidé assez récemment, car jusqu’au dernier moment, j’avais plein d’idées de titres en tête. Mais finalement, celui-ci m’a paru évident. Je pourrais toujours trouver d’autres titres pour mes prochains albums, mais celui-ci me permettait de m’exprimer enfin sur un sujet que je n’avais jamais vraiment évoqué. Et j’essaie d’en parler de la façon la plus subtile et la plus posée possible. L’idée m’est venue lorsque, pour mon anniversaire, ma meilleure amie m’avait offert un tee-shirt avec écrit “Mommy’s little industry plant”. Je l’ai porté pendant la soirée et j’ai posté une photo de moi avec sur Instagram. Les réactions ont été énormes, presque comme si j’avais sorti un morceau. Je me suis dit que c’était sans doute la meilleure manière de réagir : ne rien expliquer, simplement assumer l’étiquette qu’on me colle, et laisser chacun en faire ce qu’il veut.
Sur ce disque, vous évoquez frontalement l’effet que ces critiques ont eu sur votre moral avec des paroles amusantes telles que “Je t’ai bénie de ma pop d’usine” ou “Je vomis tous les mots qu’on dit de moi sur internet”…
Sur le moment, ça m’a fait très mal. Puis avec un peu de recul, je me suis dit : “Mais en fait, c’est énorme, les gens sont ultra créatifs”. Quand je chante “Je vomis tous les mots qu’on dit de moi sur internet”, c’est exactement ça. J’ai eu besoin de l’écrire, parce que je crois que beaucoup de gens s’imaginent qu’à partir du moment où on a du succès, on est immunisé. Moi, ça m’a profondément touchée. Avec le recul, je repense à cette période et je me dis que ça me semble déjà très loin. Après ce titre, j’ai continué à avancer. À créer, à rencontrer des gens et à m’amuser.
Pour composer cet opus, vous vous êtes entourée de nouveaux producteurs à l’image de LUCASV (Disiz, Luther) et Canblaster (Club Cheval)…
Ce que j’ai adoré, c’est que leur approche m’a sortie de mon écran d’ordinateur. J’ai l’habitude de composer sur un petit clavier, derrière mon ordi. Avec eux, j’ai pu intégrer des instruments que je n’aurais jamais osé utiliser seule : la guitare dans le morceau Yes, par exemple. Je prends des cours de guitare et de batterie, mais je ne savais pas comment les incorporer dans mes sons. Là, il suffisait que je dise “Et si on rajoutait une guitare ?”, et c’était fait, avec une vraie couleur en plus. On retrouve leur patte un peu partout. Dans la chanson Roger Rabbit avec la batterie acoustique, ou encore dans Affection, avec les percussions live. Ils ont cette capacité de m’emmener vers des terrains vers lesquels je ne serais jamais allée seule.
“Après la sortie de l’EP Graou, j’étais épuisée, comme anesthésiée. Je n’avais plus d’émotions.” Miki
Malgré les mélodies en apparence légères de vos morceaux, vous abordez des sujets importants comme sur Roger Rabbit où vous parlez d’un pédophile…
L’idée, c’était ce sentiment du “trop beau pour être vrai”. Une apparente bienveillance qui cache en réalité une forme de malveillance. Il s’agit de ce ciel bleu en apparence sans nuages, mais où l’on pressent qu’un danger rôde. C’est le miroir d’une réalité humaine : des adultes qui se cachent derrière un masque de gentillesse, alors qu’ils exercent une emprise. Roger Rabbit n’est pas autobiographique, mais il puise dans une sensation que j’ai connue enfant, notamment en tant que petite fille eurasienne, parfois perçue comme objet de fantasmes par des hommes plus âgés. Ce sont souvent des proches, des “amis de la famille”, qui se présentent comme bienveillants, mais qui adoptent des gestes, des attitudes et des paroles qui ne le sont pas du tout. Enfant, par naïveté, on leur fait confiance. Et ce décalage entre l’innocence de l’enfant et la duplicité de l’adulte, c’est exactement ce que je voulais traduire avec ce morceau.
