26 juil 2023

Hommage à Sinéad O’Connor, l’une plus belles voix du monde

La chanteuse irlandaise Sinéad O’Connor, qui était l’une des plus belles voix du monde et l’une des artistes les plus anticonformistes de la pop et du rock, s’est éteinte ce mercredi 26 juillet, à l’âge de 56 ans.

« Depuis que tu es parti, je peux faire ce que je veux / Je peux sortir avec qui je veux / Je peux dîner dans un restaurant grand luxe / Mais rien, J’ai bien dit rien, ne peut effacer mon cafard / Car rien, rien ne t’égale. Tout n’est que solitude ici sans toi / Comme un oiseau qui ne chante plus. Rien ne peut empêcher ces larmes de solitude de couler / Dis-moi chéri, où me suis-je trompée / Je peux mettre mes bras autour de tous les garçons que je vois / Mais ils ne font que te rappeler à moi / Je suis allée chez le docteur et devine ce qu’il m’a dit. » Des paroles d’une simplicité, d’une tristesse et d’une beauté désarmantes, une voix d’une pureté rare, un clip où un visage d’ange punk au crâne rasé apparaît en gros plan pour mieux attester de l’authenticité de l’œuvre… À jamais, la chanteuse, musicienne et auteure-compositrice-interprète irlandaise anticonformiste Sinéad O’Connor, décédée ce mercredi 26 juillet 2023, restera liée à l’une des plus bouleversantes chansons (d’amour) du monde : Nothing Compares 2 U (1990).

 

Sinéad O’Connor, la chanteuse écorchée derrière la reprise bouleversande de Nothing Compares 2 U de Prince, s’est éteinte

 

Composé par Prince – avec qui elle s’est, après cette reprise, physiquement battue -, ce morceau sublime a été numéro un en Europe et aux États-Unis, et l’album sur lequel il figure, I Do Not Want What I Haven’t Got, s’est écoulé à 7 millions d’exemplaires. À l’image de cette complainte sentimentale déchirante, la vie de la mystique, provocatrice et rebelle Sinéad O’Connor, qui s’est éteinte à l’âge de 56, a été radicale. Pourvue de l’une des plus belles voix du monde, la chanteuse, devenue Magda Davitt en 2017 puis Shuhada’ Davitt ou Shuhada’ Sadaqat en 2018, a connu un destin tourmenté, fait d’excès, de cure de désintoxication, de troubles bipolaires, de dépression, de tentatives de suicides et de la mort de son fils de 17 ans, Shane, en 2022, qui s’était échappé d’un séjour à l’hôpital. Après ce drame, elle écrivait sur Twitter : « Mon magnifique fils, Nevi’im Nesta Ali Shane O’Connor, la lumière de ma vie a décidé de mettre fin à son combat sur terre et est désormais avec Dieu. Qu’il repose en paix et que personne ne suive son exemple. Mon bébé. Je t’aime tant. Repose en paix. » Sur ses réseaux sociaux, elle laissait entendre que depuis la mort de son fils, plus rien ne la retenait à la vie. Mais bien avant cela, la vie de Sinéad O’Connor était déjà marquée par la tragédie. Sa mère, addict, lui avait fait subir des sévices sexuels, et son père, dépassé, l’avait envoyée au couvent – un internat catholique où l’on place les filles perdues –, ce que l’Irlandaise avait vécu comme un calvaire. La chanteuse restera hantée par la tristesse, même si, dès l’adolescence, elle trouve un refuge, et une thérapie, dans le chant et la musique.

