Découvrez la soul cosmique d’Adi Oasis, bassiste phénoménale adoubée par Lenny Kravitz
La chanteuse, bassiste et productrice française Adi Oasis électrise la scène nu-soul avec un groove incandescent et des textes résolument politiques. Installée à New York, elle compose une musique hybride entre funk, jazz et R’n’B cosmique, portée par des lignes de basse irrésistibles. Repérée par Lenny Kravitz, elle a été invitée à se produire en première partie de son concert parisien à la Paris La Défense Arena. Rencontre.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
La soul volcanique d’Adi Oasis, musicienne adulée par Lenny Kravitz
Les compositions d’Adi Oasis débutent inévitablement par une ligne de basse. Viennent ensuite les percussions. À 39 ans, la bassiste et chanteuse d’origine martiniquaise, née à Saint-Mandé, marie la soul psychédélique, le R’n’B cosmique, la folk, le jazz modal et les sonorités antillaises avec une dextérité telle qu’un certain Lenny Kravitz a fini par lui témoigner un intérêt marqué. Le 29 mars, elle débarque ainsi sur la scène de Paris La Défense Arena, devant 40 000 spectateurs, en première partie du rockeur américain. Elle y défendra les différents titres issus de ses deux albums studio : Adeline (2018) et Lotus Glow (2023).
Quelque part entre l’élégance de Grace Jones et les flamboyances de David Bowie, Adi Oasis s’impose comme une militante féministe engagée contre le port d’armes à feu aux États-Unis – où elle a désormais élu domicile –, le racisme et les lois anti-avortement. En studio, elle façonne une nu-soul hybride, dotée de basses moelleuses héritées des rois du funk américains Bootsy Collins ou Larry Graham. Depuis quelques années, elle s’affirme également comme productrice, construisant des textures chaleureuses, souvent analogiques, où la basse slappée dialogue avec les claviers Rhodes et les percussions latines. Rencontre.
“Savoir qu’un homme aussi génial que Lenny Kravitz existe me fait parfois monter les larmes aux yeux.” Adi Oasis

L’interview de la chanteuse et bassiste Adi Oasis.
Numéro : Si votre musique était une œuvre d’art exposée dans un musée américain, à quoi ressemblerait-elle ?
Adi Oasis : Certainement à une sculpture représentant une femme guerrière. C’est la vision que j’ai eue il y a quelques années lorsque j’ai changé de pseudonyme. Adeline est devenue Adi Oasis. Je voyais alors la sculpture d’une femme argentée sur un cheval très haut. Une sorte de Walkyrie.
La revendication de votre féminité est-elle inévitablement liée à un vocabulaire guerrier ?
J’ai passé ma vie à me faire “draguer” dans la rue et en studio. Les autres musiciens me coupaient la parole parce que j’étais une femme, alors que c’était moi la productrice. Tout le temps. Tous les jours. Ce combat, c’est celui d’une femme qui cherche à ce qu’on l’écoute. L’industrie musicale est tellement cruelle. Ce n’est pas facile pour les artistes, et encore moins pour les femmes. Encore moins depuis l’avènement du streaming. Les gros porcs ne sont jamais punis… Savoir qu’un homme aussi génial que Lenny Kravitz existe me fait parfois monter les larmes aux yeux. Parfois, lorsque j’ai envie de tout abandonner, je me rappelle qu’il est là, et ça me remotive aussitôt. Atteindre un tel niveau tout en restant une aussi belle et généreuse personne, c’est extraordinaire.
“Lorsque Prince est décédé, j’ai pris une grosse claque. Ce jour-là, mon rêve ultime de jouer un jour avec lui s’est brisé.” Adi Oasis.
Le samedi 29 mars, vous vous êtes justement produite sur la scène de Paris La Défense Arena, en première partie de son concert. Étiez-vous angoissée à l’idée de jouer devant 40 000 personnes ?
Je me suis dit que, franchement, 40 000 personnes, ça me convenait parfaitement ! [Rires.] Je me suis sentie complètement à l’aise. Le plus frustrant reste de se dire qu’il sera difficile de réitérer l’expérience.
Comment avez-vous rencontré Lenny Kravitz ?