Et sur le titre BNF, vous semblez vous laisser envahir par vos propres démons et vos doutes les plus profonds. Vous chantez “encore un rêve où je me suicidais” (…) “Je suis remplaçable”…
C’était une composition instinctive, juste après l’EP Graou. À ce moment-là, j’étais épuisée, comme anesthésiée. Je n’avais plus d’émotions et j’avais l’impression d’être un chiffon qu’on avait essoré jusqu’au bout. Je me disais : “Mettez quelqu’un d’autre à ma place, prenez cette lumière, ça ne changera rien pour moi.” Ce n’était pas un manifeste ou un message générationnel, mais juste un sentiment instantané d’un moment où je n’allais pas bien.
Depuis notre première rencontre, vous avez fait plusieurs fois le tour de France et annoncé un Olympia d’ores-et-déjà complet, ainsi que trois dates à l’Élysée Montmartre…
J’ai l’impression de récolter aujourd’hui les graines que j’ai semées. Quand je vois le public chanter mes textes par cœur, ou quand je croise ces regards remplis de douceur, de bienveillance et d’amour, c’est un sentiment que je n’avais jamais connu avant. Il faut dire que pendant deux ans, j’ai enchaîné les premières parties. Alors aujourd’hui, passer à des dates lors desquelles le public est venu pour moi et les gens connaissent mes chansons, c’est bouleversant. Et ce qui me touche encore plus, c’est cette impression de familiarité. J’ai l’impression de partager la même sensibilité que mon public, peu importe l’âge, le genre ou le parcours des personnes. Après les concerts, beaucoup me disent que c’était leur tout premier live, ou qu’ils se sont fait des amis en venant me voir. Savoir que ma musique crée des liens comme ça, c’est sans doute le plus beau cadeau de cette ascension.

“Composer cet EP a été une libération parce qu’avant ça, je n’arrivais pas à parler de sujets personnels dans mes morceaux.” Miki
Votre dernier EP, sorti en avril 2025 est baptisé Graou. Que veut dire cet étrange mot qui ne figure sur aucune page du dictionnaire ?
C’est probablement l’un des mots que j’utilise le plus et ce, depuis très longtemps. Je peux le dire quand il y a un truc chiant qui se passe, mais que je n’ai pas envie de m’étaler sur le sujet. Si je suis au bar et que le serveur me dit qu’il n’a plus de café, je vais dire “Graou”. Le titre de cet EP est arrivé assez tard, quand les chansons étaient déjà écrites. Mais il symbolise assez bien ce que je voulais dire à travers mes chansons. Sur ce disque, j’ai voulu parler de résilience, mais aussi de ma famille. De mon identité et enfin de la reconstruction de cette identité.
Dans certaines de vos interviews, vous décrivez votre style musical comme “une musique de club qui fait pleurer”…
Ma musique est toujours la rencontre entre deux opposés. C’est cette idée du Yin et du Yang qui se rencontrent et que l’on retrouve aussi parfois dans mes paroles. J’aime sortir des phrases très violentes et ensuite dire quelque chose de beaucoup plus naïf et innocent.
Graou possède des paroles très personnelles. Votre musique est-elle une catharsis ?
Composer cet EP a été une libération parce qu’avant ça, je n’arrivais pas à parler de sujets personnels dans mes morceaux. Je n’avais pas assez fait ce travail d’introspection pour comprendre exactement ce que je ressentais. Pendant longtemps, j’ai été perdue dans mon rapport aux gens et au monde. L’écriture a changé ma manière d’être dans la vie et dans mes relations. J’ai beaucoup plus conscience de ce dont j’ai envie. Grâce à la musique, j’ai enfin réussi à mettre fin à beaucoup de relations toxiques et j’ai changé ma manière de vivre.

“En chantant en coréen, j’ai l’impression que je vais pouvoir utiliser ma voix comme un surf sur une vague.” Miki.
Vous avez mis en boîte ce disque avec Tristan Salvati, un producteur proche de la chanteuse Angèle. Comment s’est déroulé sa création ?
J’arrivais avec mes démos qui étaient souvent trop longues et je n’arrivais pas à faire du tri dans mes idées. Tristan a le bon œil pour ça et il sait quel est le bon BPM pour tel ou tel morceau. J’ai toujours le réflexe d’être dans quelque chose d’électro, à 135 BPM, avec des basses très fortes, comme dans beaucoup de chansons que j’écoute. C’est aussi très intéressant d’avoir ce regard qui veille sur moi et sur certaines de mes paroles.
