17 jan 2025

Qui est C. Tangana, l’un des chanteurs les plus célèbres d’Espagne ?

En 2021, son album El Madrileño a l’effet d’une bombe dans l’industrie de la musique latine. Récompensé de multiples Grammy Awards et pulvérisant les records de streaming, C. Tangana s’illustre alors parmi les chanteurs et rappeurs espagnols les plus célèbres du moment. Pourtant, depuis, silence radio… Il délaisse les ondes pour se lancer dans la mode avec sa marque Late Checkout, qui dévoile aujourd’hui une collaboration avec le Ritz Carlton, et endosse la casquette de réalisateur avec son documentaire The Flamenco Guitar of Yerai Cortés. Pour Numéro, C. Tangana revient sur son parcours, ses motivations et sur le syndrome de l’imposteur, qui le hante depuis ses débuts.

Demasiadas Mujeres – C. Tangana (2021).

C. Tangana, de prince de la trap espagnole à figure mondiale de la culture latine

Crema, Pucho, El Madrileño, C. Tangana… Le chanteur, rappeur et réalisateur espagnol âgé de 34 ans possède de nombreux surnoms, utilisés à tort et à travers par ses fans, ses amis et par la presse. “Je réponds à tous, choisissez celui qui vous plaît le plus” nous dit-il un sourire aux lèvres en début d’interview, avec la malice et l’impertinence qui le caractérisent. Une attitude déjà introduite par le mot “Tangana”, qui signifie, en espagnol, un attroupement de joueurs au foot après une bousculade…

Cette image de joyeux bordel, c’est celle qu’il préfère pour décrire ses débuts dans les années 2000, sous le nom “El Crema”, avant de se lancer en solo en 2016 et de rencontrer un large succès en Espagne avec le tube Llorando en la limo (2018). Son air insolent et son look un poil bling, avec fourrure et bijoux voyants, deviennent sa signature, à mesure qu’il s’érige parmi les figures influentes de la trap dans son pays.

C. Tangana – Antes de morirme feat. Rosalía (2016).

Une collaboration marquante avec Rosalía

Pourtant, Antón Álvarez Alfaro alias C. Tangana est encore loin d’avoir révélé tout son potentiel. La même année, il co-écrit le premier album de sa petite amie de l’époque, une certaine Rosalía (notamment le single Malamente), et travaille en parallèle sur son futur projet, qui fera sa renommée : El Madrileño.

Dévoilé en 2021, le disque pulvérise à sa sortie les records d’écoutes (5 millions en un jour seulement) et raffle trois Latin Grammy Awards.J’ai eu l’impression que la musique était, à ce moment, en pleine période de transition, que le reggaeton, qui dominait le mainstream depuis des années, ne pouvait pas aller plus loin et que tous les remixes possibles avaient déjà été faits.” évoque le chanteur. “Je pense que les artistes qui réussissent le mieux aujourd’hui sont ceux qui parviennent à être plus expérimentaux, à exploiter ce que le succès du reggaeton nous a apporté”.

Le concert de C. Tangana pour Tiny Desk (2021).

J’ai toujours eu le sentiment d’être un imposteur dans le domaine de la musique

C. Tangana.

Une vision qui se traduit, dans l’album de C. Tangana, par un mélange audacieux de rumba, de rap, de flamenco ou encore de bachata (genre musical originaire de République dominicaine), loin des chemins plus contemporains qu’il avait jusqu’alors tendance à emprunter. Réconciliant culture populaire et traditionnelle, ainsi que sa génération avec celle de ses aînés, celui que l’on surnomme dans son pays “l’ingouvernable” fait feu de tout bois, et invite quinze légendes de la musique ibérique et sud-américaine à collaborer sur son disque. Mieux : il use de mélodies révolutionnaires franquistes, devenues des hymnes de résistance populaire, pour les transformer en rythmes pop et modernes.

J’appartiens à une génération qui tente de faire des choses nouvelles avec toutes les belles choses de notre passé” explique-t-il. À l’image notamment du portoricain Bad Bunny, qui dévoilait début janvier un album engagé et infusé de toutes les musiques et traditions latines qui ont bercé son enfance.

Personnalité incontournable en Espagne (comme à l’international), C. Tangana souffre pourtant du syndrome de l’imposteur, et ce, malgré son succès indéniable. “J’ai toujours eu le sentiment d’être un imposteur dans le domaine de la musique” avoue-t-il. “Au début, j’étais juste un petit gars qui essayait de rapper. Je ne sais pas jouer d’un instrument, je n’ai jamais pris de cours de solfège de ma vie…” évoque-t-il en riant. “J’ai toujours eu l’impression d’avoir un pied dans le milieu et l’autre totalement en dehors.