Sur Instagram… Il m’a envoyé un message privé pour me dire qu’il adorait ce que je faisais. Vous êtes la première personne à qui je raconte cette histoire ! Il formait un nouveau groupe pour sa tournée et m’a demandé si je pouvais l’accompagner en tant que bassiste, mais j’ai poliment refusé sa proposition. Je souhaitais vraiment me concentrer sur ma musique et ma carrière. Il s’attendait à ce refus. Depuis, nous sommes devenus amis et avons tout de même eu l’occasion de jouer ensemble. En général, j’évite autant que possible de parler de lui. Je n’aimerais pas qu’on pense que je fais du name dropping…
Vous avez quitté Paris pour rejoindre New York. Cette ville a-t-elle transformé votre rapport à la composition ?
C’était l’objectif de mon départ. J’habite à Brooklyn, dans Clinton Hill. Là-bas, les bâtiments sont magnifiques. J’ai toujours été fascinée par l’architecture, sans être une experte de la discipline. C’est quelque chose qui me fait vibrer : la cohérence des belles choses. Moi, les grosses maisons de Los Angeles ne m’intéressent pas du tout. Jusqu’à présent, j’écrivais des petits trucs mignons à la guitare. Des morceaux constitués de deux ou trois accords très simples. C’est à New York que j’ai pu grandir en tant que bassiste et compositrice. Un artiste est en transformation constante. Nous ne sommes pas tous nés avec des mains en or et la capacité de jouer 22 instruments comme Prince. Moi, je m’appelle Adeline Michèle Pétricien et j’ai grandi dans une cité. Mon parcours a peut-être été plus long que celui d’autres. Café au lait (2018) est l’un des premiers morceaux que j’ai complètement autoproduits. Lorsque Prince est décédé, j’ai pris une grosse claque. Ce jour-là, mon rêve ultime de jouer un jour avec lui s’est brisé. Vous savez, tant qu’on est en vie, les rêves restent plausibles… Là, c’était fini pour de bon. Je crois que ce qui m’attirait le plus chez lui, c’est qu’il se fichait complètement de ce que les autres pensaient.
“Mon album avoisine les 100 millions de streams. À la fin des années 90, j’aurais peut-être été millionnaire. Malheureusement, cela ne se reflète pas du tout sur mon compte en banque.” Adi Oasis.
La complexité d’un morceau est-elle devenue une donnée à part entière ?
Non, car même si un morceau est compliqué, il faut qu’il paraisse simple. Il y a des types qui peuvent jouer du jazz avec douze notes par seconde, mais être un bon musicien, c’est savoir faire avec très peu… Comme disait Miles Davis : “Space is part of the music.” Plus jeune, je chantais un peu dans tous les sens. Désormais, je suis satisfaite lorsque je parviens à faire des phrases très simples. En tant que musicienne, vous passez des années à travailler votre technique, pour que vos expériences de scène vous fassent atteindre une sorte d’extase. Il faut franchir cette étape pour enfin faire disparaître toutes les questions.
Dans un monde dominé par le streaming et les algorithmes, un artiste doit-il forcément enfiler un costume de performeur ?
Les morceaux les plus doux fonctionnent parfois mieux que ceux qui bougent vraiment, parce qu’ils passent en fond, dans les bars et les hôtels. Ce qu’il se passe est très grave. Mon album avoisine les 100 millions de streams. À la fin des années 90, j’aurais peut-être été millionnaire. Malheureusement, cela ne se reflète pas du tout sur mon compte en banque. Spotify rémunère à hauteur de 0,003 centime par stream. Et le patron de cette société est aujourd’hui devenu l’un des hommes les plus riches du monde. Nous sommes tous coupables, et il n’y a pas vraiment d’autre solution. [L’un de ses morceaux retentit dans les enceintes.] Oh ! Écoutez ! C’est ma chanson !
En pleine interview, je dois admettre que c’est assez chic !
Je leur ai glissé un petit billet pour vous impressionner…
Si vous pouviez convier plusieurs personnalités issues d’un autre univers que celui de la musique en studio afin qu’elles vous prodiguent des conseils, qui inviteriez-vous ?
La championne de tennis Serena Williams, car elle sait comment gagner. Je suis totalement fan de cette femme. Sa maîtrise de la concentration doit être fantastique. Peut-être le réalisateur Wes Anderson aussi, pour son approche un peu barrée. Il me faudrait quelqu’un capable d’apporter de la bonne humeur. En cela, l’humoriste Dave Chappelle serait peut-être une bonne idée, mais il a un peu dérapé ces dernières années en se moquant des personnes transgenres… Je ne vous cache pas que c’est un sujet très délicat en ce moment aux États-Unis. Et puis, qui d’autre que RuPaul pour me coacher ?
Lotus Glow (2023) d’Adi Oasis, disponible.