Par rapport à vos précédents EP, vous ne chantez sur ce disque presque uniquement en français…
Quand je me suis dit que j’allais commencer à écrire en français, mes pensées se sont alignées avec la précision de la langue. C’est au moment où j’ai essayé de comprendre ce que je voulais dire dans ces chansons-là que j’ai ressenti un déclic. J’ai fait une partie de mes études en anglais et cette langue était devenue un moyen d’expression trop lâche car je pouvais me cacher derrière mes sentiments.
Et sur le titre Héroïne, vous chantez en coréen…
Le coréen, c’est un peu un joker. C’est une langue très agréable à chanter, qui apparaît plus douce et plus poétique. C’est aussi une grammaire différente qui se rapproche presque de l’allemand ou du japonais. Les verbes et les compléments d’objets directs ne sont pas au même endroit qu’en français. Cela change aussi ta manière de réfléchir. En chantant dans cette langue, j’ai l’impression que je vais pouvoir utiliser ma voix comme un surf sur une vague.
“99% des producteurs sont des mecs et il y a souvent ce rapport de pouvoir inisinuant qu’ils vont te révéler, comme la Vénus qui naît.” Miki
Vous chantez parfois des paroles très crues et sexuelles. Est-ce une manière pour vous d’ôter une sorte de tabou ?
J’ai l’impression que parler de sexe choque souvent les gens alors que pour moi, c’est juste normal d’évoquer cette thématique. Il y a des choses tellement pires qui se passent dans mes pensées. Des choses plus violentes et plus trash… Mais si cela peut permettre à d’autres personnes de se sentir moins pudiques par rapport à ce sujet, c’est super.
Sur le titre Cartoon sex, vous évoquez une agression subie par votre prof de tennis lorsque vous étiez enfant. Le mouvement #MeToo a-t-il selon-vous eu assez de retentissement au sein de l’industrie musicale ?
Je pense que l’on n’en parle pas assez. J’ai eu beaucoup de chance de pas avoir eu d’expériences de ce genre dans le milieu de la musique. J’ai rencontré énormément de filles pour qui il y a eu des abus de pouvoir. Quand tu es une fille et que tu vas en studio, tu es parfois simplement là pour donner ta voix. Comme une espèce d’animal rare qui vient poser sa jolie voix d’oiseau avant que le producteur ne fasse l’export final. 99% des producteurs sont des mecs et il y a souvent ce rapport de pouvoir insinuant qu’ils vont te révéler, comme la Vénus qui naît. Toutefois, je pense qu’aujourd’hui, les mecs sont hyper flippés avec tout ce qu’il se passe. Donc, malgré tout, j’ai l’impression que l’on peut y voir un peu d’espoir.

“La plupart des sons que j’ai découverts ont été récupérés de la BO de films.” Miki
En 2024, vous avez collaboré avec le groupe britannique Metronomy sur le titre Contact High. Comment s’est déroulée cette rencontre ?
Je suis hyper fan de Metronomy et je suis allée voir le groupe plusieurs fois en concert. Notre collaboration s’est faite à distance. Ils m’ont envoyé plein de démos très primitives et j’ai essayé de topliner sur trois morceaux. Ce n’était même pas des voix définitives mais je les ai envoyées et ils ont kiffé. On ne s’est finalement rencontrés qu’au moment de la release party du projet.
Mis à part le groupe de Joseph Mount, quelles sont les références musicales qui ont bercé votre enfance ?
J’ai grandi en écoutant beaucoup de musique classique et le rock adulé par mon père. Même si ma culture musicale, je me la suis faite toute seule. J’aime les groupes de hip-hop américain comme A Tribe Called Quest ou encore The Pharcyde, mais aussi des artistes comme Bob Dylan, Mac Miller ou encore Joey Badass. Sinon, la plupart des sons que j’ai découverts ont été récupérés de la BO de films. Je suis par exemple une grande fan de Vladimir Cosma. Et si je devais choisir de collaborer avec une personne morte et une personne vivante, ce serait Ryūichi Sakamoto et Steve Lacy.
Industry Plant (2025) de Miki, disponible. En concert à l’Olympia, à Paris, le 10 octobre 2025.