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Hommage à D’Angelo, le roi de la nu-soul
Icône absolue de la nu-soul, D’Angelo (Michael Eugene Archer de son vrai nom), s’est éteint le 14 octobre 2025 des suites d’un cancer. Inventeur d’un groove sensuel et mystique, il laisse derrière lui une œuvre rare et transfigurante, de Brown Sugar à Voodoo. Figure tutélaire du R’n’B moderne, il a marqué à jamais la musique noire américaine.
par Alexis Thibault.

D’Angelo, le roi de la nu-soul, s’est éteint
Il appartenait à cette caste rarissime : celle des créateurs qui transcendent leur époque au point de devenir un adjectif. On disait d’un morceau qu’il était “à la D’Angelo”, comme on dirait d’un film qu’il est “lynchien”. Référence absolue de la nu-soul, il incarnait à lui seul la sensualité trouble et la ferveur mystique d’un style qu’il avait participé à façonner.
Le 15 octobre 2025, Beyoncé, Erykah Badu, Mary J. Blige ou encore Jamie Foxx ont salué la disparition de l’un de leurs homologues. De son vrai nom Michael Eugene Archer, né à Richmond, en Virginie, le chanteur s’est éteint des suites d’un cancer, le 14 octobre 2025. “Après un long et courageux combat, c’est le cœur brisé que nous annonçons que Michael D’Angelo Archer nous a quittés”, a écrit sa famille dans un communiqué sobre et élégant, à son image. Le pianiste, guitariste, compositeur et producteur américain n’avait que 51 ans.
Une figure incontournable
D’Angelo laisse derrière lui une œuvre brève mais fondamentale. On retient forcément Voodoo (2000), un disque fiévreux que le compositeur Christophe Chassol qualifiait de “chef-d’œuvre de tuilage vocal”, évoquant cette technique héritée du gospel où les voix se superposent jusqu’à devenir matière sonore.
La nu-soul, dont il fut le messie païen, naît de cette hybridation féconde : une alchimie entre jazz, funk, hip-hop et mémoire spirituelle africaine. Au tournant des années 1990, alors que la soul classique s’épuise parfois dans le vernis de la pop, Maxwell, Omar et Erykah Badu la réinventent sous une forme plus viscérale, plus organique. Une soul charnelle, syncopée, qui respire entre les temps plutôt qu’elle ne les martèle. Ce décalage — ce groove relâché — devient sa signature : un battement après le battement, un souffle dans l’espace.
Le chanteur Bilal résumait jadis cette philosophie dans L’Express : “La nu-soul est une musique chaude, jouée avec des instruments vivants. Un vieux violon plutôt qu’un synthé — c’est quand même autre chose.” D’Angelo, lui, y ajoutait la ferveur, dans le sillage de Curtis Mayfield, Donny Hathaway et Marvin Gaye.
Le parcours d’un prodige
Élevé dans le gospel, D’Angelo grandit dans une maison où la musique est une langue avant d’être un métier. Enfant prodige du piano, il apprend la transe avant la théorie, la foi avant la forme. Dès ses débuts, il s’impose comme une singularité dans le R’n’B des années 1990 : voix sépulcrale, groove élastique, présence quasi mystique.
Son premier album, Brown Sugar (1995), bouleverse la grammaire soul : un disque moite, incandescent, enraciné dans la tradition mais propulsé vers l’avenir. Voodoo (2000) parachèvera cette mutation, notamment grâce à J Dilla, dont les battements imparfaits infusent chaque mesure. Derrière le torse nu du clip Untitled (How Does It Feel) se cache pourtant un malaise : celui d’un homme prisonnier de son propre mythe. “Je n’étais pas à l’aise dans ce rôle de sex symbol”, confiera-t-il plus tard.
Après l’ouragan Voodoo, le silence. Quatorze années d’exil intérieur avant l’épiphanie de Black Messiah (2014). Un album mêlant prière, colère et insurrection. Entre-temps, D’Angelo affine son art — les lignes de basse sculptées par Pino Palladino, les textures hybrides de Charlie Hunter, la sueur du son comme matériau brut. Ainsi D’Angelo rappelle qu’au-delà du culte, la musique fut, pour lui, bien plus qu’un simple métier…
Black Messiah (2014) de D’Angelo, disponible.