Les multiples casquettes de C. Tangana, de la mode au cinéma

Un inconfort qui ne l’a jamais empêché de se lancer dans de nouveaux projets ni de travailler avec des musiciens et des artistes classiques pour El Madrileño. Mais, depuis la sortie de cet album, silence radio : à part un hymne pour le club de foot Celta de Vigo (2023), le chanteur espagnol n’a plus sorti de nouveaux projets musicaux, mais une marque de vêtements en 2021, Late Checkout. “J’ai toujours su que je ne serai pas chanteur toute ma vie. Je mimagine dans plein de domaines. Si je n’ai rien à raconter, je préfère ne rien dire,” confie C. Tangana.

“Je sais que je ne serai pas chanteur toute ma vie.”

C. Tangana.

Délaissant la musique, l’artiste trouve un nouveau moyen d’expression à travers la mode – milieu dans lequel, là encore, il ne possède ni expérience ni connaissance. “L’idée m’est venue avec mon styliste Alex durant une période où nous étions tout le temps en voyage, et vivions d’hôtel en hôtel. Notre marque s’inspire de notre mode de vie de l’époque”.

Avec Late Checkout, C. Tangana impose son style

D’abord destinée à se positionner comme du merchandising pour son album, la marque prend finalement un tournant plus important pour le chanteur. “Je ne me sentais pas vraiment représenté. Je viens d’un milieu marqué par le hip-hop et le rap, mais j’aime aussi les choses traditionnelles. De là a surgi mon envie de mélanger, comme en musique, ces deux mondes”.

Au gré de divers personnages inspirés par l’univers de l’hôtellerie – le groom, la rock star, le valet –, les collections de Late Checkout développent des collections riches, voire cinématographiques, inspirées de films de Martin Scorsese, de Paolo Sorrentino ou de Wes Anderson. Entre le streetwear et le workwear, l’esthétique de la marque mêle des codes contemporains à des détails plus traditionnels au gré d’élégants boutons ou fermetures apposés sur des sweats ou des vestes oversized. “C’est une marque que nous avons mûrement réfléchie et qui s’avère aujourd’hui indépendante de mon univers musical.” affirme ainsi le chanteur. “Chaque personnage imaginé possède une identité forte, un peu comme dans un film, au point de pouvoir avoir envie de les imiter !

Au point d’attirer des géants hôteliers dans ses filets, comme le Ritz Carlton, qui dévoile une collaboration entre élégance et luxuriance. “C’est un match spectaculaire. Dans quelques années, je pense qu’on regardera cette collab en se demandant mais comment ont-ils réussi à les convaincre !” s’amuse C. Tangana. Sous les dorures des chambres de l’hôtel, la collection mêle le style un poil décalé de la marque à l’aspect distingué des uniformes du Ritz. Sur le moodboard d’Alex et de C. Tangana, des personnalités hollywoodiennes des années 70, des peintres, des écrivains… Un melting pot surprenant, qui façonne des looks ultra contemporains, et adaptés à la vie de tous les jours.

La musique latine en plein renouveau

Cette reconversion ne se résume pas seulement au monde de la mode mais également à celui du cinéma : derrière la caméra, l’artiste espagnol rend, une nouvelle fois, hommage à ses racines et à la culture latine à travers un documentaire sur le jeune guitariste de flamenco Yerai Cortés (pas encore sorti en France) et endosse une nouvelle casquette, celle de réalisateur, bien loin de ses habitudes. “Le cinéma nécessite une vision plus large, et demande beaucoup de discipline… Ce qui n’est clairement pas mon point fort” admet-il avec humour. “C’est un long-métrage assez expérimental, où se mêle tout ce que j’aime. Beaucoup de tradition, d’émotion…

Entre la biographie et le documentaire, The Flamenco Guitar of Yerai Cortés croise la riche histoire du flamenco et le parcours plus récent du guitariste, où se rencontrent plusieurs générations – une thématique chère à C. Tangana –, et promeut la musique latine et ses traditions qui connaissent, ces dernières années, un succès grandissant avec des chanteurs comme Bad Bunny, Rosalía, J Balvin, Maluma ou Rauw Alejandro. “Je pense que, plus que de rendre la musique latine plus séduisante, notre nouvelle génération la célèbre et tire profit de tout son potentiel. Nous nous l’approprions, selon nos propres codes, notre propre langage. Nous revendiquons notre culture !” considère le chanteur.

Un amour qui, pourtant, ne nourrit plus l’instinct musical de C. Tangana, qui n’a rien sorti en solo depuis 2021. Mais, à la question “Avez-vous peur de dévoiler de nouveaux titres suite à votre dernier succès ?”, il répond simplement “Non. J’ai l’impression de vivre une des meilleures périodes de ma vie. Chaque matin, je me réveille l’esprit tranquille : j’ai le choix de faire de la musique, créer des vêtements, tourner un film… Ces possibilités me font me sentir libre”. Liberté à laquelle “l’ingouvernable” n’a jamais dérogée, et qu’il ne semble pas près d’abandonner…