Sinéad O’Connor, une voix sublime et une artiste anticonformiste

 

À propos des moments les plus difficiles de son existence, Sinéad O’Connor déclara : « J’étais vraiment en danger de mort […] Il se passait des trucs dans ma vie qui me rendaient un peu folle et au milieu de tout ça j’ai subi une hystérectomie radicale (en 2015, ndlr), ce qui rendrait n’importe qui fou. » Cependant, elle prétendait aller beaucoup mieux par la suite, « grâce à Dieu ». Née le 8 décembre 1966 à Dublin, l’artiste est aussi connue pour ses chansons émouvantes et son regard perçant que pour ses prises de position sur les abus sexuels dans l’Église catholique, à laquelle elle reprochait de ne pas avoir protégé les enfants victimes de pédophilie. En 1992 (deux ans après la sortie de son tube Nothing compares 2 U), lors d’une émission du Saturday Night Live, l’artiste déchire, en direct, une photo du pape Jean-Paul II pour protester contre la pédophilie dans l’Église catholique, ce qui lui vaut de vives critiques et un déclin de sa carrière « mainstream ». Elle est menacée de mort, et même Madonna trouve qu’elle va trop loin. Deux semaines après son fait d’armes blasphématoire, la chanteuse irlandaise solitaire et agoraphobe est huée lors d’un concert célébrant les 30 ans de carrière de Bob Dylan. Sa mise au pilori ainsi que le traitement médiatique dont elle est alors victime symbolisent parfaitement le sort réservé aux femmes de l’industrie musicale à cette époque. Sinéad O’Connor va payer cher son « écart de conduite » et devenir une martyre, une paria, dont la santé mentale sera sacrifiée.

 

Celle qui a publié ses mémoires en 2021 et fait l’objet d’un documentaire éclairant en 2022, a accumulé les partis pris dérangeants et les controverses au point que Frank Sinatra a un jour déclaré vouloir lui « botter le cul. » La chanteuse a été ordonnée prêtresse d’une église alternative, s’est convertie à l’islam et a porté le hijab, a soutenu l’IRA, a taxé les Grammy Awards d’être trop commerciaux, a refusé que l’on joue l’hymne américain avant ses concerts et a annoncé vouloir arrêter sa carrière musicale en 2021, avant de se rétracter. Engagée et avant-gardiste, elle a évoqué publiquement des sujets comme les agressions sexuelles, la santé mentale et l’avortement, racontant que lors de sa première grossesse, un producteur de disques l’avait incitée à y mettre fin. Sa féminité rock’n’roll peut être perçue comme un statement féministe : elle s’est rasé la tête pour se hisser contre les diktats de l’industrie du disque qui voulaient qu’elle soit glamour. Et alors que les années 90 regorgent de clips de pop stars aux brushings parfaits et aux crop tops microscopiques, elle s’affiche avec une coupe de cheveux de skinhead, des vêtements non genrés et usés et des Dr. Martens aux pieds.

 

Une pionnière qui a influencé Billie Eilish et Miley Cyrus

 

La chanteuse laisse derrière elle dix albums studio – dont un disque de reggae – et des collaborations avec des pointures musicales telles que Massive Attack, Moby, Peter Gabriel et U2. Elle a aussi inspiré des artistes comme Miley Cyrus, Billie Eilish, Lagy Gaga, Chris Cornell, Peaches, Pussy Riot, Megan Thee Stallion, Alanis Morissette, Dido et Fiona Apple, et a vécu une courte histoire d’amour avec Anthony Kiedis des Red Hot Chili Peppers, qui lui a dédié une chanson. En 2023, Sinéad O’Connor écrivait à Miley Cyrus une lettre devenue virale, s’inquiétant de sa manière de se dénuder : « Chère Miley, je n’avais pas l’intention d’écrire cette lettre, mais aujourd’hui, j’ai esquivé les appels téléphoniques de divers médias me demandant de réagir à ce que tu as dit dans Rolling Stone – le fait que ton clip Wrecking Ball a été imaginé dans l’esprit de celui de Nothing Compares 2 U. Alors voilà ce que je dois dire… Et je le dis dans un esprit maternel et avec amour. Tu vas obscurcir ton talent en lui permettant (à l’industrie musicale, ndlr) de te prostituer. » On se souviendra de la chanteuse irlandaise comme d’une pionnière aux prises de position courageuses et aux propos controversés qui a donné à la détresse et à la révolte un – très beau – visage.